Le groupe automobile japonais Nissan a acheté 34 % des parts de Mitsubishi Motors, son compatriote en proie à un scandale de fraude. La transaction de 2,8 milliards de dollars canadiens vient renforcer l'Alliance Renault-Nissan en améliorant sa position sur certains marchés d'Asie et sur certains segments de produits. Mais c'est surtout pour Nissan une façon d'éliminer un problème en l'achetant.

En devenant le principal actionnaire de Mitsubishi Motors, l'Alliance Renault-Nissan (qui compte aussi le russe Avtovaz) verra ses ventes annuelles dépasser les 9,5 millions d'unités, non loin du trio de tête mondial composé du japonais Toyota, de l'allemand Volkswagen et de l'américain General Motors.

Mitsubishi Motors va émettre des actions à l'intention de Nissan pour un montant total de 237,36 milliards de yens (2,8 milliards de dollars CAN). L'action Mitsubishi Motors a bondi de 16,16% jeudi à la confirmation des pourparlers.

D'ici octobre, Nissan va devenir le plus important actionnaire de Mitsubishi, surpassant son actionnaire historique Mitsubishi Heavy Industries, qui conservera toutefois le contrôle sur une quantité d'actions à peu près égale à celle de Nissan via d'autres compagnies liées au holding Mitsubishi. 

Les deux partenaires resteront cependant bien «séparés», a insisté le PDG de Nissan Carlos Ghosn lors d'une conférence de presse. «Il n'y a pas de confusion: Nissan est Nissan, Mitsubishi est Mitsubishi, une compagnie indépendante avec sa propre stratégie et sa propre direction».

Régler un problème en l'achetant

Cet investissement à un moment critique « est une façon osée d'inoculer Nissan contre les répercussions du scandale chez Mitsubishi », qui vient d'admettre un quart de siècle de tricherie, explique l'agence Bloomberg dans une analyse de cette transaction surprise. Ces dernières semaines, le fabricant de l'Outlander et de la Lancer a admis avoir manipulé les données de consommation d'essence pour embellir la fiche énergétique de ses modèles. D'après les détails de l'affaire fournies par Mitsubishi il semble que seules les données fournies au gouvernement japonais aient été trafiquées, pas celles fournies aux gouvernements des pays où ses modèles sont exportés.

Nissan est concernée parce que Mitsubishi fabrique en sous-traitance deux modèles de mini-voitures keï-cars vendues en concession Nissan et distribués avec l'écusson Nissan. Ces deux modèles ont aussi des cotes de consommation d'essence japonaises falsifiées par Mitsubishi.

En devenant le principal actionnaire de Mitsubishi, Nissan refait la réputation très amochée, au Japon, de Mitsubishi Motors. Sans contrôler les opérations au jour le jour, Nissan pourra influencer les décisions chez son nouvel allié, en plus de participer aux éventuels profits. À noter que les 34 % de Mitsubishi Motors détenus par Nissan correspondent à peu près aux 34 % que détiennent conjointement le grand holding Mitsubishi Heavy Industries et quatre compagnies liées.

Mitsubishi Heavy Industries          12,6 %.

Mitsubishi Corporation                 10 %

MHI Automotive Capital LLC 1        3,9 %

Banque Tokyo-Mitsubishi               3,9 %

MHI Automotive Capital LLC 2        3,45%

Mitsubishi renforce Nissan dans quelques créneaux

La transaction ressemble à celle qui a permis à Renault de devenir actionnaire de contrôle de Nissan à la fiun des années 90.

Comme Nissan à cette époque, Mitsubishi Motors est forte dans quelques zones géographiques (notamment la Thaïlande) et dans quelques segments (notamment les keï-cars), mais sa valeur boursière a chuté. Et comme dans le cas de Nissan à cette époque, la transaction se fait à prix d'aubaine, puisque l'action de Mitsubishi Motors a chuté. Nissan peut comprendre Mitsubishi Motors parce que « nous avons été dans le pétrin il n'y a pas si longtremps », a dit Ghosn jeudi.

Les relations actionnariales entre Renault et Nissan ne seront pas affectées par l'opération. Le français détient 43% de Nissan, et le japonais contrôle 15% de la marque au losange, dans le cadre d'une alliance nouée en 1999.

M. Ghosn a salué une transaction «potentiellement gagnante-gagnante pour les deux compagnies». «Nous envisagions de renforcer notre collaboration depuis un certain temps, et sur ce la crise est survenue, accélérant les choses», a expliqué le PDG.

«Nous aiderons Mitsubishi Motors à relever les défis auxquels elle est confrontée et à restaurer la confiance des consommateurs», a-t-il souligné. «Mais l'opération annoncée aujourd'hui porte aussi sur la future croissance de Mitsubishi dans le cadre de notre famille, construite autour du pilier de notre alliance de 17 ans avec Renault».

«J'ai l'impression que M. Ghosn cherche là le couronnement de sa carrière», a commenté pour l'AFP Seiji Sugiura, analyste au centre de recherche Tokai à Tokyo. Il a «saisi l'occasion» et profité du scandale pour s'offrir Mitsubishi Motors à bas prix.


C'est Nissan qui a démasqué la fraude

Les deux groupes étaient déjà partenaires: Nissan fournit des berlines à Mitsubishi Motors, qui fabrique de son côté des mini-véhicules pour Nissan. C'est d'ailleurs Nissan qui a découvert des irrégularités concernant la mesure de consommation de carburant de ces mini-voitures, populaires au Japon.

Les ingénieurs de Nissan ont découvert le pot aux roses après avoir fait des tests d'un nouveau modèle de mini-voiture keï-car Mitsubishi que Nissan avait l'intention de commercialiser sous l'écusson Nissan. En comparant leurs résultats avec les données officielles fournies par Mitsubishi, ils ont constaté des écarts. La direction de Nissan a posé des questions à Mitsubishi Motors. On ne sait pas ce qui s'est dit en haut lieu, mais quelques jours plus tard, le 20 avril, Mitsubishi Motors a divulgué que les données de quatre modèles avaient été manipulées. Il a ensuite reconnu avoir utilisé des tests non homologués au Japon depuis 25 ans, disant avoir des «suspicions» portant sur plusieurs modèles.

Complémentarités

Depuis ces révélations, les commandes de Mitsubishi Motors ont plongé dans l'archipel, de même que l'action - qui s'est effondrée de plus de 40% -, suscitant des inquiétudes sur l'avenir du groupe, un des plus petits constructeurs japonais avec seulement un million de véhicules vendus par an.

Mercredi, ses dirigeants avaient assuré pouvoir gérer la crise sans avoir à recourir à l'aide des sociétés de la galaxie Mitsubishi, qui étaient venues à sa rescousse lors d'un précédent scandale dans les années 2000.

La transaction «va apporter, je pense, d'énormes avantages à Mitsubishi Motors, mais Nissan aussi va en profiter», a relevé Carlos Ghosn, citant les performances de son compatriote en Asie du Sud-Est» où Nissan connaît au contraire des difficultés, tandis qu'il est bien implanté aux Etats-Unis où Mitsubishi Motors nourrit des ambitions.

Le projet fait sens, confirment les analystes, Nissan et Mitsubishi Motors disposant en outre de complémentarités technologiques (électrique et hybride). MMC peut par ailleurs faire valoir ses deux produits vedettes: les 4x4 et les mini-voitures.

L'opération s'inscrit dans le cadre d'une recomposition de l'industrie automobile japonaise, riche de huit constructeurs et même d'une dizaine en comptant les fabricants de poids lourds: Toyota a ainsi récemment décidé d'acquérir la totalité de sa filiale Daihatsu.

«L'environnement a changé, il est difficile de survivre seul», a expliqué le président du conseil d'administration de Mitsubishi Motors, Osamu Masuko.

De manière plus large, ce rapprochement pourrait entraîner d'autres changements dans un secteur où les partenariats sont nombreux. Mitsubishi Motors opère une usine en Russie avec le Groupe PSA, principal concurrent de Renault.