Encore méconnu mais ô combien spectaculaire, le rallye commence à trouver sa place dans l'univers du sport automobile nord-américain. Il s'affiche aujourd'hui sous plusieurs formes, dans des événements qui prennent de plus en plus d'envergure et qui commencent à attirer l'attention de grands réseaux de télé. Et c'est de plus en plus facile de s'initier à sa pratique. Un dossier de Pierre-Marc Durivage.

«Je suis dans une situation où je ne sais pas où je m'en vais pour la première fois depuis de nombreuses années...»

Celui qui dit cela est six fois champion canadien de rallye, en quête d'un septième titre qui ferait de lui le pilote canadien de rallye le plus titré de l'histoire. Mais, croyez-le ou non, Antoine L'Estage est encore en quête du financement nécessaire pour s'assurer de pouvoir disputer en entier les championnats canadien et américain de rallye. Comme il a dû essuyer la perte de commanditaires importants, il sera peut-être contraint de faire une croix sur quelques courses.

Mais tout n'est pas noir pour autant. Son sport, qui peine depuis longtemps à attirer l'attention du public, vit des heures heureuses: la série Rally America et NBC Sports se sont entendus pour assurer la retransmission en différé de toutes les courses de la saison, sous la forme d'émissions résumées. Le retour du populaire Travis Pastrana - rescapé de sa décevante aventure en NASCAR - et la participation à temps partiel de Ken Block y sont sans doute pour quelque chose, mais le fait demeure que le rallye nord-américain commence lentement mais sûrement à trouver la place qui lui revient.

«Avec les médias sociaux, il y a quelque chose qui se passe, c'est évident, assure Antoine L'Estage, l'une des têtes d'affiche du rallye de ce côté-ci de l'Atlantique. Je ne connais personne qui est indifférent face à notre sport. Prends n'importe qui et montre-lui les images de l'une de nos courses, c'est impossible qu'il ne soit pas impressionné!»

Le rallye commence aussi à bénéficier de l'aura «sport extrême» qui est de plus en plus associée à la discipline. La présence d'épreuves de rallycross aux X Games y contribue sans nul doute, la popularité de ces sprints serrés sur de courtes pistes donnant un coup de pouce au rallye. «C'est clair qu'il y a plusieurs croisements entre les deux sports, reconnaît L'Estage, qui a déjà remporté une médaille de bronze en rallycross aux X Games. Il s'agit de deux mondes différents, mais il y a de la glisse et des sauts, et le rallycross est né du rallye, après tout.»

Objectifs à long terme

À 40 ans, Antoine L'Estage est loin de songer à la retraite. Plusieurs ténors de la discipline, que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, sont dans la quarantaine. Mais avec six championnats canadiens, on pourrait croire que le pilote de Saint-Jean-sur-Richelieu aurait le goût de changer d'air. «On me demande souvent si j'aimerais aller tenter ma chance en Europe, reconnaît-il. Mais la réalité est que personne ne va venir chercher un Nord-Américain pour rouler là-bas. De plus, ça demande des budgets astronomiques, et je n'ai pas ces sommes-là.

«Mais j'aimerais y goûter avant de prendre ma retraite, assure-t-il derechef. Mais pour ce faire, je vais sans doute devoir changer la façon de présenter les choses à mes partenaires, leur faire accepter de faire des saisons divisées, avec quelques épreuves ici et d'autres en Europe. Qui sait?»

D'ici là, L'Estage se concentre sur l'Amérique du Nord, et son enthousiasme est palpable, surtout quand il parle du défi qui l'attend cette année aux États-Unis. «Il y a de bonnes équipes en lice, et j'aime ça quand ça joue dur, explique-t-il. Lors du prochain rallye, à la fin février au Missouri, je vais me mesurer à Pastrana, Block et Higgins [Dave, le champion en titre]. Ça propulse la compétition à un autre niveau.»

Au Canada, le titre devrait se jouer encore une fois entre L'Estage et Pat Richard, son rival de toujours. Selon le pilote québécois, il y a de plus en plus d'équipes de qualité qui se battent pour les positions trois à six, mais le rythme des deux premiers est difficile à suivre. «Ce n'est pas parce que les gars ne sont pas bons, mais ils nous disent qu'on va tellement vite qu'ils ne peuvent pas nous suivre.»

Le rythme de pilotes qui pourraient s'illustrer sur la scène internationale? On serait prêt à mettre un p'tit deux là-dessus...

Photo Scott Rains/fournie par Antoine L'Estage

Antoine L'Estage en piste au rallye Sno-Drift, une manche de la série Rally America se déroulant au Michigan. 

Du rallycross de classe mondiale au GP3R

Mine de rien, le Grand Prix de Trois-Rivières est devenu l'automne dernier l'une des plus importantes manifestations mondiales de rallycross.

Unique épreuve nord-américaine du tout nouveau Championnat mondial FIA de rallycross, l'épreuve organisée le 8 août prochain dans le centre-ville de la capitale de la Mauricie «sera de facto le plus gros événement du championnat», assure Dominic Fugère, le directeur général du GP3R, qui a attiré l'an dernier 129 250 personnes, soit plus que toutes les autres épreuves du championnat, le plus souvent organisées dans des régions rurales.

«Honnêtement, je ne pensais pas que le Grand Prix de Trois-Rivières avait les moyens d'accueillir une épreuve de championnat du monde, a avoué M. Fugère. Mais on a profité d'un alignement de planètes, on est bénis des dieux!»

Le promoteur de la course trifluvienne essaie depuis quelques années d'attirer une série de premier plan à Trois-Rivières, mais n'avait pas regardé du côté du rallycross, concentrant ses efforts auprès du NASCAR Nationwide et de la Formule E, par exemple. C'est ainsi au hasard d'une discussion, lors de l'épreuve de rallycross de Lohéac, en Bretagne, qu'un ami de Dominic Fugère a parlé du GP3R au directeur général du championnat européen FIA de rallycross, Martin Anayi. Ce dernier cherchait justement à étendre les activités de la série en dehors du Vieux Continent afin d'obtenir le statut de Championnat mondial, un mandat que s'était donné le nouveau promoteur de la série, la firme International Management Group (IMG), le plus important groupe de marketing et de management sportif au monde.

Quelques semaines plus tard, MM. Fugère et Anayi se sont entendus sur un accord d'un an. «C'est un énorme défi pour IMG d'organiser une course en Amérique du Nord, a déclaré Dominic Fugère. Pour notre part, on ne peut pas mettre le Grand Prix en péril pour une seule année avec le rallycross. Mais je suis persuadé que ça va fonctionner, et je suis convaincu qu'ils vont rester chez nous.»

Questionné sur le fait que le Championnat mondial de rallycross pourrait éventuellement être tenté d'organiser d'autres courses dans de grands marchés aux États-Unis, Dominic Fugère répond du tac au tac: «Tant mieux, ça permettra de partager les coûts de déplacement de la série. Les États-Unis ne me font pas peur, assure-t-il. Après tout, le Grand Prix du Canada aurait bien pu déménager à Toronto sous prétexte que c'est un plus grand marché. À ce que je sache, le GP est encore à Montréal, n'est-ce pas?»

Un site sur mesure

L'emplacement du circuit du Grand Prix de Trois-Rivières a également certainement aidé les gens d'IMG. Le tracé actuel contournant l'hippodrome, très peu de modifications sont nécessaires à l'aménagement du circuit de rallycross - «on a deux murs à tasser et c'est tout», précise Dominic Fugère. Ainsi, la portion de gravier - 41% du tracé - sera aménagée sur le terrain de l'hippodrome. Mieux encore, toutes les estrades actuelles sauf deux permettent de voir le circuit de rallycross. Et pour accommoder les spectateurs des tribunes Depailler et Ryan, ils seront déplacés pour l'occasion dans la tribune couverte et climatisée de l'hippodrome.

Des pilotes québécois?*

Le Championnat mondial de rallycross est une affaire d'Européens, même si quelques pilotes américains s'y

greffent parfois, transfuges occasionnels du Global Rallycross, série parallèle qui a ses bases aux États-Unis. «Ça risque d'être difficile de voir des pilotes de chez nous rouler avec les meilleurs au monde à Trois-Rivières, admet Dominic Fugère. Après tout, les pilotes de circuit routier n'ont jamais tiré de «brake' à bras de leur vie. Ce n'est pas une affaire de "gentleman drivers". Par contre, il se pourrait bien qu'on voie quelques visages familiers en rallycross, mais dans des courses de soutien.»

Et Antoine L'Estage dans tout ça? «Ah, là c'est bien différent, ce gars-là a gagné six fois le championnat canadien de rallye, s'exclame M. Fugère. Mais il faudrait d'abord qu'il m'appelle. J'aurais peut-être quelque chose à lui suggérer...» Voilà, le message est transmis.



* Le reportage a été rédigé avant la confirmation de la participation de Jacques Villeneuve à l'événément. 

Photo fournie par Stéphane Lessard

Dominic Fugère, directeur-général du Grand Prix de Trois-Rivières.