Au Japon, pays où l'auto tout électrique est le mieux implantée, un tiers des automobilistes qui en ont acheté une en 2011 et en 2012 n'en auraient probablement pas acheté une deuxième lorsqu'on leur a posé la question en 2012, selon une étude publiée en 2013 par la firme d'experts-conseils McKinsey & Co. (et non pas en 2014, tel qu'on pouvait le croire dans une version antérieure et plus courte de ce texte).

L'étude demeure quand même d'actualité et jette un éclairage détaillé sur les mentalités des consommateurs faisant partie de la première cohorte d'acheteurs, les « adeptes de la première heure » (souvent appelés early adopters dans les études de marketing américaines). Elle montre aussi pourquoi le marché japonais de l'auto électrique est condamné à demeurer marginal sans une baisse de prix et une amélioration de l'autonomie, une réalité observable dans tous les autres pays où l'auto électrique fait ses premiers tours de roue.

Deux ans après le lancement au Japon de la Nissan Leaf et de la Mitsubishi i-Mi-EV, McKinsey a demandé en 2012 aux propriétaires d'autos à batterie : « Choisirez-vous une électrique quand vous changerez d'auto ? » Pour 16 % d'entre eux, la réponse est « non » ; 18 % ont répondu « peut-être que non ». Même si 58 % ont répondu « oui » et que 8 % ont répondu « peut-être que oui », McKinsey trouve que le pourcentage d'acheteurs déçus est significatif : cette minorité représente les consommateurs moyens sans convictions environnementales particulières. Ces clients moins motivés et moins renseignés que les vrais « verts » ont d'abord été « séduits » par l'effet de mode et la nouveauté de l'auto tout électrique (sans oublier l'essai routier chez le concessionnaire et les subventions à l'achat). Mais ont vite déchanté lorsque confrontés à l'autonomie restreinte et la rareté des bornes de recharge. Bon nombre d'entre eux n'avaient pas  compris que leur compte d'électricité augmenterait, note l'étude.

McKinsey considère que cette minorité déçue parmi les acheteurs de la première heure a une grande importance : « Ces acheteurs compulsifs, manifestement, n'ont pas le profil du propriétaire satisfait d'une auto électrique. Dans les faits, ils pourraient « empoisonner le puits » pour le reste de la population indécise. »

Les propriétaires satisfaits, eux, déjà prêts à acheter une seconde voiture tout électrique (environ les deux tiers des répondants) venaient en grande partie d'un groupe de consommateurs ayant d'avance un grand intérêt pour l'innovation technologique ainsi qu'une conscience plus aiguisée que la moyenne des enjeux environnementaux, note McKinsey. L'étude décrit ces convaincus de la première heure comme « programmés », si on peut dire (hardwired, dans le texte), par leurs convictions personnelles, leurs valeurs sociales, leurs goûts et leurs aspirations. Ces consommateurs très motivés ont fait un achat très informé et surtout, parfaitement en phase avec leurs convictions personnelles profondes et de longue date, dit McKinsey.

Ajoutons à ces convertis d'avance un petit groupe d'acheteurs avertis (pas particulièrement « verts » ni portés sur la haute technologie) qui ont consciencieusement fait leurs devoirs de consommateurs et qui ont décidé d'acheter une tout électrique. Ceux-là aussi avaient des attentes réalistes et sont susceptibles d'en acheter une deuxième.

On peut déduire de cela que les deux tiers d'acheteurs de la première heure satisfaits étaient protégés de la déception par leur connaissance de l'auto tout électrique -- ses forces autant que ses limites-- et par leurs attentes réalistes envers le produit.

À l'opposé, ceux qui ont rejeté la voiture tout électrique après l'avoir sérieusement considérée étaient généralement beaucoup plus sceptiques quant à l'utilité pratico-pratique de ce type de voiture dans l'environnement routier japonais de 2012. Ces consommateurs avertis qui ont dit non merci après considération résument à eux seuls les limites de l'auto électrique dans son état et à son prix actuels.

« À première vue, ceux qui ont au moins considéré l'achat d'une auto électrique sembleraient susceptibles d'évoluer et de devenir acheteurs. Mais ce n'est pas le cas : ils ont de fortes raisons de ne pas en vouloir d'autos électriques », (trop chères, pas assez de bornes de recharge, autonomie trop courte, temps de recharge trop long, etc).

Et cela est vrai partout au monde, pas seulement au Japon.

La bonne nouvelle, s'il y en a une, se trouve chez la grande majorité des consommateurs qui ne se sont pas intéressés à l'auto électrique et qui n'ont même pas envisagé d'en acheter une. McKinsey pense que dans cette majorité pour l'instant indifférente se cache assez d'acheteurs potentiels qui s'ignorent pour ajouter 1,1 point de pourcentage au marché automobile japonais. Si les constructeurs s'attellent et font un patient travail d'éducation des acheteurs déçus, une petite partie peut être conservée, ce qui représenterait 0,7 % du marché automobile japonais, ajoute McKinsey. Quant aux consommateurs avertis au moins prêts à considérer l'achat d'une électrique, l'arrivée de nouveaux modèles et une campagne d'éducation bien ciblée pourraient ajouter encore 0,9 point de pourcentage à la part de marché électrique dans le marché japonais.

Au total, 3 % du marché automobile est une cible réaliste, estime McKinsey.

Ces chiffres sont probablement valables pour le reste du monde : au Québec, seulement 3000 voitures électriques roulent sur nos routes ; aux États-Unis, on en compte seulement 100 000 tout électriques (presque 230 000 si on inclut les hybrides). Les voitures entièrement ou partiellement électriques branchables représentaient environ 0,7 % des ventes annuelles de 2013. Au Japon, les ventes de ce type de voitures ont atteint 0,55 % des ventes en 2013. Même en Europe, où le Français Renault fabrique certaines des meilleures autos électriques au monde, les ventes sont très inférieures aux prévisions.

Note de la rédaction : Ce texte a été modifié et augmenté à la suite d'un courriel de l'Association des véhicules électriques du Québec avisant La Presse d'une erreur de date qui rend périmés une partie des chiffres publiés dans une nouvelle brève publiée sur LaPresse.ca mardi. Effectivement, l'étude de McKinsey a été réalisée en 2012 et publiée en 2013, pas en 2014. Nos excuses à nos lecteurs. La présente version comprend des chiffres plus récents et s'étend davantage sur les de l'étude complète, qui peut être consultée en cliquant ici.