Plus de 200 000 pré-commandes en quelques heures: Tesla a déjà frappé fort avec son futur modèle d'entrée de gamme, mais le constructeur américain de voitures électriques va encore devoir affronter de nombreux défis pour concrétiser ses ambitions.

Elon Musk, entrepreneur visionnaire et de loin la plus grande vedette du secteur automobile, possède un sens aiguisé du marketing. Ça s'est reflété par les longues files d'attente jeudi à Montréal et dans de nombreuses grandes villes d'Amérique du Nord de personnes voulant débourser 1000 $ pour réserver, sans même l'avoir vue, le «Modèle 3».

L'engouement est d'autant plus remarquable que cette berline compacte à 45 000 $ CAN censée pouvoir franchir 346 km entre deux recharges n'existe pour l'instant qu'à l'état de prototype. Ses premières livraisons sont au mieux prévues pour fin 2017.

Mais le Modèle 3 représente aussi un changement de paradigme pour la firme californienne, qui a convaincu en 2015 quelque 50 000 personnes d'acheter des berlines Modèle S et des multisegments Modéle X à plus de 90 000 $ CAN, niveau de prix où évoluent les marques de luxe.

Pour réussir, Elon Musk devra élever son niveau de jeu et faire en sorte que Tesla relève les 7 défis suivants :

1) Devenir une très grosse compagnie

«Il faut que Tesla réussisse à passer à l'échelle supérieure pour rencontrer le succès dans la décennie à venir», prévient Stephanie Brinley, experte du marché automobile au sein du cabinet IHS, alors que M. Musk a évoqué l'objectif d'un demi-million de voitures par an à l'horizon 2020.

Cela implique une changement énorme dans la gestion de Tesla Motors, qui est une PME où toutes les décisions sont prises ou validées par Elon Musk et où règne une mentalité de start-up de Silicon Valley.

2) Faire de Tesla une multinationale

«Il ne pourra pas produire qu'à un seul endroit dans le monde, il va lui falloir un réseau de fournisseurs, il risque de se heurter à tout ce que les autres constructeurs automobiles ont mis des dizaines d'années à mettre en place», observe pour sa part Jean-François Belorgey, spécialiste du marché automobile au cabinet EY.

Pour l'instant, Elon Musk a son bureau à l'intérieur de l'usine, où il se rend plusieurs fois par mois. Que fera-t-il quand Tesla devra agrandir la petite usine de Tillburg (on n'y fait que de l'assemblage et de l'entreposage, mais pas de fabrication) , aux Pays-Bas, pour le marché européen, et construire une autre usine en Asie ?

3) Faire de l'argent

Tesla n'a pas encore dégagé de bénéfice; il faudra encore attendre quatre ans, selon M. Musk. La compagnie tient grâce à sa capacité à lever des fonds en Bourse. Le cours de l'action a d'ailleurs bondi de 15% dans les échanges électroniques suivant la clôture de Wall Street après la présentation du Modèle 3.

«C'est à Elon Musk de continuer à faire rêver ces gens-là (les investisseurs) en espérant qu'à un moment donné la mayonnaise va vraiment prendre et que l'entreprise va devenir rentable», souligne M. Belorgey.

4) Pour une fois, être ponctuel

Mme Brinley relève toutefois que «pour mériter la confiance des consommateurs comme des investisseurs», il faudrait que le Modèle 3 arrive en temps et en heure, alors que Tesla a l'habitude de «rater ses échéances». Le Modèle X, commercialisé fin 2015, a ainsi accusé un important retard. Auparavant, le Modèle S avait été attendu encore plus longtemps.

5) Faire baisser ses prix

La baisse des coûts des batteries, à laquelle M. Musk s'emploie avec l'usine géante «Gigafactory», au Nevada, sera une condition sine qua non pour que le marché décolle enfin au niveau mondial. Cette usine construite en partenariat avec la japonaise Panasonic, devrait profiter d'économies d'échelle pour abaisser le coût des batteries au lithium-ion, un des éléments les plus chers des voitures électriques.

6) S'affranchir des subventions

Pour l'instant, l'équation financière des voitures électriques ne fonctionne qu'avec des subventions gouvernementales. L'exemple extrême est la Norvège, où les voitures électriques ont accaparé 17,1% du marché en 2015. En France, la pénétration des électriques était de 1,17% au premier trimestre 2016, un doublement par rapport à la même période de 2015.

La progression a été plus spectaculaire en Chine, avec un quadruplement en 2015, même si les électriques ne représentent encore que 1% du premier marché mondial.

Aux Etats-Unis en revanche, où l'essence à la pompe est moins taxée qu'en Europe, seuls 0,4% des acheteurs ont fait le choix de l'électrique l'année dernière.

Au Québec, les tout électriques ont 0,1 % du marché. Avec les hybrides, on atteint 0,2 %.

7) Rester en avance sur la concurrence

Pendant ce temps, les constructeurs traditionnels ne restent pas assis à rien faire: General Motors fourbit une Chevrolet Bolt dotée de 320 km d'autonomie qui doit débarquer dans les concessions un an avant le Modèle 3, au même prix.

En outre, les marques allemandes n'ont pas l'intention d'abandonner à Tesla le monopole des berlines luxueuses zéro émission: Audi, BMW et Mercedes ont promis d'en commercialiser d'ici 2020.

Et l'alliance Renault-Nissan, qui se targue de détenir la moitié du marché mondial des voitures électriques, prépare la future «Leaf» du constructeur japonais, à l'autonomie très accrue par rapport aux 200 km actuels.

«Dans les quatre prochaines années, nous allons faire de gros progrès en terme d'autonomie mais aussi de coût, cela va rendre les véhicules électriques bien plus attrayants qu'aujourd'hui», expliquait début mars au salon de Genève le directeur délégué à la performance de Renault, Stefan Mueller.

Oui, plus que jamais Elon Musk a du pain sur la planche. Le Modèle 3 est le plus grand défi de toute sa vie.

Note de la rédaction : ce texte a été modifié à 19:45 le 1er avril pour mettre à jour le nombre de commande et le 9 avril pour refléter le fait que Tesla a ouvert en 2013 une petite usine de montage aux Pays-Bas.