Les deux tiers de la population mondiale vivent aujourd'hui dans des pays où l'on conduit dans la voie de droite. Contrairement aux Britanniques et à des centaines de millions d'autres. L'histoire nous apprend pourtant que pour nos déplacements, tout a commencé... à gauche. Voyage dans le temps.

Ce qui constitue aujourd'hui une originalité était donc autrefois la norme. Il faut remonter aussi loin qu'à l'Antiquité pour réaliser que l'être humain a en effet commencé à se déplacer sur la gauche. Les chemins n'étant pas sûrs pour nos ancêtres, à l'approche d'un inconnu, ceux-ci devaient se tenir prêts à dégainer l'épée (accrochée à gauche sur la ceinture), à l'aide de la main droite. La meilleure position sur la voie pour faire ce geste était alors naturellement la gauche.

Avec le temps, l'homme a délaissé la marche à pied pour se déplacer à cheval. Toujours en respectant ce même principe de circulation, pour la même raison fondamentale. D'autant plus qu'au Moyen-Âge, l'épée se portait toujours à gauche, maniée le plus souvent avec la main droite. Les cavaliers enfourchaient leur monture par le flanc gauche, enjambant l'animal avec la jambe droite de façon à ne pas être gênés par l'épée. Une habitude qui a perduré jusqu'à nos jours dans le domaine hippique.

Il y a toutefois une nuance à apporter à cette période de l'histoire des déplacements. Plus nombreux sur les chemins et sur les routes, les roturiers ne tenaient apparemment pas systématiquement leur gauche et se déplaçaient souvent au centre de la voie.

Jusqu'au XVIIIe siècle, le flot de la circulation n'est pas réglementé. Mais c'est à cette époque qu'intervient le véritable changement dans les déplacements de l'homme. Un véhicule bouleverse alors la norme et dicte... une certaine conduite: le chariot.

Un nouveau type nommé Conestoga impose de diriger l'attelage en plaçant le cocher sur le dos du cheval de gauche de la paire la plus proche de ce chariot destiné au transport de marchandises. Le cocher manie le fouet et contrôle les chevaux plus aisément, et veille plus facilement au croisement parfois délicat avec un autre attelage venant de la gauche. Le Conestoga est rapidement devenu populaire sur la côte est américaine et dans la plupart des pays d'Europe. Conséquence, la circulation à droite avec une position de conduite à gauche se démocratise et l'État de Pennsylvanie devient le premier à officialiser cette conduite, en 1792.

Entre-temps, un homme assoit l'utilisation de ce chariot: Napoléon Ier. Pour des raisons également militaires et politiques, l'empereur impose aux territoires conquis la circulation à droite. «C'est Napoléon qui l'a réellement imposée et comme il n'a pas conquis l'Angleterre à son grand désarroi, il n'a pas pu l'y imposer», ajoute Daniel Lacotte, auteur de l'ouvrage Le pourquoi du comment.

Mais ce n'est pas uniquement en raison de leur résistance à Napoléon que les Anglais - et par la suite leurs colonies - n'ont pas adopté la conduite à droite. La petite révolution dans le transport des marchandises ne s'est pas matérialisée de la même façon de l'autre côté de la Manche. Au Conestoga, les Britanniques lui ont préféré un chariot plus petit équipé d'un siège placé à droite, permettant d'avoir un passager - à gauche - et de contrôler les croisements. Ils pouvaient donc continuer à circuler à gauche.

La colonisation et l'émergence de l'automobile vont consolider cette distinction. Le volant à gauche s'imposera réellement sur la planète au début du XXe siècle. Le célèbre Henry Ford est alors tenté d'équiper ses voitures avec un volant à droite alors qu'on roulait à droite aux États-Unis. Mais il comprend vite l'intérêt du volant à gauche.

«C'est apparu avec l'automobile en France, pour que le passager ou la passagère puisse descendre sur le trottoir», précise Gilbert Bureau, historien de l'automobile et président du club Voitures anciennes du Québec.

Pour la petite histoire, on retiendra que le Canada a été ambivalent jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Au Québec, en Ontario et dans les Prairies, on a toujours circulé à droite. Dans les autres provinces, on a roulé à gauche jusque dans les années 20. Terre-Neuve-et-Labrador a été la dernière province à changer de voie de circulation, en 1947.

Pour rouler à droite.

Avec le volant à gauche.

Élémentaire.

Et la voie à suivre est...

Sommes-nous plus aptes, physiquement et mentalement, à conduire dans une voie de gauche ou dans une voie de droite?

Il faut savoir que les moitiés droite et gauche du cerveau contrôlent chacune la moitié du corps qui leur est opposée. «Il y a chez l'être humain une légère déviation de l'attention visuelle vers la gauche, parce que le cerveau droit est plus dominant pour le traitement spatial. Cela signifie qu'il pourrait être préférable de conduire sur la droite, comme la circulation venant vers nous est sur la gauche», nous explique d'emblée Michael Corballis, professeur au département de psychologie de l'Université d'Auckland, en Nouvelle-Zélande.

Il est un cas bien particulier où la conduite à droite peut être à risque. Certaines personnes peuvent souffrir d'héminégligence gauche, c'est-à-dire que l'hémisphère droit du cerveau est touché par une anomalie due à une lésion. «Dans ce cas, les gens ne prêtent pratiquement aucune attention à quoi que ce soit sur la gauche de leur champ visuel, ce qui est très dangereux pour les conducteurs», précise M. Corballis, spécialiste en neurosciences cognitives (perception visuelle, attention et mémoire).

Rouler à droite serait la meilleure voie à suivre - sans vouloir faire de jeu de mots. Le volant doit-il pour autant être placé à gauche dans l'habitacle?

Comme la plupart d'entre nous sont droitiers (80% de la population), d'aucuns considèrent qu'il serait préférable d'avoir la main droite sur le volant, qui est la commande principale de la conduite, plutôt que la main gauche. Cette dernière peut actionner le levier de vitesses et les accessoires éventuels. Comme le font les Britanniques.

«Vu comme cela, l'agencement du poste de conduite à droite convient mieux aux préférences naturelles d'un droitier. Mais est-ce primordial? Ma réponse est que cela n'a pas tant d'importance parce que nous sommes en fait assez flexibles et nous devenons des experts avec une pratique prolongée», estime Michael Peters, professeur en neuroscience à l'Université de Guelph.

Une conclusion que partage Jacques Bergeron, directeur du laboratoire de recherche sur la conduite automobile à l'Université de Montréal. «La conduite, c'est imbriqué dans des habitudes qui s'acquièrent très tôt, très jeune, dès les années où on est en voiture avec les parents», dit-il.

Photo archives AFP

En septembre 2009, les îles Samoa ont décrété que la conduite se ferait désormais à gauche. Pourtant, l'humain serait naturellement plus apte à conduire sur la droite...