Renault est soupçonné par des enquêteurs du gouvernement français  d'avoir mis en place des «stratégies frauduleuses» depuis plus de 25 ans pour fausser des tests d'homologation de certains moteurs, des accusations dont le constructeur s'est défendu catégoriquement.Un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) conclut que toute la haute direction y compris le président de Renault, Carlos Ghosn, sont responsables de cette fraude alléguée, qui rappelle le scandale des moteurs diesel truqués chez Volkswagen.

Le numéro deux du constructeur, Thierry Bolloré, a apporté à l'AFP «un démenti formel» à ces accusations : «Renault ne triche pas (...) tous les véhicules ont été homologués conformément à la réglementation en vigueur», a assuré le dirigeant.

Logiciel truqueur

La Bourse de Paris a toutefois mal réagi, le titre perdant 7,4 % de sa valeur en deux jours de forts volumes.

Dans un rapport dont l'AFP a eu connaissance mercredi, la DGCCRF (le gendarme du ministère des Finances) suspecte le constructeur automobile d'avoir utilisé «un logiciel» programmé pour parvenir à respecter les normes réglementaires européennes antipollution.

Ce document, dont Libération a révélé l'existence, se concentre sur des modèles récents, mais la DGCCRF, qui s'appuie sur le témoignage d'un ex-salarié, estime que certaines pratiques remontent à 1990.

«Plusieurs véhicules étaient équipés de dispositifs de détection de cycle» qui permettaient à la voiture de repérer si elle était en train de passer des tests d'homologation. Dans ce cas, l'électronique adaptait le fonctionnement du moteur pour que ce dernier émette moins de polluants, d'après cet ancien technicien qui a quitté le groupe en 1997.

La première génération de Clio, sortie en 1990, était concernée pour les moteurs essence, d'après lui.

Carlos Ghosn nommé dans le rapport

La DGCCRF estime que «l'ensemble de la chaîne de direction de la société qui rend compte en dernier ressort à son PDG Carlos Ghosn» est impliquée.

«Aucune délégation de pouvoir n'a été établie par M. Ghosn concernant l'approbation des stratégies de contrôle utilisées pour le fonctionnement des moteurs», relève notamment la Répression des fraudes qui conclut à «la responsabilité» du PDG.

M. Bolloré s'est également inscrit en faux contre ces assertions: «Renault, comme toutes les sociétés, a des délégations de pouvoir et les a communiquées à la DGCCRF», a-t-il indiqué.

L'enquête du gendarme de Bercy se concentre sur les moteurs diesel Euro 5 et Euro 6, homologués à partir de septembre 2009.

Le document met en lumière des écarts de jusqu'à 377% entre les performances de certains modèles au moment de leur homologation en laboratoire et leur utilisation en conditions réelles.

«Dispositif frauduleux»

«Ces résultats permettent de soupçonner l'installation d'un dispositif frauduleux qui modifie spécifiquement le fonctionnement du moteur, pour en réduire les émissions de NOx (oxydes d'azote, NDLR) dans des conditions spécifiques du test d'homologation, afin que les émissions respectent les limites réglementaires», conclut la DGCCRF dans son procès-verbal.

Ses conclusions, rendues en novembre, ont largement contribué à l'ouverture de l'information judiciaire le 12 janvier par le parquet de Paris visant Renault pour «tromperie sur les qualités substantielles et les contrôles effectués».

Ces soupçons rappellent le scandale Volkswagen, qui a reconnu en septembre 2015 avoir équipé onze millions de ses véhicules diesel d'un logiciel truqueur. Partie des Etats-Unis, cette affaire a coûté pas moins de 23 milliards de dollars au géant allemand dans ce pays.

Mercredi, le syndicat CGT (Confédération générale du travail) de Renault a déploré que l'image de l'entreprise soit «fortement ternie par ces révélations» et appelé la direction à «faire toute la lumière sur cette affaire qui traîne depuis trop longtemps».

Pour Me Frédérik-Karel Canoy, qui recueille des noms pour une demande de recours collectif, «ces faits très graves nécessitent une réponse judiciaire qui, conformément au code pénal prévoit une réparation intégrale pour les parties civiles».

«Nous demandons le remboursement du véhicule litigieux à son prix d'achat, la prise en compte du préjudice moral et des frais d'avocats», a ajouté l'avocat qui a mis en place une plateforme pour recueillir les plaintes dans cette affaire.

L'Union française des consommateurs, partie civile depuis janvier, estime que ces travaux prouvent que les constructeurs «ont une façon bien à eux de considérer les normes», et dénonce «un laxisme des autorités sur plusieurs décennies, sur les normes et le contrôle», a déclaré son responsable juridique Nicolas Godfroy à l'AFP.

France Nature Environnement, qui veut également se porter partie civile, a quant à elle relevé que ces émissions, reconnues comme cancérigènes, «portent directement atteinte à la santé des citoyens».

Gros risques pour Renault

Q: Que risque Renault?

R: Aux termes du code de la consommation, la tromperie est punie d'un emprisonnement de deux ans et/ou d'une amende de 300 000 euros. Mais l'amende peut être portée à 750 000 euros et l'emprisonnement à sept ans en cas de circonstance aggravante.

Le Code prévoit en outre que le montant de l'amende puisse être porté à 10% du chiffre d'affaires du professionnel, proportionnellement à l'avantage tiré du manquement. La DGCCRF, dans son rapport, à estimé l'amende maximale de Renault à 3,58 milliards d'euros.

C'est à une décimale près son bénéfice net au titre de 2016 (3,54 milliards).

Les investisseurs n'ont pas apprécié ces révélations: le titre Renault a perdu jusqu'à 10% en trois jours à la Bourse de Paris.

Par comparaison, aux États-Unis, Volkswagen a mis fin aux poursuites en échange notamment du paiement d'une amende criminelle de 2,8 milliards de dollars.

Au total, Volkswagen a accepté de verser 23 milliards de dollars aux Etats-Unis, notamment pour indemniser quelque 600 000 automobilistes et réparer les dégâts causés à l'environnement par ses moteurs diesel

Renault ne commercialise pas de voitures en Amérique du Nord.

Cependant, le contructeur risque de voir son image «fortement ternie», selon les termes du syndicat CGT qui s'alarme de conséquences sur l'emploi.

Si les soupçons de triche depuis un quart de siècle, émis par la répression des fraudes, se concrétisent, Renault risque aussi une perte de confiance de ses clients, alors que le groupe a détenu en 2016 27% du marché français et 10,2% du marché automobile européen.

Des avocats mobilisent déjà des propriétaires de Renault pour en réclamer le remboursement.

Q: Quelles sont encore les zones d'ombre?

R: L'enquête va devoir déterminer si les faits de tromperie sont établis, et les éventuelles responsabilités, alors que la DGCCRF a estimé dans son rapport que «l'ensemble de la chaîne de direction» de Renault jusqu'à son PDG Carlos Ghosn était impliquée. Elle a aussi assuré qu''aucune délégation de pouvoir n'a été établie par M. Ghosn», ce dernier se retrouvant donc en première ligne. Une affirmation démentie à l'AFP mercredi par le numéro deux du groupe, Thierry Bolloré.

L'attitude des actionnaires reste également inconnue. M. Ghosn, qui ne s'est pas exprimé cette semaine, a déjà subi leur défiance: ces derniers, dont l'Etat qui détient près de 20% du capital, ont rejeté sa rémunération lors d'un vote non contraignant en assemblée générale en 2016.