L'objectif est ambitieux. Concevoir une moto de toutes pièces et l'amener en piste pour aller se mesurer aux meilleures bécanes électriques du monde. Si ça représente un défi pour des constructeurs établis tels Brammo et Zero, imaginez pour un groupe d'étudiants de premier cycle universitaire. Pourtant, le projet arrive à terme et tous les espoirs sont permis.

C'est demain que sera présenté pour la toute première fois le prototype final de la moto EMUS dans le cadre de l'exposition MégaGÉNIALE, événement mettant en vedette différents projets de fin d'études des étudiants en génie de l'Université de Sherbrooke.

Vendredi dernier, la moto a été testée sur dynamomètre, moment clé dans le développement d'un projet qui a germé dans la tête de Félix-Antoine Lebel il y a plus de quatre ans.

«En 2010, alors que j'étudiais en génie physique à l'Université Laval, j'ai eu l'idée de convertir à l'électricité ma vieille Honda Civic, nous a expliqué l'étudiant de 25 ans, attablé dans la cafétéria du département de génie. Mais je me suis rapidement dit que ce serait plus facile et plus accessible de convertir une moto.»

Félix-Antoine quitte alors Québec et s'inscrit en génie mécanique à l'Université de Sherbrooke. C'est à ce moment aussi qu'il tombe sur des courses de la défunte série TTXGP. «Je suis arrivé ici avec la ferme intention de convertir une moto pour qu'elle puisse rouler en TTXGP, a-t-il affirmé. J'ai donc mis sur pied un groupe technique, on a ensuite regardé tout ce qui se faisait, on a répertorié les concepts gagnants de motos électriques. Notre but était de faire une machine de course, comparable à une Yamaha R6.» Ils ont par ailleurs visité l'atelier de l'Amarok, moto de course électrique conçue en partie à Lennoxville, à un jet de pierre de l'Université de Sherbrooke.

«À l'automne 2010, on avait récolté la plupart des pièces nécessaires pour faire la conversion, mis à part les batteries. Mais on était en première année, sans aucune expérience et avec des ambitions sans bornes, a admis Félix-Antoine. C'est là que l'on s'est embourbés. Nous n'avions pas de locaux, pas de soutien des profs, bref, c'est mort dans l'oeuf. La réalité te rattrape et c'est alors que tu peux commencer à être pessimiste...»

Nouveau départ

Mais l'étudiant originaire de La Pocatière tenait à EMUS. Après avoir travaillé pendant six mois au sein de l'équipe Formule SAE Hybride - groupe technique qui développe chaque année une voiture dans le but de participer à la compétition internationale chapeautée par la Society of Automotive Engineers -, Félix-Antoine relance le projet de moto électrique, mais cette fois comme projet de fin de baccalauréat. Neuf collègues en génie mécanique - dont certains avaient déjà travaillé au sein du groupe EMUS original - se joignent à l'équipe. Un an plus tard, le projet devient multidisciplinaire avec l'arrivée de neuf étudiants en génie électrique et d'une autre en communications.

«On a voulu repartir d'une feuille blanche, on a même pensé rebaptiser le projet, a indiqué de son côté Alexandre Gagnon-Leblanc, finissant en génie mécanique. Mais on a appris de nos erreurs, on s'est souvenu de ce qui avait été fait.»

La nouvelle équipe EMUS a ainsi fait le choix d'abandonner le projet de conversion pour plutôt concevoir la moto de A à Z. Jamais une équipe universitaire n'avait fait le choix de construire son propre châssis monocoque. Les étudiants ont aussi dessiné et fait usiner la grande majorité des pièces, en plus de créer l'unité de contrôle électronique et le système de gestion des batteries. «Notre moto est constituée à 80% de contenu authentique, a évalué Félix-Antoine Lebel. C'est un avantage, parce que d'un point de vue compétitif, si on achète des composants des autres, on ne pourra pas faire mieux qu'eux. Humblement, notre objectif est d'être la meilleure équipe universitaire au monde.»

«Aujourd'hui, on peut bien mesurer l'avantage d'avoir été encadrés, le fait d'avoir suivi un vrai processus d'ingénierie, a affirmé Alexandre Gagnon-Leblanc. On des échéanciers à respecter, il y a des crédits associés au succès de notre projet.»

«Pour ma part, je dois souvent me rappeler que je vais obtenir une note au terme du projet, a avoué de son côté Félix-Antoine Lebel. Pour moi, c'est devenu tout sauf un projet scolaire!»

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Du virtuel au réel

Le produit est amené à maturité dans le virtuel avant d'aller en production. L'équipe EMUS a fait l'évaluation virtuelle de la vitesse et du comportement de la moto en piste en décortiquant mathématiquement les mouvements en piste d'une Yamaha R6, sur laquelle on a installé un système d'acquisition de données. «On veut surtout une moto agile, davantage qu'une bombe, explique Félix-Antoine Lebel. Notre but est de sortir les premiers d'une courbe.»



Les batteries, le nerf de la guerre

Quelque 243 batteries lithium-polymère valant 70$ l'unité seront installées dans le caisson d'aluminium structurant qui prend la place du réservoir à essence sur une moto traditionnelle. «Au départ, on a envisagé de prendre des batteries de Zero Motorcycles, avoue Félix-Antoine Lebel. Mais quand les gens de génie électrique ont été intégrés au projet, c'est devenu possible de développer notre propre bloc-batteries, adapté au design de la notre moto.» «On a choisi des batteries qui nous permettaient d'obtenir le meilleur rapport poids-puissance-prix, enchaîne Pascal Messier, étudiant en génie électrique. On a fait notre choix après avoir évalué pas moins de 300 modèles différents.»



Photo François Roy, La Presse

Gestion électrique

Avoir les bonnes batteries n'est rien si on ne peut pas gérer leur puissance convenablement. «Chaque cellule se décharge et se recharge à des rythmes différents, explique Pascal Messier. Il faut donc que l'unité de contrôle s'assure de conserver pour toutes les batteries le même niveau que le maillon le plus faible de la chaîne.» «Les batteries contiennent beaucoup d'énergie dans un espace très réduit, enchaîne son collègue Vincent Roy. Le circuit électrique va donc gérer la gestion des batteries, en fonction des spécifications précises des fabricants.» Parce qu'une surcharge peut entraîner une explosion et qu'une seule décharge complète peut rendre la batterie inutilisable.



Photo François Roy, La Presse

Moteur et trouvailles techno

L'équipe EMUS est la première à avoir développé un embrayage entièrement électronique, qui pourrait être breveté. L'embrayage permet de désengager la traction, ce qui est utile en course à l'amorce de freinages appuyés. Parlant du moteur électrique, il a été choisi pour son excellent rapport poids-puissance, mais aussi pour son grand diamètre qui permet d'obtenir plus de couple à bas régime, ce qui est particulièrement pertinent parce que la moto n'a aucune boîte de vitesses. «L'accélération de 0 à 50 km/h n'est pas foudroyante, mais comme on descend très rarement sous cette vitesse en piste, ce n'est pas un irritant majeur», soutient Félix-Antoine Lebel.



Photo François Roy, La Presse

En piste

«On peut théoriquement amener la moto à la bonne place, mais il faut ensuite l'expertise d'un pilote pour vérifier que nos calculs sont bons», reconnaît Alexandre Gagnon-Leblanc. C'est pourquoi l'équipe EMUS s'est adjoint les services de l'ancien champion canadien Francis Martin, qui a prodigué ses conseils aux étudiants, tout en promettant de piloter la moto quand viendra le temps d'aller en piste. Le mécanicien moto Patrice Goyette a également mis la main à la pâte, lui qui a travaillé depuis 2001 pour une quinzaine de pilotes professionnels. «C'est un beau projet, ça représente le futur, affirme Goyette. De plus, EMUS possède une plateforme solide qui peut facilement évoluer encore pendant deux ou trois ans.»



Photo François Roy, La Presse

Développement constant

EMUS a beau être un projet de fin d'études, sa vie utile n'est pas terminée pour autant. D'abord, la moto a été sciemment conçue pour être améliorée: «C'est un concept modulaire, qui est rétrocompatible, explique Félix-Antoine Lebel. On peut tout changer, remplacer les pièces actuelles par de nouvelles, plus performantes. Aussi, nous pourrions proposer des idées à d'autres étudiants, de façon à poursuivre le développement de la moto. On pourrait, par exemple, mettre au point un système de contrôle de traction. On a vu à l'Université de Sherbrooke une, deux, parfois trois itérations d'un même projet.»



Photo François Roy, La Presse

En quête de championnat

Il n'existe actuellement aucun championnat international de moto électrique. La série eRoadRacing de la Fédération internationale de motocyclisme, née en 2013 de la fusion entre les concurrents TTX GP et FIM e-Power, n'aura finalement duré qu'une seule saison, plusieurs courses ayant même été annulées. La course TT Zero, organisée dans le cadre des activités de l'Isle of Man Tourist Trophy, est aujourd'hui l'épreuve phare en course de moto électrique. La série américaine eMotoRacing, qui a vu le jour en 2014, est encore modeste, mais elle devrait continuer de croître l'année prochaine, avec un calendrier de 10 événements disputés en partenariat avec le championnat American Historic Racing Motorcycle Association (AHRMA).

Photo François Roy, La Presse