De X-Men à C.R.A.Z.Y., en passant par Louis CyrThe Curious Case of Benjamin Button et Le négociateur, plusieurs films et séries télévisées ont eu recours à des voitures d'époque durant leurs tournages à Montréal. Tour d'horizon d'une pratique complexe et fascinante.

Des pièces de collection sur un plateau de tournage

Si la métropole attire de nombreux tournages d'époque grâce à l'architecture hybride de ses quartiers, rappelant tantôt l'Europe, tantôt les États-Unis, elle compte également sur le savoir-faire de ses artisans. Aux côtés des costumiers, des maquilleurs et des responsables des décors, un autre type de professionnels s'affairent en coulisses pour retourner dans le passé: les spécialistes des voitures d'époque.

Que ce soit pour reconstituer le Paris des années 20, le Québec de la crise d'Octobre ou le Chicago d'Al Capone, un système a été créé pour mettre en relation les productions locales et étrangères avec les propriétaires des plus belles antiquités roulantes du Québec et du reste de la planète.

À l'étape de préproduction, l'équipe du film communique avec une entreprise spécialisée en voitures d'antan pour faire la liste de ses besoins en ce qui concerne les voitures, en prenant la peine de décortiquer la nature des personnages, leur profession et leurs revenus. «Par la suite, on rencontre les membres de la production pour leur présenter les photos des voitures disponibles, afin qu'ils arrêtent leurs choix», explique Jocelyn Bourcier, coordonnateur de véhicules chez Ciné-Mobile. L'entreprise compte près de 8500 photos d'automobiles disponibles et possède 300 voitures de toutes les époques, allant de 1940 à 2017.

Afin d'établir une base de données solide comprenant pratiquement toutes les voitures d'époque au Québec, le bouche-à-oreille s'avère incontournable. «Souvent, on trouve en y allant de contact en contact, souligne Maude Beaunoyer, assistante-coordonnatrice aux véhicules chez Réal Picture Car. Habituellement, un monsieur qui possède des voitures des années 20 connaît presque tous les autres qui en ont aussi.»

Trouver à l'extérieur du Québec

Avides de modèles rares, les collectionneurs québécois possèdent une variété fulgurante de voitures d'autrefois, y compris des marques étrangères qui n'ont jamais été vendues à grande échelle en province. Cependant, il arrive que la recherche s'étende au reste du Canada ou à l'international. 

«On essaie toujours de trouver à l'intérieur du pays, parce que si on doit acheter une voiture aux États-Unis et la faire venir, on risque de ne pas la recevoir à temps pour le tournage, précise M. Beaunoyer. Mais parfois, on va jusqu'en Europe. J'ai déjà fait venir une voiture de Budapest. Ce n'est pas donné, mais pour les besoins du tournage, on n'a pas le choix.»

De son côté, Ciné-Mobile a déjà fait faire plus d'un voyage à de grosses voitures américaines des années 70 pour le tournage du film Mesrine. «On les a d'abord fait venir au Québec, avant de les envoyer en France pour d'autres segments tournés à Paris», se souvient M. Boursier. Quelques années plus tôt, l'entreprise avait également travaillé très fort pour trouver des Mercedes avec le volant à droite pour le film français Bon voyage. «On les a fait venir directement d'Europe. Il nous fallait trois copies identiques parce qu'on devait faire des cascades avec deux d'entre elles», dit-il.

Convaincre les collectionneurs

En tout temps, les entreprises comme Ciné-Mobile et Réal Picture Car expliquent en détail quelle sera l'utilisation des voitures sur les plateaux. «On n'arrive pas le matin du tournage en leur disant qu'un cascadeur va conduire leur véhicule à 100 km/h, dit la coordonnatrice. On leur présente exactement ce qui sera fait. Et s'ils refusent un élément, ils refusent.»

Par exemple, si une voiture doit rouler dans la boue, sur une route de sable ou en pleine tempête de pluie, les collectionneurs sont plus réfractaires. «C'est particulièrement difficile quand il est question de neige artificielle, précise-t-elle. La fausse neige est difficile à enlever. Mais on arrive à les convaincre en leur disant que nous allons envoyer une équipe de nettoyage sur le plateau pour rincer rapidement la neige avec une machine à pression.»

Un argument qui soulage certains collectionneurs, eux qui prennent généralement un soin maniaque de leurs véhicules. «La plupart d'entre eux ne roulent jamais sous la pluie, quand ils peuvent l'éviter, explique Maude Beaunoyer. Ça peut être très long de nettoyer une voiture et de la polir.»

En cas de dommages causés à la voiture, la production s'engage à la réparer, mais il arrive tout de même que les collectionneurs refusent certaines conditions de tournage. «On doit alors changer un peu le modèle de voiture qu'on propose, affirme Jocelyn Bourcier. Ça plaît plus ou moins au réalisateur, mais il doit faire un compromis.»

Lorsque des cascades sont au programme (conduite dangereuse, accident, accrochage, etc.), les entreprises spécialisées achètent les voitures d'époque, plutôt que de les louer. «Heureusement, dans les films du genre, il y a peu de cascades, car ce serait trop cher, observe M. Bourcier. Il y a parfois des dérapages et des départs rapides, mais on essaie de minimiser le tout. Et on préfère acheter une voiture dans un contexte semblable. On ne veut jamais endommager la propriété d'un client.»

Assister au tournage

Les entreprises spécialisées font toujours valoir aux collectionneurs que leurs voitures ne seront jamais laissées seules sur un plateau et qu'un spécialiste se chargera de les conduire ou de montrer aux cascadeurs et aux comédiens comment s'en charger eux-mêmes. «En plus, les collectionneurs sont toujours autorisés à assister aux tournages. Parfois, ils feront de la figuration en conduisant eux-mêmes leurs voitures devant la caméra s'ils le désirent», explique Jocelyn Bourcier.

Chez Réal Picture Car, on demande carrément aux propriétaires de voitures d'époque d'être présents sur le plateau. «Même si nos employés sont des techniciens qui savent comment fonctionnent les voitures, il n'y a personne de mieux placé que le propriétaire lui-même pour gérer un véhicule, dit Mme Beaunoyer. Il connaît tous ses petits caprices et les trucs pour le faire fonctionner.»

Ce genre de détail permet d'établir un lien de confiance à long terme avec les collectionneurs. «Si une personne s'est sentie bien, qu'elle est venue sur le plateau et qu'il n'y a eu aucun problème, c'est sûr qu'elle va en parler à sa gang et avoir des bons mots», ajoute-t-elle.

Photo David Boily, archives La Presse

Le plateau de tournage du film The Death and Life of John F. Donovan de Xavier Dolan.

Combien ça coûte?

En faisant affaire avec Ciné-Mobile, un client-collectionneur peut s'attendre à recevoir entre 350 $ et 600 $ par jour pour l'utilisation d'une voiture. «Les coûts sont évalués en fonction des budgets des productions, du nombre de jours de tournage et du type de voiture, souligne M. Bourcier. S'il s'agit d'un modèle très rare, ça peut aller jusqu'à 800 $ par jour.» L'utilisation faite du véhicule influence également les coûts. «Si la voiture fait plus que passer devant la caméra ou se garer dans la rue, et qu'il y a une action avec un personnage, il faut payer davantage pour que le client accepte que le cascadeur ou l'acteur la conduise, affirme Maude Beaunoyer. Et si c'est un tournage américain, on donne plus que pour un tournage québécois.»