Le large guidon bien en mains, le moteur rugit délicieusement en sortant de la courbe, sitôt la poignée des gaz sollicitée. La bécane, réduite à sa plus simple expression, invite à l'excès. Impossible de ne pas rouler avec un sourire malicieux accroché au visage. Uniques, les motos de Purebreed Fine Motorcycles sont d'implacables machines qui éveillent le rebelle qui dort en chaque motocycliste. Comme au temps des "café-racers".

Pourtant, rien ne destinait Guillaume Brochu à la restauration de motos d'époque. Diplômé en comptabilité, il a été sommelier avant de devenir représentant en vins. C'est à 27 ans qu'il décide de tout abandonner et de se consacrer à la création de "café-racers", il y a moins d'un an. C'est un ami restaurateur qui l'a initié à la moto, notamment à l'occasion de voyages en Italie, «où la moto est d'abord un accessoire lifestyle, ensuite un moyen de transport, sans jamais se limiter à être un simple loisir, comme c'est le cas chez nous», soutient le jeune entrepreneur de Granby.

Inspiré par les Danois de Wrenchmonkeys, les Australiens de Deus Ex Machina et les Américains de Dime City Cycles, Guillaume Brochu s'est lancé dans l'aventure avec une vision claire en tête, à défaut de pouvoir compter sur son expérience en mécanique moto, qui était à peu près nulle. Mais il en a ramé un coup, a glané toute l'info qu'il pouvait à droite et à gauche, avec comme résultat une première moto, une Ducati ST2, méconnaissable après sa transformation. «Je suis un autodidacte qui apprend vite, assure Guillaume sans prétention. Mais il y a des gens qui me donnent un coup de main; ce que je ne peux pas faire, il y en a autour qui le font.»

C'est un peu pourquoi il s'est installé dans le parc industriel de Granby, qui compte notamment son lot d'ateliers spécialisés. Comme celui de Bruce Allnutt, un docteur ès moto qui bidouille dans son atelier de Saint-Alphonse depuis des années et pour qui les deux roues n'ont à peu près plus de secrets. Pour lui, les motos Purebreed apportent un vent de fraîcheur au milieu de la moto, qui en a bien besoin. Mais travailler sur des motos de 35 ans représente un sérieux défi. «Il y a de grandes différences entre les motos d'aujourd'hui et celles des années 70, surtout pour ce qui est des freins, des suspensions et des pneus. Ça prend du travail pour tout faire fonctionner. Et on ne sait pas toujours la nature du travail qui nous attend.»

Une affaire de vision

L'idée de base est d'épurer les motos au maximum. L'intégrité du cadre n'est toutefois jamais touchée. Tout le reste ou presque est remplacé, notamment les sièges, qui sont l'oeuvre de Martin Hallée, un rembourreur de Sherbrooke qui se spécialise dans la fabrication de selles de moto. «Ce que me demande Guillaume est en effet assez nouveau, j'ai rarement fait ce genre de selles, avoue Martin Hallé. Mais je suis une personne qui carbure aux défis; peu importe ce que le client veut, je le fais.» Par exemple, faire disparaître sous la selle une mince batterie au lithium, qui remplace la batterie traditionnelle, plus volumineuse.

C'est le genre d'idées qui permet la transformation de vieilles et banales CB750 et KZ900 en rutilantes bêtes qui ne laissent personne indifférent. "Ça prend une vision et de bons réflexes pour déterminer ce que l'on peut faire avec des motos d'époque. Tout le monde pense que ces motos sont bonnes pour la casse: absolument pas!»

PHOTO SÉBASTIEN PEDRAGLIO, LA PRESSE

PHOTO SÉBASTIEN PEDRAGLIO, LA PRESSE

Coup de chance, le jeune homme d'affaires a trouvé une petite mine d'or chez RC Trike, à Sainte-Eulalie. Le propriétaire de l'entreprise spécialisée dans la fabrication de motos à trois roues avait dans son garage une cinquantaine de bécanes des années 70 et 80. Comme il voulait s'en débarrasser, Guillaume a sauté sur l'occasion. Lors de notre passage, une bonne dizaine de motos de 30 ans et plus s'alignaient au fond de l'atelier de Granby. «Les motos que tu vois là ne m'ont pas coûté plus de 10 000$», nous a confié Guillaume Brochu.

Ce qui explique le fait que les motos Purebreed se vendent, pour le moment, autour de 10 000$. Le même prix qu'une moto neuve, mais Guillaume Brochu soutient la comparaison: «Même si les pièces originales sont encore bonnes, je les change quand même, explique-t-il. Je me procure seulement les meilleures composantes. Il n'y a pas un morceau que je n'ai pas vu et revu. En fait, je veux que mes motos soient personnalisées, uniques et qu'elles performent comme des neuves. Mon but est de faire des motos parfaites.»

Parfaites ou non, elles gardent le cap comme des deux-roues modernes, freinent avec aplomb et sont diablement puissantes, plus encore que les engins du même genre proposés par les grands constructeurs. Avec en prime un look unique. Tout ça est bien suffisant pour permettre à Purebreed de surfer avec assurance sur la vague encore naissante des "café-racers".

Le fondateur de Purebreed, Guillaume Brochu, a mis la clef sous la porte. Photo: Sébastien Pédraglio, Archives La Presse   

Les ambitions de Purebreed

Rigueur

Guillaume Brochu a beau dire avoir trouvé sa vraie passion - «travailler sur mes motos est pour moi comme un yoga mental», assure-t-il -, il aborde son entreprise avec la rigueur de l'entrepreneur. Il veut se donner les moyens de ses ambitions. «Il faut avoir une bonne idée, mais il faut aussi savoir la vendre, soutient-il. Il faut être créatif à tous les points de vue: sur le plan du produit, évidemment, mais aussi de la mise en marché, de la comptabilité, etc. Il faut tout mettre ça ensemble, alors les semaines passent vite!»

Image de marque

De façon à bien établir son image de marque, Guillaume retire le badge des motos à la base de ses créations et y appose le sien. Les réseaux sociaux sont évidemment une autre façon de faire parler de Purebreed; en plus d'utiliser les canaux traditionnels que sont Twitter et Facebook, Guillaume Brochu pense par ailleurs à intégrer discrètement des supports de caméra Go-Pro sur ses motos, pour que les acheteurs diffusent en ligne certaines de leurs randonnées. Quant aux produits dérivés, il est bien conscient qu'ils pourraient permettre de faire connaître sa marque. Mais il n'y songe pas trop pour l'instant. «Je veux d'abord que le produit soit sharp, assure-t-il. Tant mieux si la reconnaissance de la marque vient ajouter de la valeur au produit, mais c'est la qualité qui prime.»

Ambitions internationales

Le jeune homme d'affaires n'entend pas se limiter au seul marché québécois. «C'est sûr que mes visées sont plus larges, reconnaît-il d'emblée. Près de nous, le Canada est en quelque sorte un territoire vierge pour la moto de type "café-racer". À l'étranger, Dubaï a, par exemple, une culture motocycliste très désorganisée; si on leur offre quelque chose qui est «sur la coche», ils vont l'acheter.» Il songe aussi à créer une gamme de pièces de performance et de personnalisation pour motos de type "café-racer", créneau toujours inoccupé au Canada, selon lui

Approche réaliste

Guillaume Brochu tenait d'abord et avant tout à terminer quelques motos avant d'aller plus loin dans ses efforts de mise en marché. «Je veux que les gens puissent les voir et les toucher, explique-t-il. C'est bien différent que de simplement en parler. On ne peut pas se présenter sans rien dans les mains. C'est pour ça que j'ai choisi de ne pas faire d'argent avec mes premières motos; il faut que j'attire l'attention.» Mission accomplie.

Info: www.facebook.com/Purebreedcycles

300

Nombre d'heures par mois nécessaires à la fabrication d'une moto Purebreed

8000$

Valeur moyenne des pièces neuves installées sur chaque moto Purebreed

PHOTO SÉBASTIEN PEDRAGLIO, LA PRESSE

La réaction des grands

C'est en navigant sur les sites internet des grands constructeurs que l'on s'aperçoit à quel point le phénomène «café-racer» prend de l'ampleur. Pour le style de certaines de leurs nouvelles bécanes, évidemment, mais plus encore dans la facture de leur mise en marché, en particulier chez Harley-Davidson et Yamaha.

La clientèle visée est manifestement jeune, anticonformiste, branchée, celle-là même qui affectionne les «café-racers». Pour s'en convaincre, on n'a qu'à regarder les photos utilisées par Yamaha pour vendre sa nouvelle Bolt, et Harley pour mousser la popularité de ses Iron 883 et Forty-Eight. Sans parler de la campagne télé du vénérable constructeur américain au Québec, un petit bijou de pub qui met en vedette un jeune homme qui a tout du hipster.

«On a vu cette tendance-là, nos bureaux sont dans le Mile End, reconnaît Stéfanie Forcier, directrice de la planification stratégique à l'agence Cart1er. On a vu ces jeunes qui roulaient sur des motos rétro, on s'est dit que c'était un marché très intéressant, porteur. Ça tombait bien, car Harley-Davidson avait déjà dans sa gamme des motos qui cadrent très bien dans cet environnement-là.»

Dévoilées respectivement en 2009 et 2010, l'Iron 883 et la Forty-Eight étaient donc déjà au catalogue, mais l'effort de renouveler leur pertinence auprès d'une clientèle jeune et urbaine est tout récent. Selon Stéfanie Forcier, Harley-Davidson véhicule depuis toujours une allure brute et dépouillée qui s'apparente étroitement au style «café-racer». «Il fallait reprendre ça et le faire résonner auprès des jeunes, explique-t-elle. Convaincre cette nouvelle clientèle qui croit que Harley-Davidson fait des motos uniquement pour leur père ou les motards.»

Résultat? L'Iron 883, vedette de la campagne «Parfaitement trop», est en rupture de stock au Québec. «Nous avons sous-estimé le succès de la campagne au Québec, reconnaît Tara Hunter, directrice principale, stratégie marketing chez Deeley Harley-Davidson Canada. Les jeunes de moins de 35 ans sont le segment de marché qui affiche la plus belle croissance chez Harley-Davidson au Canada.»

La Yamaha Bolt, saluée par la critique, est arrivée en magasin en avril dernier et la stratégie de mise en marché ne laisse aucun doute. «On a fait nos devoirs, on a vérifié les tendances et on a essayé d'établir les besoins de la clientèle, explique François Morneau, directeur des ventes de Yamaha pour l'est du pays. On s'adresse aux jeunes qui portent des chemises à carreaux, pour qui la simplicité est importante. La Bolt a été créée avec cette pensée en tête.» Le slogan de la Bolt - «Moins, c'est mieux» - ne tient donc pas du hasard.

Le minimalisme est bien sûr essentiel, mais l'originalité l'est tout autant. Les deux constructeurs l'ont aussi compris, et les trois motos peuvent être personnalisées à souhait avec une foule d'accessoires pouvant être installés chez le concessionnaire pour un prix somme toute raisonnable. Le coût de ces motos est aussi en phase avec les moyens plus limités d'une clientèle plus jeune; l'Iron 883 et la Bolt sont vendues à moins de 10 000$ alors que la Forty-Eight, plus grosse avec son V-Twin de 1200 cc, coûte un peu plus de 12 000$.

L'offensive jeunesse de Harley-Davidson et de Yamaha auprès d'une clientèle jeune et urbaine ne s'arrêtera pas de sitôt. «Nous comprenons qu'il faut du temps pour changer les perceptions et l'image de Harley-Davidson auprès des jeunes, reconnaît Tara Hunter. C'est pourquoi notre stratégie se déploie à long terme, sur au moins cinq ans.» Cart1er confirme d'ailleurs que sa prochaine campagne de publicité s'articulera autour des mêmes thèmes que sa dernière. Même son de cloche chez Yamaha, qui promet une évolution de la Bolt, une variante du modèle qui, selon François Morneau, devrait plaire.

À suivre!

Photo fournie par Yahama

La Yamaha Bolt. 

Photo fournie par Harley-Davidson

La Harley Davidson Forty-Eight.