Ottawa pourrait examiner les allégations de collusion impliquant les plus grands constructeurs automobiles allemands. Sans confirmer qu'une enquête formelle a été lancée au Canada, le Bureau de la concurrence rappelle avoir condamné une douzaine de firmes dans le secteur automobile depuis 2013.

Les allégations explosives, publiées la semaine dernière par le journal allemand Der Spiegel, font état d'un stratagème de collusion mis en place entre Volkswagen, Audi, Porsche, BMW et Daimler, le constructeur des voitures Mercedes-Benz.

Selon l'enquête, les « cinq grands » tiendraient depuis le début des années 90 des rencontres secrètes en vue de s'entendre sur une série d'aspects de leurs véhicules. Ils auraient comploté pour coordonner le développement de diverses technologies, notamment liées aux émissions polluantes, et partagé des stratégies liées à l'approvisionnement et aux coûts.

D'après le reportage, la manoeuvre a été éventée à la suite « d'autodénonciations » faites par Daimler, puis par Volkswagen. Les deux constructeurs, déjà empêtrés dans un autre scandale, espéreraient ainsi s'attirer la clémence des autorités allemandes.

Il faut dire que les constructeurs allemands s'exposent à des amendes records - et à une série de poursuites judiciaires - si ces révélations sont avérées.

La Commission européenne et l'Office anticartel allemand, qui n'ont pas encore ouvert d'enquête formelle, pourraient imposer des sanctions allant jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires des constructeurs, selon certaines estimations. Cela représente environ 50 milliards d'euros (73 milliards canadiens) en se basant sur leurs revenus de 2016.

Le département américain de la Justice se penche aussi sur ces sérieuses allégations, rapporte Bloomberg, mais aucune enquête officielle n'a encore été lancée.

Au Canada

Au Bureau de la concurrence du Canada, le porte-parole Jean-Philippe Lepage a indiqué hier que « les dispositions sur la fixation des prix de la Loi sur la concurrence interdisent les ententes entre concurrents à l'égard d'un produit qui visent à fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit ».

Tout en signalant que l'organisme « est tenu par la loi de faire ses enquêtes et de traiter l'information de façon confidentielle », il a précisé à La Presse que le Bureau « a souvent pris action dans le domaine de l'automobile ».

M. Lepage a cité 11 décisions rendues depuis 2013, notamment contre Mitsubishi Electric, Showa Corporation et Toyo Tire, pour le truquage d'offres concernant diverses pièces automobiles. Les amendes imposées varient entre 1,3 million et 130 millions de dollars. Yan Cimon, professeur titulaire au département de management de l'Université Laval, juge « tout à fait envisageable » que les autorités canadiennes agissent dans ce dossier.

« Pas une surprise »

Pour le professeur Thierry Pauchant, titulaire de la Chaire de management éthique à HEC Montréal, les révélations sur l'existence d'un possible cartel allemand n'ont rien de surprenant. « Je suis surpris qu'on soit surpris », résume-t-il.

L'expert fait valoir que la collusion existe dans une foule d'industries - finance, construction, pharmaceutique, automobile - depuis 250 ans.

Une situation analogue au dopage dans les sports olympiques, beaucoup plus systémique qu'on le pense, illustre-t-il.

« Dans l'industrie de l'automobile, on nous a dit qu'il y avait seulement des compagnies comme Volkswagen qui trichaient sur les émissions sur le CO2, mais on a ensuite réalisé que plusieurs compagnies faisaient ça, pas seulement Volkswagen. C'est généralisé. À force de dire : on ne sait pas, c'est simplement quelques firmes, c'est simplement dans quelques domaines, on arrive à un désengagement moral, et c'est très vicieux parce que ça minimise les conséquences. »

M. Pauchant plaide pour que les organismes comme le Bureau de la concurrence soient dotés « d'énormément plus de moyens », et que les responsables épinglés subissent des sanctions pénales.

Crédibilité entachée

La crédibilité des constructeurs allemands, déjà mise à mal par le scandale de 2015 sur les émissions polluantes chez Volkswagen, se retrouvera encore plus amochée si les allégations de Der Spiegel sont avérées, souligne pour sa part Yan Cimon.

Le professeur s'étonne que le stratagème allégué ait pu tenir pendant aussi longtemps avant d'être mis au jour. « C'est très dur de coordonner quelque chose comme ça sur une échelle comme ça. Ou sinon, ceux qui l'ont fait, c'est un petit groupe très restreint à travers les différents constructeurs, et les employés des chaînes de production n'étaient pas au courant. »

Selon Der Spiegel, quelque 200 employés répartis dans 60 groupes de travail auraient été impliqués dans les discussions entre les cinq constructeurs au fil des ans.