Lignes étriquées, phares biseautés, feux aux formes tarabiscotées, excroissances inattendues. Poussés par l'insatiable désir de se démarquer, plusieurs designers japonais ont redoublé d'originalité au cours des dernières années. Avec un résultat qui laisse pour le moins songeur.

« Dans les années 90, on demandait aux designers de faire de belles voitures. On la dessinait et l'on y fixait un badge. C'était plus intuitif. Aujourd'hui, on est dans l'ère du marketing de marque ; chaque compagnie doit se positionner pour être différente, reconnaissable, unique. »

Les goûts chinois pèsent lourd

Pascal Boissé, chargé de cours en design d'équipement de transport de l'École de design de l'UQAM, explique ainsi les errances du design automobile japonais. Phénomène qui est peut-être accentué par un décalage culturel, plus manifeste chez certains constructeurs.

C'est lui qui, notamment, fut responsable des lignes harmonieuses de la Magnum MK5. « Ils ont tendance à complexifier des lignes ou créer des formes un peu gratuites qui agacent l'oeil. Les lignes manquent de tension, elles font des zigzags, ça manque de rigueur.

« On perçoit les référents de design asiatique d'abord dans l'environnement où ils vivent, a poursuivi M. Bourgeois. Tout est surchargé là-bas, la modération, ils connaissent moins ça. C'est à l'opposé du design allemand, où chaque forme a une fonction. Les Japonais ont plutôt un petit côté fantaisiste, avec une surabondance de détails qui peuvent paraître caricaturaux. »

Le Montréalais Paul Deutschman, designer de confiance du préparateur de voitures sport américain Callaway, compare quant à lui la tendance actuelle du design automobile japonais à la folie qui s'est emparée des Américains à la fin des années 50. « C'est à cette époque que l'on a vu apparaître les ailes arrière démesurées des Cadillac Eldorado et autres Chevrolet Impala, a-t-il rappelé. Heureusement, cette phase n'a pas duré longtemps et on est rapidement passé à autre chose. Mais quand on adopte une tendance très exagérée, le danger est de voir ce design se démoder très rapidement. »

Ce danger ne guette toutefois pas tous les constructeurs japonais. Les designers que nous avons interrogés s'entendent tous pour dire que Mazda a été plus discipliné que ses concurrents et que le groupe Nissan-Infiniti semble avoir trouvé sa voie. À l'opposé, on comprend mal ce qui motive les créateurs de Lexus et Toyota.

Luc Bourgeois, designer.

Absence de tradition

Selon Pascal Boissé, les nouvelles tendances manifestées par certains designers japonais s'expliquent peut-être aussi par l'importance croissante du marché automobile asiatique, et plus particulièrement chinois. « On ne prend pas nécessairement le dessin le plus beau, mais celui qui est le mieux ciblé pour une clientèle particulière», nous a expliqué M. Boissé.

«Les marques européennes ne vont pas se travestir pour les acheteurs chinois, elles peuvent capitaliser sur leur notoriété et une longue tradition. De leur côté, les Japonais veulent se distinguer et plaire. Certains designers pensent que l'accumulation de signes visuels va donner un esprit à la marque. Souvent, on se limite à copier certaines caractéristiques d'un compétiteur et on les accentue de 10 %. »

Vouloir plaire à un marché en particulier est toutefois un couteau à double tranchant. Ça peut devenir difficile de prendre du recul. « Quand on vend une auto sur le marché international, il faut regarder plus large, a affirmé Paul Deutschman. Je pense que c'était un problème pendant des années chez les constructeurs américains. Au lieu d'examiner ce que faisaient Mercedes et BMW, ils se comparaient entre eux ; c'est une approche limitée et dangereuse quand le marché devient global. Peut-être que c'est un phénomène qui affecte le design japonais en ce moment. »