Après avoir été littéralement menacée d'extinction, l'industrie automobile britannique de grand luxe connaît de beaux jours. Cet été, nos journalistes Pierre-Marc Durivage et Simon Giroux ont eu l'occasion de visiter les usines d'Aston Martin, Bentley, Jaguar, Land Rover et Rolls-Royce. Bienvenue dans l'univers des cuirs fins, du bois exotique... et des ronronnants 12 cylindres !

>>> Les modèles les plus marquants de Bentley en images

En 2003, Bentley peine encore à sortir de l'ombre de Rolls-Royce, et continue de traîner une image rétro-chic un peu duveteuse. Le petit constructeur de grand luxe amorce alors un irrésistible revirement qui en fera quelques années plus tard le leader de sa catégorie.

Au tournant du XXIe siècle, Bentley arrive à peine à vendre 1000 voitures par année. Mais le Groupe Volkswagen, qui a acheté le petit constructeur de Crewe en 1998, n'a pas investi à ce jour 1,8 milliard de dollars par pure philanthropie.

« C'est la différence entre les dirigeants d'entreprise et les véritables visionnaires », nous a raconté le président de Bentley, Christophe Georges, à l'occasion d'un souper organisé à Crewe par le concessionnaire montréalais Decarie Motors. « Le Dr Ferdinand Piëch [PDG de Volkswagen à l'époque] avait dit en achetant Bentley qu'on allait vendre plus de 9000 voitures par année. Ç'a fait rire tout le monde. Nous, on savait qu'il y avait une demande, mais on n'avait pas les moyens d'investir avant que Volkswagen ne vienne nous appuyer. »

Il a toutefois fallu redéfinir Bentley, établir la direction à prendre. « On a complètement ressuscité le nom Bentley, qui était dans l'ombre de Rolls-Royce, a reconnu M. Georges. D'abord en introduisant la GT, qui a transformé la marque. Et puis, pour ne pas oublier d'où l'on vient, il nous fallait retourner en sport automobile. »

Bentley s'est donc redéfini par le sport. La GT, premier véhicule Bentley conçu au sein du Groupe VW, est arrivée en rupture importante avec les voitures proposées par Bentley depuis des décennies. Mais le risque s'est avéré incroyablement payant. Le coupé de grand luxe ultraperformant a en effet fait exploser les ventes du constructeur, qui ont décuplé en seulement quatre ans, de 2003 à 2007, établissant un record qui n'a finalement été battu que l'an dernier, avec 10 120 voitures vendues, une augmentation de 19 % par rapport à 2012. Le bénéfice d'exploitation a quant à lui atteint 100,5 millions d'euros en 2012.

En piste, Bentley a remporté les 24 Heures du Mans en 2003 grâce à un bolide prototype conçu sur les bases d'une voiture de course Audi. Et il a fait forte impression cette saison en inscrivant une version GT3 de sa Continental dans quelques épreuves en Europe et en Amérique du Nord, signant trois victoires. « Le sport fait partie de notre histoire, a affirmé Christophe Georges. C'est pour ça qu'il faut y revenir, qu'on en parle, et qu'on maintienne cette association. »

Proposer des voitures résolument sportives et se démarquer en piste risque-t-il de dénaturer la marque, d'abord et avant tout associée au grand luxe ? « Ce n'est pas la forme de la voiture ou de sa carrosserie qui va changer nos valeurs, s'est enflammé avec passion le président de Bentley. Ça ne sacrifie en rien notre façon de construire nos voitures. Bentley n'est pas une création de marketing. L'entreprise a été fondée il y a longtemps, cela a nécessité beaucoup de travail, un respect des traditions, des habiletés entretenues avec le temps, et tout s'est traduit dans une forme d'art contemporain. Bentley se veut une combinaison parfaite entre le luxe, l'artisanat automobile et une sportivité extraordinaire. »

UN VÉRITABLE VUS DE LUXE

La direction de Bentley ne croit donc pas qu'il soit dangereux d'augmenter les volumes de production, un objectif avoué. « Quand on fait le design de la voiture et que l'on planifie sa production, on garde toujours en tête les volumes de production envisagés, explique Ashley J. Wickham, directeur de projet chez Bentley. Cela permet de prévoir différents cycles de production, si bien que nous attribuons la main-d'oeuvre et l'équipement nécessaires à la production de chaque type de véhicule. Nous pouvons donc nous ajuster en fonction des volumes de production désirés ; si la demande est là, nous pouvons construire davantage d'autos. »

Pas d'inquiétude, donc, pour la production du prochain VUS Bentley, qui doit arriver sur le marché en 2016 - et dont on a furtivement aperçu la silhouette lors de notre visite à l'usine de Crewe. « On va redéfinir le segment des VUS de grand luxe, qui n'existe pas encore, a affirmé Christophe Georges. Ce sera bien au-dessus des Range Rover, ce sera le premier véritable VUS de grand luxe. »

En fait, pour le président de Bentley, l'avenir du constructeur passe par sa croissance. « Si nous voulons atteindre le niveau de qualité attendu par notre clientèle, nous ne pouvons pas nous permettre de rester petits et vendre 5000 voitures par année, a affirmé M. Georges. Si on veut avoir les moyens d'investir pour continuer de construire d'excellentes voitures, on a besoin d'en vendre et même de grandir.

« Même si nous vendons 15 000 voitures par année, nous allons demeurer une marque exclusive, a-t-il assuré. Pour nous, l'exclusivité se traduit par le fait de ne pas compromettre la façon dont nous construisons nos voitures, dans le respect des valeurs qui définissent la marque. »

Les frais d'hébergement ont été payés par Décarie Motors.

En bref

La Bentley Embiricos

Le pilote et armateur grec André Manis Embiricos charge le carrossier français Georges Paulin de l'atelier Pourtout de carrosser une Bentley 4,25 litres de 1938 en lui donnant des lignes aérodynamiques franchement futuristes pour l'époque. La carrosserie d'aluminium permet de retrancher presque 160 kilos par rapport aux Bentley habituellement carrossées dans les ateliers britanniques. Aussi, on porte de 125 à 140 chevaux la puissance du six-cylindres en augmentant son taux de compression et en le gavant de carburateurs plus gros. La voiture ainsi modifiée établit un record de vitesse à la course de Brooklands en conservant la moyenne de 184,5 km/h pendant une heure. Son deuxième propriétaire, H.S.F. Hay, participe quant à lui trois fois aux 24 Heures du Mans après la Seconde Guerre mondiale, signant une respectable sixième place en 1949. Mais, au-delà de tout, l'Embiricos deviendra la plus fameuse Bentley des années 30 et définira le nouveau langage visuel de Bentley. Elle va même inspirer le design de l'actuelle Continental GT.

La collection du Sultan

Le Sultan Hassanal Bolkiah du Brunei est réputé posséder la plus vaste collection de voitures de luxe au monde, certaines sources soutiennent que le souverain du petit État pétrolier du Sud-Est asiatique a jusqu'à 4000 véhicules exclusifs. Le Sultan n'a pas seulement mis la main sur des voitures sans prix, il a aussi mandaté certains constructeurs de lui fabriquer des modèles uniques. C'est le cas de Bentley, qui a construit pour le Sultan tout près de 200 voitures entre 1989 et 1996. La plus fameuse est sans doute la Java, voiture concept présentée au Salon de Genève en 1994. Présent lors du dévoilement, le Sultan propose d'acheter l'auto, même si elle n'était pas destinée à la production. Au final, il en commande 12, sous forme de coupé, de familiale et de décapotable. En 1996, il demande à Bentley de lui construire un VUS - le Dominator -, qui n'est en fait qu'un Range Rover maquillé avec la mécanique de la Continental R.

Bentley Speed 8

Après une absence de 71 ans, Bentley fait un retour remarqué aux 24 Heures du Mans en 2001 avec le prototype EXP Speed 8. Au départ, il s'agit en fait d'une carrosserie Bentley posée sur la mécanique de l'Audi R8C inscrite au Mans en 1999. Mais Audi avait choisi de laisser tomber le projet de prototype fermé pour se concentrer sur la R8R à cockpit ouvert (qui allait engendrer la R8 cinq fois championne). Le Groupe Volkswagen en profite donc pour orchestrer le retour de Bentley sur la scène du sport automobile. En 2003, l'évolution de l'EXP Speed 8, simplement rebaptisée Speed 8, signe un doublé historique au Mans. Elle sera la seule voiture qui réussira à briser l'hégémonie d'Audi entre 2000 et 2008.