Elles ouvrent la voie aux énergies propres, elles pulvérisent les stéréotypes de genre, elles réinventent le marché automobile en osant les garages coopératifs et les concessionnaires aux valeurs humaines... Portraits de femmes d'exception qui ne craignent ni le jugement ni les moteurs capricieux.

MARILYNE VEILLEUX, 30 ans

Elle ignorait comment changer un pneu ou mettre du liquide lave-glace dans sa voiture. Pourtant, en 2015, Marilyne Veilleux entreprend une volte-face spectaculaire en retournant sur les bancs d'école en mécanique générale.

« J'avais alors une maîtrise en sciences de l'information, explique la jeune femme. J'avais eu de bons emplois dans mon domaine, j'étais sur la voie de l'indépendance financière, mais c'était la panique aussitôt que je devais accomplir un truc manuel aussi simple que de poser une tablette. Je ne me sentais pas autonome. J'avais également plusieurs frustrations liées au monde de l'emploi, notamment concernant la conciliation travail-famille. J'ai eu l'idée d'une coopérative en mécanique automobile, un garage multidisciplinaire qui redonnerait confiance aux femmes. »

Dès son premier cours au DEP en mécanique générale, elle se présente au groupe en mettant cartes sur table : « Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie, se souvient-elle. J'étais la seule fille. Je tremblais, j'avais le syndrome de l'imposteur. »

Marilyne Veilleux, Agnès Gaudreau et Audrey Wells (pas sur la photo) lanceront un garage coopératif en 2018. L'établissement portera le nom de Jeanne & filles, un hommage à Jeanne Brault, la première femme mécanicienne au Canada. Photo: André Pichette, La Presse

Marilyne fait rapidement ses armes. En l'espace de quelques semaines, l'écart de connaissances qui la séparait des jeunes passionnés de mécanique disparaît : « J'ai senti le respect des autres gars, surtout à cause de mon parcours universitaire. Je ne me suis jamais fait dire de retourner à mes livres. »

La mécanique automobile, une chasse gardée ?

Il serait cependant faux de croire que le chemin a été facile. Tout n'est pas rose au pays du moteur cylindré ! La mécanique générale, un des derniers bastions masculins, reste stigmatisée par ses vieux réflexes machistes.

« Les professeurs au DEP sont d'abord mécaniciens, explique Marilyne. On ne peut pas éliminer 10, 20, 30 ans de culture de garage du jour au lendemain ! Si un professeur se permet des commentaires sexistes durant ses cours, même sous le couvert de l'humour, il donnera le ton au reste de la classe. »

Encore en 2017, il reste difficile pour une femme de se faire respecter comme mécanicienne : « Quand tu réussis, les gens sous-entendent que c'est parce que le prof veut coucher avec toi. Si tu commets une erreur, c'est automatiquement parce que tu es une fille. »

Si elle a connu son lot d'accrochages avec certains étudiants, Marilyne était bien outillée pour faire face aux affronts. C'est d'ailleurs son aplomb de féministe aguerrie qui lui a permis de faire valoir ses droits quand elle a appris qu'elle était enceinte. Alors qu'on insistait pour qu'elle retourne à la maison, elle a finalement pu poursuivre ses études durant sa grossesse, autorisation médicale à l'appui. Seul le stage a été reporté.

Dans ce milieu qui suinte la testostérone, difficile d'être une minorité plus visible qu'une jeune femme enceinte : « Je n'ai jamais eu de découragement ou de jugement lié à mes compétences, mais plutôt lié au fait que je suis une femme. Quand tu es seule dans un groupe d'hommes, ce n'est pas évident. Il suffit d'être trois ou quatre femmes pour changer complètement la donne. Les commentaires déplacés ne passent plus. »

L'union fait la force

Pour renverser la vapeur et attirer plus de femmes dans le milieu, Marilyne souhaite favoriser le réseautage. Elle fait équipe avec d'autres femmes du secteur, dont Audrey Wells et Agnès Gaudreau, une amie qui, après des études universitaires en art, a décidé de retourner elle aussi faire un DEP en mécanique générale.

Les partenaires développent actuellement une véritable communauté de femmes de l'industrie : « À ce jour, nous avons contacté une centaine de mécaniciennes, explique Marilyne. Du jamais vu ! Nous organiserons bientôt des 5 à 7 tous les mois afin de développer des liens de solidarité. Quand on est seule dans une équipe de gars, on ne sait pas toujours vers qui se tourner pour du soutien et des conseils. »

Plus encore, elles proposeront sous peu des camps d'été pour les petits mécanos en herbe, puis elles organiseront des soirées de type Tupperware pour les gangs de filles qui souhaitent obtenir un cours d'introduction à la mécanique automobile : « On a parfois honte d'admettre qu'on ne sait pas changer un pneu, explique Marilyne. On n'ose pas non plus poser des questions quand on est au garage. Il suffit de quelques heures pour avoir davantage confiance en ses moyens. »

Jeanne et filles

Le point culminant du projet de Marilyne, Agnès et Audrey sera le lancement de leur garage coopératif, un concept inclusif qui verra le jour en 2018 et qui portera le nom de Jeanne & filles, un hommage à Jeanne Brault, la première femme mécanicienne au Canada, morte il y a quelques années. 

« Nos services seront offerts aux femmes comme aux hommes, mais avec une attention particulière sur l'empathie et l'intégrité, explique Marilyne. On veut donner la possibilité d'apprendre, de poser des questions. Et pourquoi ne pas en profiter pour redorer un peu la réputation des mécaniciens ! » 

Au-delà de ses prestations accessibles et transparentes, le garage se distinguera surtout par ses perspectives d'emplois agréables pour les femmes du milieu : « La période post-diplôme est critique pour les jeunes mécaniciennes, affirme Marilyne. Plusieurs abandonnent quelques mois seulement après leur entrée sur le marché du travail. »

Multidisciplinaire, la coopérative permettra aussi aux femmes de travailler en fonction de leurs compétences et intérêts respectifs - la mécanique, oui, mais aussi le service à la clientèle, la comptabilité, le système informatique, le graphisme...

« Jeanne & filles va bien au-delà de la mécanique automobile. Elle nous permet d'offrir un cadre de travail où les femmes se sentent respectées et prises au sérieux, où elles ne vivent pas de harcèlement, où l'annonce d'une grossesse est une fête, pas un cauchemar de gestion... »

Son message pour les jeunes femmes qui convoitent un secteur non traditionnel ? « On a parfois l'impression d'avoir manqué le bateau si on n'a pas grandi dans un environnement manuel. Mon histoire prouve que ce n'est pas le cas. Mon DEP en mécanique automobile m'a apporté plus d'assurance que ma maîtrise universitaire. Je peux prendre ma voiture en plein hiver pour aller en Gaspésie. Je peux réparer les problèmes d'électricité de mon séchoir à cheveux. Je n'ai plus peur de rien. Ma formation m'a donné confiance en mes mains et j'ai maintenant envie de partager ce sentiment d'invincibilité. »