Après un court hiatus d'un peu plus de deux mois, les pilotes canadiens de rallye reprennent le volant ce week-end à l'occasion du 50e Rallye Perce-Neige, à Maniwaki. Une très courte saison morte qui a néanmoins vu Antoine L'Estage, septuple champion canadien, embauché par Subaru Canada, constituant ainsi la plus redoutable force de frappe de l'histoire du rallye au pays. Pour le meilleur et pour le pire.

Battre. Tous. Les. Records. D'étapes.

C'est l'incroyable objectif que se sont fixé Antoine L'Estage et sa nouvelle écurie, Subaru Rally Team Canada. Insensé? Oui, parce que le rallye est un sport imprévisible, et la moindre malchance peut avoir des conséquences catastrophiques. Non, quand on sait que L'Estage a remporté toutes les épreuves en 2014 au volant d'une voiture qui était de loin inférieure à sa toute nouvelle monture.

«Subaru veut amener ça à un autre niveau et repousser toutes les limites. Le but est d'inscrire de nouveaux records d'étape partout, nous a expliqué L'Estage. Et il y a quelques chronos qui m'appartiennent qui vont être durs à battre!» Bref, le principal adversaire d'Antoine L'Estage en 2015 sera Antoine L'Estage. C'est d'autant plus vrai que son principal rival des dernières années, Patrick Richard, a pris sa retraite au printemps pour des raisons de santé. Il est en fait devenu le patron de L'Estage, en sa qualité de propriétaire de Rocket Racing, équipe mandatée par Subaru pour préparer les Impreza WRX STi de rallye.

«Antoine est sans nul doute le meilleur pilote de rallye de l'histoire, au Canada, a soutenu Terry Epp, le directeur du Championnat des rallyes canadiens. Il a une forme physique exemplaire, il est très fort psychologiquement et sa technique est parfaite. Personne ne lui arrive à la cheville. Il est le Gilles Villeneuve du rallye. Entre vous et moi, Antoine aurait gagné le championnat avec une voiture à deux roues motrices!»

À quoi bon s'évertuer à rouler au Canada alors qu'il n'a plus rien à prouver? Antoine s'impatiente un peu quand on lui fait la remarque. «Pour moi, c'est un nouveau défi, c'est très motivant, ça me donne un nouveau souffle, nous a-t-il assuré. Je suis vraiment super content. Subaru est un nom iconique dans le monde du rallye, et c'est vraiment chouette de pouvoir conduire pour une équipe officielle. Qui ne voudrait pas être à ma place?»

Les démarches entreprises à l'automne par le pilote de Saint-Jean-sur-Richelieu pour trouver de nouveaux commanditaires - notamment Red Bull - étaient bien loin d'être conclues quand Subaru l'a pressenti. Évidemment, il est désormais engagé auprès du constructeur japonais, mais il lui est toujours possible d'afficher les logos de partenaires sur son casque - «le fait d'avoir signé chez Subaru nous a ouvert d'autres portes, car ça va très certainement nous donner une meilleure visibilité», a dit L'Estage.

Offensive marketing

Pour Subaru, c'est une forme de capitulation. Le constructeur, commanditaire en titre de la série canadienne, s'est buté cinq ans de suite à L'Estage et à sa Mitsubishi Lancer EVO X. Pour ajouter l'insulte à l'injure, le pilote québécois ne bénéficiait plus l'an dernier de l'appui de Mitsubishi. C'est tout juste si quelqu'un de Mitsubishi Canada a daigné aller cueillir le trophée du championnat des constructeurs quand il a été livré à ses locaux, à Mississauga.

Mais Subaru veut plus que jamais gagner, il lui fallait donc un pilote en mesure de démontrer le plein potentiel de l'auto, tâche à laquelle a lamentablement échoué Martin Rowe l'an dernier après avoir pris la relève de Pat Richard. «Nous comptons désormais sur le meilleur pilote et nous voulons voir ce qu'il peut faire à bord de la meilleure voiture», s'est félicité Ted Lalka, vice-président marketing de Subaru Canada.

C'est aussi une belle occasion de marketing pour Subaru. «Pour bien des gens, les Subaru sont des voitures fiables et sécuritaires, mais on les associe aussi très souvent à ces courses folles en forêt, a poursuivi M. Lalka. Ça montre que nos efforts trouvent un écho bien au-delà des amateurs de sport motorisé. Nous allons donc utiliser notre nouvelle association avec Antoine pour augmenter encore cette reconnaissance du public. Est-ce que cela pourrait passer par une publicité télé? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais nous allons certainement faire quelque chose, il n'y a pas de doute.»

Subaru Canada ne rejette pas non plus l'idée de faire du rallycross ou de se frotter à David Higgins, qui domine la série Rally America dans l'équipe Subaru Rally Team USA. «Nous allons d'abord nous concentrer pour gagner au Canada. Ça pourrait certainement être intéressant de courir aux États-Unis, a admis Ted Lalka. Mais ce serait davantage pour satisfaire l'équipe et notre fierté nationale.»

Battre les Américains chez eux? Ça peut faire un bon argument de vente, non?

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Un 50e anniversaire en demi-teinte

Patrick Rainville aurait voulu célébrer le 50e anniversaire du rallye Perce-Neige bien différemment. Le plus ancien rallye en Amérique du Nord, malgré son ancienneté, peine à attirer les pilotes cette année. À quelques jours du rallye, l'organisateur de la course accuse déjà un déficit de 20% dans son budget...

Au moment d'écrire ces lignes, 26 équipages avaient confirmé leur présence au rallye, dont seulement 16 qui étaient là l'an dernier. Il y a un an, au-delà de 40 voitures se préparaient à s'élancer sur les routes enneigées de la Haute-Gatineau. «Je ne sais pas trop comment me sentir, nous a avoué M. Rainville au téléphone. On est conscient que le rallye n'est pas un sport très connu du grand public, et avec la conjoncture économique actuelle, je comprends que les inscriptions puissent être en baisse.»

Par contre, M. Rainville a doté l'événement d'un volet culturel jusqu'alors inédit. Jonas and the Massive Attraction seront sur scène en plein air au centre-ville de Maniwaki vendredi soir, alors qu'un grand feu d'artifice sera présenté après la remise des trophées, samedi. «On a instauré un volet culturel pour venir à bout d'assurer la survie de l'événement sans trop compter sur la participation des compétiteurs, a avoué M. Rainville. Actuellement, la majorité de notre financement vient des inscriptions.»

Bref, on essaie de faire fi des problèmes en piste en bonifiant l'événement. Pas bête. Mais Patrick Rainville martèle qu'il n'est pas un organisateur de festival, mais bien un passionné de rallye. Et il estime que l'on s'y prend mal pour assurer la viabilité de la discipline. On devrait selon lui développer par la base. «Quand les gens entendent le mot rallye, ils pensent aussitôt à Antoine L'Estage, soutient le directeur du rallye Perce-Neige. Personne ne veut rouler avec autre chose qu'une grosse voiture. Mais si les gars qui dépensent 40 000 $ par année pour faire de la figuration en classe ouverte mettaient le même budget en classe production ou en deux roues motrices, ils auraient des voitures de pointe. Et c'est le fun!»

Du côté des dirigeants du championnat canadien, on reconnaît que le défi est colossal. «Le problème du rallye est le même pour toutes les autres séries de sport automobile au Canada; c'est très difficile d'attirer les commanditaires, soutient Terry Epp, directeur du championnat. En fait, c'est le cas pour tous les sports en général, sauf l'exception notable du hockey. Nous, on court dans les bois, ce n'est donc pas facile d'offrir une bonne visibilité à nos commanditaires.»

Le CRC compte sur les réseaux sociaux pour augmenter sa notoriété et produit d'excellentes vidéos mises en ligne sur le site internet de la série - qui sera d'ailleurs complètement renouvelé à la fin de la saison.

L'association entre Antoine L'Estage et Subaru pourrait aussi être bénéfique pour le rallye canadien. «Juste venir voir Antoine venir battre des records, c'est historique, soutient Patrick Rainville. Voir le meilleur dominer, il ne faut pas manquer ça!»

Sans oublier que la lutte sera féroce au sein du peloton pour les deuxième et troisième places. «Je crois bien que nous allons attirer cette année de nouveaux commanditaires, probablement pas des partenaires majeurs, mais néanmoins, nous a confié Terry Epp. Nous voulons démontrer qu'il est possible d'obtenir un bon retour sur investissement. Je sais que Subaru et Yokohama sont satisfaits.»