Le kiosque de Tesla Motors, au récent Salon de l'auto de Montréal, avait deux grandes différences avec tous les autres. On présentait seulement des autos électriques. Et c'était le seul où des clients --des propriétaires de Tesla Modèle S-- répondaient aux questions des visiteurs et des médias. Les gens en chemises blanches étaient des employés de Tesla. Ceux qui portaient des polos noirs ou des gilets orange à l'effigie Tesla faisaient du bénévolat, annonçant la bonne nouvelle électrique avec pour seule rémunération avoir propagé la bonne parole.

« Pour moi et les propriétaires d'autos électriques que je connais, c'est une passion. On veut faire partie de la révolution du futur et on veut partager » a expliqué Alexis Bélanger au journaliste sceptique se demandant pourquoi un type capable de se payer une Tesla à 100 000 $ donnait de son précieux temps pour une compagnie qui vend des autos.

M. Bélanger, informaticien pour une start-up californienne (et adepte du télé-travail) était là avec sa femme Valériane Deniger. Le couple de Sainte-Anne-des-Lacs note qu'il est loin d'être millionnaire et qu'il a fait des choix pour rouler en Tesla.

« Je suis convertie à l'électrique, désormais, dit Mme Deniger. Ça fait un an que nous l'avons et la conduire est vraiment un grand plaisir (ils ont le modèle S D, la variante à quatre roues motrices). Mais c'est aussi un choix personnel qui fait permet de faire une différence pour l'environnement. Alors on est heureux de propager la bonne nouvelle. »

Alexis et Valériane ont deux petites filles de 2 et 4 ans. Se demandent-ils dans quel genre de monde elles vivront avec le réchauffement de la planète et ses conséquences ?

« Moi, je suis un éternel optimiste et je pense qu'il n'est jamais trop tard, dit M. Bélanger. Si on fait les bons choix et gestes maintenant la génération suivante aura une chance de faire à son tour les bons choix. »

Mme Deniger dit qu'elle n'était pas particulièrement « verte » avant l'achat de la Tesla. « Avant, je pense que je ne voulais pas le savoir, j'évitais de penser à ces enjeux-là. Avoir fait ce premier pas m'y a rendu plus sensible. Et surtout, je sais qu'on peut faire quelque chose à l'échelle personnelle. »

Changer les mentalités prend du temps, mais elle est pleine d'espoir : « Vous savez, il y a des enfants, en 2016, qui ne sont jamais montés dans une auto à essence ! On est rendus là. Pour nos deux filles, une auto, ça se branche. »

La plupart des bénévoles ont dit à La Presse avoir encore « une petite joie à chaque fois que je passe devant un poste d'essence » en se disant ne plus jamais avoir affaire là, comme l'a dit Gad Elmoznino.

Évangéliste Tesla

« C'est formidable de rouler électrique, alors on sent le besoin d'éduquer un peu les gens pour que ça se répande », dit Elmoznino, de Montréal, qui qualifie --moitié sérieux, moitié facétieux- son bénévolat au kiosque Tesla d'« évangéliste ».

« Mais comprenons-nous. Indépendamment du reste, c'est cool, faire partie d'un salon de l'auto. J'adore l'automobile. Au kiosque, on rencontre toutes sortes de gens qui réfléchissent à l'achat de l'auto électrique, mais qui ont lu toutes sortes de choses dans les médias et qui ont des craintes liées à ce qui est un grand changement d'habitude. Tesla Motors est assez intelligent pour savoir que les propriétaires qui ont déjà acheté leur auto sont plus crédibles qu'un vendeur payé à la commission. »

Quand on lui dit que c'est étonnant de voir des gens donnent de leur temps pour un constructeur automobile, M. Elmoznino est d'accord. « Mais pensez-y bien, ce qui est vraiment étonnant, c'est qu'un constructeur automobile laisse des propriétaires la représenter ! Pouvez-vous imaginer un autre constructeur faire ça ? Ça montre la confiance de Tesla en son produit. » 

Et l'écologie, elle ? « Ça fait partie de mon engagement, mais ça ne se joue pas sur un seul axe. Je n'aurais pas acheté une auto électrique qui n'aurait pas répondu à mes besoins et mes goûts », répond M. Elmoznino, qui est aujourd'hui consultant en affaires après avoir monté puis vendu quelques entreprises. Lui et son épouse ont eu plusieurs Mercedes-Benz. Aujourd'hui, il roule en Tesla S et sa femme, en BMW i3. « Je ne suis pas M. Environnement, mais ça fait partie de mes valeurs.  Le Modèle S est une super voiture, mais il y a aussi le fait qu'elle ne consomme pas de pétrole et qu'elle est bonne pour la planète que ma génération laissera à mes enfants et mes petits enfants. »

Apôtre du lithium

« Tout est politique », ce vieux slogan de Mai '68, s'applique à l'auto électrique et plusieurs bénévoles Tesla ont noté que leur Tesla leur permet de ne plus participer à l'économie du pétrole pour leurs transports personnels.

« C'est une cause », dit d'emblée Guy Bourassa, de Québec (qui était bénévole Tesla l'an dernier). L'auto électrique (« pas juste la Tesla », souligne-t-il) permet de réduire l'emprise des compagnies pétrolières sur la société, dit-il. Ça permet de ne plus participer au gaspillage inhérent à l'économie pétrolière et aussi de cesser de financer beaucoup d'aspects néfastes que ça encourage dans la politique mondiale.

« Tu lis les journaux, tu écoutes les nouvelles et à force d'entendre ce qui se passe là-bas, c'est rendu qu'à chaque fois que tu mets de l'essence dans ton auto, tu te demandes si tu encourages indirectement le terrorisme », dit-il.

Il pratique ce qu'il prêche : il est président de Mines Nemaska, qui veut ouvrir une mine de lithium au nord de Val-d'Or.

En étant bénévole au kiosque Tesla, son objectif est d'aider Tesla à survivre au moins jusqu'au lancement d'un modèle plus populaire que le Modèle S qu'il conduit depuis 15 mois. «  Elon Musk (le président de Tesla Motors) est assez intelligent pour avoir commencé par des voitures de luxe qui frappent l'imagination et c'était une bonne approche : faire de l'auto électrique un produit convoité. »

« Mais le but, c'est qu'il vende assez de Modèles S et le nouveau X, deux véhicules chers, pour se rendre à la production du Modèle 3 », qui doit être une auto de production de masse à un prix de 40 000 $, avec une autonomie entre 350 et 400 km. Il dit que Tesla a forcé la main aux constructeurs traditionnels, qui ont réagi en annonçant la Chevrolet Bolt, la prochaine Nissan Leaf et d'autres modèles censés arriver sur le marché à un prix proche de 30 000 $ et avec une autonomie permettant de faire Montréal-Québec sans recharge.

Gad Elmoznino aussi voit dans l'auto électrique une façon de réduire l'influence des multinationales pétrolières « qui exercent beaucoup de pouvoir sur le plan mondial ».

« Avec l'économie basée sur pétrole, on envoie notre argent vers des pays qui ont des politiques avec lesquelles on n'est pas nécessairement d'accord. Prenez l'Arabie saoudite. C'est censé être un allié des États-Unis, mais ce n'est pas un régime démocratique et ce pays a une politique ambiguë face à ce qui se passe au Moyen-Orient. Le pétrole qui est raffiné ici, ne vient pas de cette région, mais quand on fait le plein, on soutient le prix international d'un produit qui finance un régime qui impose des règles sociales, des valeurs et des moeurs qui ne sont pas en lien avec ce que je pense. On n'a qu'à penser aux droits de l'homme et, surtout, aux droits de la femme. »

M. Elmoznino ne pense pas qu'acheter une auto électrique va amener la paix dans le monde. « Mais au moins, ça nous donne une option. On est pas obligé, pour se déplacer, de participer à ça. »

Prêcher Tesla, une conversion à la fois

Martin Gillespie, du Lac-Brome, dit qu'il n'est « pas riche et qu'acheter une voiture à 110 000 $ a été difficile ».

« Je l'ai financée sur 8 ans avec 15 000 $ au comptant. Je voulais faire partie de la révolution qui relève le défi de mettre fin à l'économie du pétrole et nous permettre de passer de l'énergie fossile polluante à l'électricité. »

« Je ne suis pas un écolo pur et dur. J'ai une petite compagnie de distribution de poêles à bois et de poêles à gaz pour le chauffage d'appoint. Mais je suis conscient de la nécessité d'arrêter d'extraire du pétrole de la terre. »

Depuis qu'il a sa Tesla, conduire n'est plus un plaisir coupable.

Quand on lui demande pourquoi il a pris de son temps pour faire du bénévolat Tesla, il décrit ce qui est à toute fin utile une conversion.

« Je voulais essayer de rencontrer un particulier, un individu, qui avait besoin de moi, qui avait besoin de mes commentaires à ce moment de sa réflexion, pour prendre la décision. » Il pense que c'est arrivé : « J'ai passé une demi-heure avec un couple dans la jeune quarantaine et à la fin, la femme a dit à son mari : « Allez mon chéri, let's do it ».

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Martin Gillespie, du Lac-Brome, pense avoir fait deux convertis au Salon de l'auto.