Quand les 542 chevaux du délicieux V8 de la Jaguar F-Type R sont réduits à assurer le bon fonctionnement d'une pompe à carburant, on comprend que l'on est dans un univers de superlatifs. Celui du Bloodhound SSC, voiture-fusée qui tentera de pulvériser le record de vitesse terrestre en franchissant la barrière des 1000 milles à l'heure. Survol du bolide et rencontre avec ses principaux artisans.

Septembre 2016, c'est le printemps austral, quelque part au fond d'un lac asséché aux confins de l'Afrique du Sud, de la Namibie et du Botswana. Le pilote de chasse Andy Green s'apprête à conduire une voiture à 1600 km/h, une vitesse jamais atteinte auparavant. Et qui pourrait fort bien demeurer la marque à battre pour des décennies, sinon plus.

«Techniquement, c'est sans doute possible d'aller encore plus vite que le Bloodhound SSC, mais en pratique, je n'en sais rien, a soutenu le Dr Dan Evans, qui était de passage la semaine dernière à Montréal pour présenter le projet sur lequel il travaille depuis sept ans. Si nous réussissons à atteindre les 1000 m/h, je crois que ce record va tenir très longtemps.»

Il s'agit bien sûr d'un projet ambitieux, mais l'espace nécessaire pour réussir un tel exploit est aujourd'hui à peu près impossible à trouver sur notre planète. «Hakskeen Pan s'étend sur 19 km, c'est l'un des rares endroits qui possèdent une aussi longue surface plane, et nous avons besoin de toute cette distance, a affirmé le Dr Evans. Pour atteindre la vitesse de 1500 m/h, qui pourrait être la prochaine cible, nous pourrions ne pas trouver l'espace nécessaire.»

Le Bloodhound SSC va rouler pour la première fois cet été sur une piste d'atterrissage au Royaume-Uni, après quoi il fera ses premiers essais en Afrique du Sud en septembre, où il pourrait dès lors battre le record de 1228 km/h enregistré en 1997 par ThrustSSC. C'est un an plus tard que l'on visera l'ultime marque de 1600 km/h, car le lac Hakskeen est à sec pendant environ huit semaines, de la fin septembre au début novembre.

Aérodynamisme et propulsion hybride

L'équipe de Bloodhound SSC cherche à surpasser l'actuelle marque mondiale par 63 %, rien de moins. C'est un saut dans l'inconnu. Les erreurs sont donc possibles. C'est pourquoi une série de dispositifs de sécurité intégrés peuvent intervenir automatiquement en cas de pépin. Par contre, l'aérodynamisme doit être parfaitement à point.

«Si nous faisons une erreur, cette voiture pourrait facilement décoller. Au-delà de 500 ou 550 km/h, il y aura assez d'énergie au-dessus de la voiture pour la faire décoller du sol» a affirmé le Dr Dan Evans, aérodynamicien à l'Université Swansea.

On est évidemment confiant de garder la voiture sur le plancher des vaches, l'appui aérodynamique est évalué à pas moins de 20 tonnes à pleine vitesse.

Pour atteindre les 1600 km/h visés, l'équipe du Bloodhound a choisi un mode de propulsion hybride, soit un réacteur et une fusée, une décision à la fois économique et flexible. «Nous aurions pu choisir de travailler avec deux réacteurs, comme dans le projet ThrustSSC, mais ils sont lourds, nous a expliqué l'adjudant Lee Smith, de la division Royal Electrical and Mechanical Engineers de l'armée britannique. Aussi, nous pouvons davantage contrôler la puissance de la fusée en fonction de nos besoins.»

«Le réacteur est utilisé pour atteindre environ 300 m/h, après quoi nous déclenchons la fusée, ce qui nous amène rapidement à très haute vitesse, a enchaîné de son côté le colonel Dan Scott. Les fusées sont très chères, c'est pourquoi il est plus efficace d'utiliser un réacteur en appoint à la fusée. Aussi, nous pouvons tester la voiture avec le seul réacteur; si nous devions utiliser la fusée à chaque occasion, ça deviendrait extrêmement coûteux.»

Le budget initial du projet avait été évalué à 12 millions de livres (23 millions de dollars CAN), mais on parle aujourd'hui de 20 et 30 millions de livres (38 et 58 millions CAN). «Ça semble beaucoup d'argent, mais dans l'univers du sport automobile ou de l'aérospatiale, c'est des «peanuts», a soutenu le Dr Evans. Et tout le financement vient de commanditaires.»

Le gouvernement britannique a de son côté assuré le financement d'un projet éducatif qui se déroule en parallèle.

«Si nous réussissons à atteindre la marque des 1000 m/h, nous aurons réalisé quelque chose d'unique qui pourra inspirer les jeunes pendant de nombreuses années,» a conclu le colonel Daniel Scott.

Andy Green, pilote supersonique

Andy Green, seul être humain à avoir piloté une voiture au-delà du mur du son, sera aux commandes du Bloodhound SSC. Il est évidemment une pièce maîtresse de l'équation. «Andy a choisi la position des commandes dans le cockpit, son siège a été moulé selon ses besoins et sa morphologie, a expliqué la caporale Siobhan Spiers. Si quelque chose ne lui plaît pas par rapport aux essais réalisés dans le passé, les changements seront faits. Son expérience est donc cruciale dans le développement du cockpit.» Aussi, comme les efforts qu'Andy Green avait dû déployer en 1997 au volant du ThrustSSC ont été considérables, le design du Bloodhound a été pensé de façon à ce que la voiture puisse rouler en ligne droite sans que le pilote ne soit trop sollicité. Même les roues pleines en aluminium se terminent légèrement en pointe pour mieux tracer leur chemin dans le sable.