Les concessionnaires automobiles de la plupart des régions du Québec ouvrent leurs portes du lundi au vendredi. On a souvent annoncé la fin du congé de samedi pour les vendeurs d'autos, mais il semble que cette fois pourrait être la bonne...

Il y a du nouveau chez Olivier Ford depuis janvier, mais ce n'est sans doute ni la carrosserie ni la puissance des moteurs des voitures alignées dans la cour du concessionnaire de Saint-Hubert qui font le plus jaser. Depuis deux semaines, Olivier Ford est ouvert sept jours sur sept. Vous avez bien compris: les samedis et les dimanches aussi.

Si Jacques Olivier vendait des réfrigérateurs ou des matelas, il n'y aurait pas de quoi écrire une ligne dans le journal: la majorité des commerces de détail sont ouverts depuis belle lurette sept jours sur sept, été comme hiver. Dans le domaine de la voiture neuve, c'est une autre histoire. Les horaires sont dictés par les corporations automobiles régionales (il en existe 10 au Québec), dont la plupart interdisent à leurs membres de recevoir des clients le week-end. En contrepartie, ils sont libres d'ouvrir jusqu'à 21 h du lundi au vendredi.

Consultés en assemblée générale l'automne dernier, les concessionnaires de Montréal ont rejeté à 90% l'idée de modifier cet horaire imposé depuis des dizaines d'années, mais le débat semble loin d'être clos pour autant. La preuve: Jacques Olivier Jr n'est pas le seul à avoir enfreint les règles de la coalition sous peine d'en être exclu. En octobre dernier, le concessionnaire Mazda de Châteauguay a aussi fait le grand saut.

«J'y pensais depuis longtemps, mais ce sont les travaux sur le pont Mercier, l'été passé, qui m'ont décidé. À cause de la congestion, les gens arrivaient beaucoup plus tard chez eux. Le temps qu'ils soupent, il était déjà 20 h, ils n'avaient plus le temps d'aller magasiner une voiture. Certains nous ont appelés pour se plaindre. On les a écoutés. Ce n'est pas le marchand qui est maître et roi, mais le client», dit Claude Labrèche, directeur général de Châteauguay Mazda.

«Les gens ont de moins en moins de temps libres et avec les horaires limités du lundi au vendredi, on les oblige presque à prendre congé pour acheter une voiture. Ce n'est pas logique», ajoute Jacques Olivier Jr.

Le vent tourne?

Si Claude Labrèche se sent encore un peu comme un «Gaulois», alors qu'à peine une dizaine de concessionnaires ouvrent les samedis ou les dimanches dans la grande région de Montréal, sur un total de quelque 220, il est convaincu qu'il ne le sera plus très longtemps. «Le changement est inévitable et il s'en vient à grands pas [...]. Les samedis deviendront bientôt les plus importantes journées d'affaires», prédit-il. Comme ils le sont déjà aux États-Unis.

Professeure de marketing à HEC Montréal, JoAnne Labrecque qualifie ces marchands de «visionnaires». «On demande aux commerces d'avoir une approche beaucoup plus portée vers le client, mais ce secteur ne s'adapte pas. C'est comme s'il avait plusieurs années de retard. Même les banques commencent à ouvrir le samedi!», souligne Mme Labrecque, qui a déjà acheté une auto en Ontario pour avoir le loisir de le faire... un samedi!

 

Photo Martin Chamberland, La Presse

Depuis le début de l'année, Jacques Olivier fils a décidé d'ouvrir les portes de sa concession Ford sept jours sur sept.

Opposition

Cela dit, si changement il y a, il ne devrait pas se faire sans heurts. Claude Labrèche a dû affronter quelques manifestants les deux premiers week-ends, des commentaires haineux et des menaces de travailleurs mécontents.

Les opposants se plaignent d'abord des impacts sur les conditions de vie des employés du secteur, qui travaillent déjà jusqu'à 21 h tous les soirs de la semaine et perdraient le privilège d'avoir congé tous les week-ends. Maurice Blondin, de la Corporation des concessionnaires des Laurentides, ne regrette pas du tout l'époque où il devait travailler les samedis, il y a de cela plus de 40 ans. «Il faudra penser à abaisser les heures d'ouverture ailleurs, mais la qualité de vie va baisser, c'est sûr.»

Si le statu quo continue de prévaloir, c'est aussi parce que les bénéfices économiques sont sérieusement mis en doute. «Les ventes de voitures n'augmenteront pas nécessairement: elles seront sans doute simplement diluées sur une plus grande période, alors que les frais d'exploitation, eux, augmenteront certainement», explique Denis Dessureault, vice-président de la Corporation des concessionnaires automobiles de Montréal qui, comme M. Blondin, ne voit pas de grand changement poindre à l'horizon. «La question revient souvent sur le tapis, mais le constat, lui, ne change pas.»

De fait, Michel Salotti, vice-président au marketing chez Fortier Ford à Montréal, qualifie de «petite» l'augmentation des ventes de voitures neuves depuis le passage à la semaine de sept jours, il y a quelques années. La hausse est beaucoup plus importante dans le secteur des véhicules d'occasion ("30% environ) où la compétition est aussi plus féroce puisque les marchands ne sont pas soumis aux mêmes normes et ouvrent majoritairement du lundi au dimanche.

On pourrait aussi penser que le directeur général de Pie IX Dodge Chrysler, Richard Berthiaume, a regretté d'avoir répondu aux sirènes du week-end, en 2007, lui qui n'a tenu qu'un an avant de revenir à un horaire de cinq jours. Il faut dire que le moment choisi était loin d'être idéal, juste avant la débandade de Chrysler qui a fait chuter les ventes à l'échelle nationale. «Je reste convaincu qu'on devrait ouvrir les week-ends pour mieux satisfaire nos clients.»

Mieux, dit cet homme qui suit évidemment d'un oeil attentif les horaires de ses collègues: «L'année 2012 sera une année charnière [...] on sent qu'il y a une vague de fond.» Et dans ce cas, les premiers à faire le saut seront évidemment ceux qui en tireront le plus de bénéfices, note JoAnne Labrecque.

Photo Robert Skinner, archives La Presse

En 2007, l'idée d'ouvrir les concessionnaires d'autos les fins de semaine à Montréal a soulevé un tollé. La tendance semble irréversible.

Ailleurs en province

Ce qui est exceptionnel à Montréal ne l'est pas du tout à Rouyn-Noranda ni à Ottawa. Les heures d'ouverture des concessionnaires automobiles sont décidées en assemblée générale par les membres de chacune des 10 corporations de concessionnaires de la province et diffèrent ainsi d'une région à l'autre.

En Abitibi, par exemple, les concessionnaires ont coupé la poire en deux et ouvrent les samedis de la mi-septembre à la mi-mai, et ferment tôt les lundis et mardis. Ils conservent ainsi leurs week-ends l'été et limitent leur nombre d'heures. En Outouais, les concessionnaires ouvrent du lundi au jeudi de 9h à 21h, les vendredis jusqu'à 18h et les samedis jusqu'à 16h. Les travailleurs peuvent profiter de leurs vendredis et samedis soirs, ainsi que de leurs dimanches.

La région de Québec est divisée en sept territoires aux normes variables. Les concessionnaires de Charlevoix, de Portneuf et de Bellechasse peuvent travailler les samedis, mais n'ont pas le droit d'en faire la promotion dans les secteurs où cette pratique est interdite, pour limiter les effets de la concurrence.

Les corporations du Richelieu, des Laurentides, de l'Estrie et de la Mauricie interdisent l'ouverture les week-ends, hormis à l'occasion d'événements spéciaux.

Aux États-Unis, le samedi est «l'une des plus importantes journées de ventes», confirme le porte-parole de la National Automobile Dealers Association, Charles Cyrill. La plupart des États interdisent toutefois l'ouverture les dimanches.

Photo Martin Roy, archives Le Droit

À Gatineau, les concessionnaires sont ouverts jusqu'à 18h les vendredis et à 16h les samedis.

Acheter sur le web, même la nuit?

Si les concessionnaires ouverts les week-ends sont encore des cas d'espèce à Montréal, force est d'admettre que dans les faits, il est déjà possible d'acheter une auto neuve sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Sur le web, bien sûr.

Les concessionnaires automobiles disposent de sites internet de plus en plus complets incluant l'achat en ligne.

Cela dit, la pratique est encore loin d'être devenue la norme. Michel Salotti, de Fortier Ford, constate qu'à peine deux ou trois transactions se font de A à Z sur le web chaque mois. «Il y a beaucoup de détails à régler, ce n'est pas aussi simple à acheter qu'une télévision», dit-il.

Le CAA ne recommande pas cette pratique. «Il est absolument primordial d'essayer une voiture avant de l'acheter, tranche Cédric Essiminy, porte-parole de la division québécoise de l'organisme. On a beau trouver un vêtement joli sur un mannequin, il ne nous ira pas nécessairement bien. Et il est impensable de payer 25 000$ pour un véhicule sans avoir vérifié qu'il est confortable, que le volant ou le plafond n'est pas trop bas pour nous, l'accélérateur trop sensible, etc.» N'empêche, plusieurs concessionnaires confirment que l'internet a beaucoup changé la donne. «Les clients sont beaucoup mieux informés, ils ont des questions plus précises», dit Richard Berthiaume, de Pie-IX Dodge Chrysler.

Il est plus facile de comparer les promotions offertes. «Les clients n'iront plus nécessairement chez le concessionnaire le plus près de chez eux, mais chez celui qui a les meilleurs rabais», ajoute la professeure de marketing JoAnne Labrecque. Ou encore, chez celui qui propose les heures d'ouverture leur convenant le mieux. Le samedi matin, peut-être?

Photo Armand Trottier, archives La Presse

Plusieurs concessionnaires confirment que l'internet a beaucoup changé la donne. «Les clients sont beaucoup mieux informés, ils ont des questions plus précises», dit Richard Berthiaume, de Pie-IX Dodge Chrysler.