«Tu sais quoi? J'en ai assez. Je vais rentrer à pied.» Sur ces mots, Graeme Fletcher, mon coéquipier d'un jour, descend de la Jeep, allume une cigarette et disparaît dans la nuit. Si je n'avais pas été au volant, sans doute l'aurais-je suivi moi aussi. Cela faisait maintenant près de huit heures que nous étions assis dans ce Jeep Rubicon et nous n'avions parcouru que 9,8 kilomètres de ce sentier que d'aucuns jugeraient impraticable. Il aurait été plus rapide de faire le parcours à pied...

Ce faisant, nous aurions sans doute été plus émerveillés encore par le paysage irréel de ce sentier reconnu comme le plus exigeant de tous par les amateurs de 4x4. Au volant, l'expérience n'en est que plus fantastique encore. À l'aide d'expérimentés (et indispensables) guides, nous avons longé des précipices, franchi de hautes roches et d'immenses souches. Aucun obstacle ou presque n'était trop grand pour ce Jeep conçu pour celui (ou celle) qui affectionne pareil loisir.

Et c'en est un, à en juger par le nombre d'adeptes de ce sentier que les environnementalistes de la région souhaiteraient fermer aux véhicules moteur. Sans doute, me disais-je, que si les véhicules empruntant ce sentier disposaient tous d'un dispositif de coupure automatique à l'arrêt, cela les calmerait un peu...

Prêt pour l'aventure?

Chaque étape représente une aventure et exige une concentration de tous les instants. Pas moyen de relaxer un peu. Loin d'être la partie de plaisir que mon collègue Fletcher et moi-même pensions vivre en participant à cet événement organisé par Jeep, quelques mois avant la présentation du 10e anniversaire du modèle Wrangler Rubicon, le plus extrême des Jeep avec ses essieux à verrouillage électronique et ses différentiels autobloquants. À moins d'être un expert - ce que je ne suis pas -, difficile de dire à la vue d'un obstacle si l'on doit activer ou désactiver l'une ou l'autre de ces fonctions. Par chance, il y a les guides. Ils connaissent le sentier comme le fond de leur poche et veillent à nous rappeler à chaque étape ce qu'on doit faire et ne pas faire pour rallier le campement en un seul morceau. Cela vaut mieux, car les secours ne sont pas près d'arriver.

Le problème, ici, n'est pas le sentier ni même la machine, mais l'homme. Celui-ci, on s'en doute, ne sera pas jugé ici pour sa pointe de vitesse ni pour sa fougue, mais plutôt pour sa dextérité, sa délicatesse et son jugement avant d'affronter les - nombreux - obstacles qui se dressent devant lui. Et le sentier pardonne rarement les erreurs. Au cours de notre expédition, nous avons longé des précipices sans fond, arpenté de gigantesques falaises dentelées. Nous sommes régulièrement passés de l'ombre à la lumière selon que ces véritables murs en dents de scie s'élargissaient ou se rétrécissaient. Nous avons aussi écorché le dessous de notre Jeep à plusieurs endroits. Nous avons également enfoncé l'extrémité du pare-chocs avant contre un arbre et égratigné la bavette d'une aile contre une pierre. Rien de grave comparativement aux autres véhicules rencontrés sur notre route avec des radiateurs crevés, des pare-brise éclatés et des éléments de suspension arrachés.

Si l'on fait le bilan de cette première journée qui s'est terminée sous les étoiles, nous avons mis 8h35 pour parcourir 12 kilomètres. Cela paraît inimaginable et pourtant, c'est vrai. Après une nuit inconfortable emmitouflés dans des sacs de couchage, on a remis cela pour la dernière portion de cette expédition: Cadillac Hill, une ascension de près de quatre heures. Mon collègue Fletcher n'en pouvait déjà plus. Moi non plus, d'ailleurs. Pourtant, tout s'est déroulé merveilleusement bien. Le métier qui rentre, sans doute? Nous savions quand et pourquoi il fallait activer ou débrancher les essieux. Nous savions maintenant comment caresser l'accélérateur pour que le V6 de 3,6 litres ne s'emballe pas trop, ou comment effleurer la pédale de freinage sur un pavé de galets mouillés pour ne pas faire valser notre camion contre un arbre. Les dommages causés la veille à notre Jeep ont été sans lendemain.

Une fois le sommet de Cadillac Hill atteint, j'ai sorti le bout de papier de mon sac sur lequel j'avais annoté l'ensemble des choses que je ne voulais pas manquer dans ma vie. J'ai rayé le Rubicon Trail de ma liste plusieurs fois. Même dans une autre vie, on ne m'y reprendra plus.