Il suffit d'examiner de près les statistiques pour constater que notre province n'échappe pas à cette tendance. Les taux obtenus par La Presse auprès de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) et de Statistique Canada sont révélateurs.

La voiture ne fait plus rêver. Le permis de conduire ne représente plus une nécessité absolue pour les moins de 25 ans, de plus en plus nombreux à bouder l'examen de conduite, au Québec comme un peu partout dans le monde occidental. Les milléniaux vont-ils bouleverser l'industrie automobile ?

Le phénomène est observable depuis une bonne quinzaine d'années. Des chercheurs commencent à se pencher sur la question. Et cela ne fait plus aucun doute : la voiture est en perte de vitesse auprès des jeunes. Non seulement son usage tend à baisser, mais le sacro-saint permis de conduire est détenu par de moins en moins de milléniaux. Même au Québec.

Les chiffres parlent

Il suffit d'examiner de près les statistiques pour constater que notre province n'échappe pas à cette tendance. Les taux obtenus par La Presse auprès de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) et de Statistique Canada sont révélateurs.

Entre 1996 et 2015, la proportion de Québécois âgés de 16 à 24 ans détenteurs d'un permis de conduire est passée de 59,1 % à 54,8 %. La baisse est particulièrement marquée chez les 16 à 19 ans (de 43,9 % à 35,7 %). Chez les 20 à 24 ans, la proportion est passée de 72,1 % à 67,4 %.

Si les recherches dans le monde sur le sujet ne sont pas légion, elles présentent des résultats souvent significatifs. Les premiers signes d'un désintérêt pour le permis de conduire ont été compilés à la fin de l'anne 2011 par l'Institut de recherche en transport de l'Université du Michigan. Les professeurs Michael Sivak et Brandon Schoettle ont établi que la proportion des moins de 30 ans possédant un permis avait baissé, entre 1983 et 2010, dans 8 des 15 pays qu'ils ont étudiés : les États-Unis, la Suède, la Norvège, le Japon, la Grande-Bretagne, la Corée du Sud, l'Allemagne et... le Canada. Des baisses de 15 à 20 % dans certaines tranches d'âge aux États-Unis et en Suède, comme des reculs plus timides de 1 % à 5 %, selon les âges, dans des pays comme le Japon et le Canada.

En France, on assiste également à une baisse du taux de détention du permis de conduire chez les jeunes : - 9 % chez les 18-30 ans entre 1993 et 2008. « Cette baisse est particulièrement notable chez les jeunes de moins de 25 ans », a rappelé récemment une équipe de chercheurs franco-canadiens qui se sont penchés sur le sujet dans une étude intitulée Évolution du rapport des jeunes à la voiture.

L'iPhone menace l'auto

Professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke, Marie Claude Ouimet ne nie pas les faits. « Il se passe quelque chose dans le monde », dit cette spécialiste de la sécurité routière et observatrice des jeunes. Mais elle préfère parler d'hypothèses pour expliquer ce début de désaffection à l'égard du permis de conduire.

« Les principales études suggèrent que ce sont les coûts associés au véhicule, le revenu familial et individuel, la situation économique générale, le fait de ne pas posséder un véhicule et le fait de pouvoir se déplacer d'une autre manière qui semblent être les raisons principales », énumère-t-elle.

Vice-président exécutif d'Optima Marketing, Dominic Larivée voit une autre explication, complémentaire : « Le téléphone mobile a changé un paquet d'éléments. Cette facilité à entrer en contact avec les gens fait en sorte que le partage est là et change considérablement les déplacements. C'est une génération qui veut se déplacer, mais qui ne souhaite pas acquérir une voiture. »

La corrélation entre « permis » et « internet » a été plus ou moins établie en 2013 par les chercheurs américains Michael Sivak et Brandon Schoettle, qui ont alors supposé que « le contact virtuel réduit le besoin de contact réel ». Ce lien, discutable et discuté, n'a cependant pas été prouvé hors de tout doute.

Il est par contre manifeste que l'obtention du permis de conduire et l'acquisition d'une voiture ne sont plus un rite de passage à l'âge adulte.

Quand Steve Jobs a présenté l'iPhone à la Conférence MacWorld de San Francisco le 9 janvier 2007, personne ne savait que ce qu'il appelait un «produit magique» désintéresserait les jeunes de l'automobile. Photo: AP

Marie Claude Ouimet souligne enfin que la législation a un impact sur la question : « Les programmes d'accès à la conduite deviennent de plus en plus exigeants, il y a plus de restrictions. À partir de 2010, il y a eu le retour au Québec de la formation obligatoire, qui ne l'était pas depuis 1997. » Coïncidence, le taux de titularisation des 16-19 ans est passé au Québec de 42,8 % en 2010 à 35,7 % en 2015. Pas surprise par cette tendance, l'Association des écoles de conduite du Québec indique que le taux de réussite à l'examen pratique du permis n'est à peu près que de 60 % à Montréal.

Reste à savoir si, en vieillissant, les moins de 25 ans ne vont pas faire comme tout le monde...

« La grosse question est : est-ce un report dans le temps ou est-ce un abandon ? On n'a pas été capable de conclure significativement sur ce fait que les jeunes abandonnent de façon durable le permis de conduire », résume Catherine Morency, professeure titulaire de la Chaire de recherche Mobilité à l'École polytechnique de Montréal