La justice allemande pourrait ouvrir la voie jeudi à des interdictions de circulation des voitures diesel les plus polluantes, une décision redoutée par les reponsables politiques comme par les constructeurs automobiles, qui se sont échinés à l'éviter.

Alors que la Commission européenne menace Berlin de poursuites pour son inaction face à la pollution, la Cour administrative fédérale doit statuer sur une mesure politiquement explosive: la possibilité d'interdire dans certaines zones les véhicules diesel les plus anciens, majoritairement responsables des émissions d'oxydes d'azote qui favorisent les maladies respiratoires et cardiovasculaires.

70 villes allemandes trop polluées

Selon l'Office fédéral de l'environnement, quelque 70 villes allemandes présentaient encore des taux de dioxyde d'azote supérieur au seuil annuel moyen de 40 microgrammes/m3 en 2017. Munich, Stuttgart et Cologne sont les plus polluées.

La Deutsche Umwelthilfe (DUH), une association de protection de l'environnement, a saisi les tribunaux pour forcer des dizaines de municipalités régionales allemandes, dont Stuttgart (sud) et Düsseldorf (ouest), à durcir leur réponse à la pollution de l'air.

Enjoints en première instance d'envisager des interdictions de circulation des véhicules les plus polluants dans leurs capitales respectives, les États régionaux du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie se sont tournés vers la Cour fédérale administrative située à Leipzig (est).

Cette dernière examinera leurs requêtes durant la matinée jeudi et pourrait rendre une décision de principe dans la journée.

«C'est une question de compétence: un État régional doit-il ou peut-il agir, ou bien est-ce à l'État fédéral de le faire?», résume Winfried Hermann, ministre des Transports du Bade-Wurtemberg, interrogé par l'AFP.

Bannir de certaines zones les voitures diesel est très impopulaire chez les automobilistes et dans les milieux économiques, notamment l'artisanat, «au motif qu'on ne peut pas entraver la liberté des gens, qu'on ne peut pas déposséder les propriétaires de diesel», explique M. Hermann, membre du parti écologiste qui gouverne la région avec les conservateurs du parti CDU.

Un épouvantail qui fait chuter les ventes d'autos diesel

La simple perspective de telles interdictions a accéléré la chute des ventes de voitures diesel dans le pays qui a inventé cette technologie. Leur part de marché est passée de 48% en 2015 à 39% environ en 2017.

Pour tenter d'échapper à une interdiction partielle visant des millions de véhicules diesel de normes Euro 5 et antérieures -commercialisés jusqu'en 2015-, la puissante industrie automobile et le gouvernent ont tout fait pour amadouer les tribunaux.

Berlin a mis sur pied un fonds d'un milliard d'euros pour aider les villes à développer leur réseau de transports publics ou encore leur flotte de véhicules électriques. Le gouvernement a également formulé une proposition, sans projet concret ni financement, de gratuité des transports en commun dans certaines villes en réponse à l'insistance de Bruxelles.

Les constructeurs allemands (Volkswagen, Daimler, BMW) ont pour leur part entamé une mise à jour logicielle de millions de véhicules diesel pour en réduire les émissions polluantes, et mis en place des primes à l'achat de véhicules plus propres.

Autant de mesures jugées insuffisantes par les associations de protection de l'environnement et par les experts.

Berlin sous pression

Les propositions du gouvernement «ne sont qu'une goutte d'eau dans la mer et n'empêcheront pas les interdictions de circulation», estime Ferdinand Dudenhöffer, du centre de recherche sur l'automobile CAR. Il réclame des modifications en profondeur des moteurs diesel, jugées jusqu'ici trop coûteuses et complexes par les constructeurs.

La Cour de Leipzig devrait affirmer «que la santé des gens est plus importante que le droit à conduire une voiture», pronostique Winfried Hermann.

Si elle confirme les jugements des tribunaux administratifs de Stuttgart et Düsseldorf, les États régionaux concernés devront mettre en place des interdictions sur mesure.

Cette solution ne satisfait pas la ville de Stuttgart ni le Land du Bade-Wurtemberg, qui réclament des instruments fiables comme une «vignette bleue» valable nationalement, à laquelle Berlin se refuse jusqu'à présent.

Mais elle enverra un signal clair, capable d'influencer d'autres jugements à venir dans le pays, et devrait accentuer la pression sur Berlin.

Les villes doivent s'y préparer, a averti le président de la fédération des communes allemandes, Helmut Dedy. «Je serais très étonné si nous échappions aux interdictions de circulation», a-t-il déclaré, regrettant «la trop grand frilosité» de Berlin face à l'industrie automobile.