Le projet du gouvernement du Québec d'implanter une première «station multicarburants» dans la province d'ici deux ans suscite beaucoup de questions. Déjà, des réticences se font entendre. Le tour de la question en 7 questions.

UN PROJET « ABERRANT ET INUTILE »

Spécialiste en politique énergétique, le professeur de HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau juge ce projet inutile :

« C'est un peu ridicule parce qu'il n'y a pas de voitures à hydrogène et il n'y en aura pas dans cinq ans. Même chose pour le propane et le gaz naturel. Ce sont des véhicules de flotte. Alors, ça risque d'être un éléphant blanc. C'est comme une vitrine qui va convaincre pas grand monde. Cinq carburants ? C'est aberrant, mais c'est surtout inutile », lance-t-il. Le physicien et auteur Pierre Langlois est tout aussi sceptique et critique l'intégration de l'hydrogène : « C'est du gaspillage. [...] Il ne faudrait pas faire une infrastructure de gaz naturel et d'hydrogène partout au Québec, ça n'a pas de sens. [...] C'est pire que l'essence en GES. On enverrait tout l'argent de l'électrification des transports dans un puits sans fond. »

AP

GM est parmi les meilleurs en propulsion à hydrogène. C'est aussi un des plus sceptiques. Après avoir déployé plus de 100 Equinox à hydrogène en utilisation réelle, GM n'a pas l'intention de lancer un modèle grand public dans un avenir prévisible. Ci-haut, un Equinox Fuel Cell est ravitaillé dans une station d'hydrogène de New York.

DE QUOI S'AGIT-IL ?

Annoncée il y a un mois, la première station multicarburants du Québec doit être implantée d'ici à la fin de 2018.

Elle fournira cinq carburants : essence, électricité, hydrogène, gaz naturel et propane. Voitures ou camions, tous les types de véhicules pourront s'y ravitailler. En raison de leur flot de circulation, quatre régions ont été ciblées pour cette première : Montréal, Québec, l'Estrie et l'Outaouais. Le tout premier lieu n'est pas encore annoncé. Officiellement, cette station est un des moyens pour atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre de la province. « C'est une impossibilité absolue de réussir à relever ce défi si toutes les formes d'énergie ne travaillent pas en complémentarité », a déclaré le 3 octobre Sophie Brochu, présidente de Gaz Métro, un des partenaires de ce projet. Québec veut ainsi favoriser l'utilisation d'énergies vertes.

Mercedes-Benz Classe B au gaz naturel. Image: Mercedes-Benz

DES STATIONS MAIS PAS DE VOITURES

Fournir cinq carburants sans savoir exactement ce que l'avenir nous réserve est périlleux. Il y a fort à parier que l'essence et l'électricité cohabiteront un temps.

L'industrie automobile ne semble pas croire que le gaz naturel et le propane propulseront les voitures. Et l'hydrogène présente encore trop d'inconvénients pour être exploité. En est-on conscient à Québec ? « Ça va faire partie des analyses qui vont être faites, répond Nicolas Bégin. Qu'est-ce qu'il va en être ? On n'a pas de boule de cristal. Il y a des projections et des prévisions qui sont faites. On va suivre ça. » Ne risque-t-on pas d'avoir une station mais pas de voitures ? « Il faut se rappeler que ces stations vont offrir de l'essence et de l'électricité », dit M. Bégin. « On veut faire cohabiter des segments de clients différents, les voitures, le transport lourd, etc. », rappelle Deny Lavoie.

Durant des années, Gaz Métro a possédé la seule auto à hydrogène au Québec (une Civic). Ce nombre a doublé, Hyundai en a une à Trois-Rivières. Photo: André Pichette, La Presse

QUÉBEC VEUT LÉGIFÉRER AVANT LE PROJET-PILOTE

Avant même les conclusions du projet pilote sur la première station, le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles Pierre Arcand s'est engagé le 3 octobre à réglementer à l'avenir l'offre en multicarburants.

« On espère que d'autres entreprises suivent l'exemple du projet pilote et que les Shell et Ultramar de ce monde ouvrent des stations multicarburants. On fait de l'offre multicarburants une exigence pour toute station créée ou rénovée après 2030 », confirme son porte-parole Nicolas Bégin. Les distributeurs Harnois et Pétro-T projettent de tels sites. Quelques stations de Petro-Canada offrent déjà la recharge électrique, du propane et du gaz naturel. « On voit ça d'un bon oeil, comme un processus irrévocable, on doit aller vers des énergies plus propres, [...] vers ce genre de stations », indique Deny Lavoie, vice-président Énergie du groupe Filgo-Sonic.

Shell a ouvert quelques postes d'avitaillement en hydrogène en Californie et en Europe. Photo: Hyundai


LES PÉTROLIÈRES AU PREMIER RANG

Le gouvernement du Québec est le maître d'oeuvre de ce qui est pour l'instant un projet pilote.

Mais il s'est associé avec le distributeur de produits pétroliers Sonic, filiale de la Coop Fédérée. « La Coop est un acteur de premier plan dans la distribution de produits pétroliers.

Elle va agir à titre d'opérateur de la station multicarburants par l'intermédiaire de sa filiale », explique Nicolas Bégin, porte-parole du ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles (MERN). Sonic n'est pas le seul représentant des hydrocarbures associé à ce projet. Les autres partenaires sont Gaz Métro, l'Association québécoise du propane, Air Liquide et Toyota Canada, qui milite activement pour l'hydrogène. Hydro-Québec est évidemment le partenaire représentant l'électricité.

Sonic, une filiale de la Coop fédérée, est le principal partenaire du projet. Photo: Le Nouvelliste

UNE OU PLUSIEURS STATIONS ?

D'ici à 2018, Québec et ses partenaires, par l'entremise d'un comité de pilotage, vont examiner la faisabilité du projet.

« Il va y avoir une étude de faisabilité qui va permettre de faire différentes analyses de marché, financières et socioéconomiques, explique Nicolas Bégin. [...] L'étude de faisabilité va nous permettre d'en savoir plus sur le coût. » En théorie, cette analyse doit conclure si une station multicarburants a sa raison d'être ou pas. « Pour l'instant, ce qui est prévu, c'est qu'il y en ait au moins une, le projet pilote. Et à partir de ça et des différentes analyses, il est prévu qu'il y en ait d'autres. Le projet pilote va permettre de voir concrètement si c'est quelque chose de viable, de voir ce que ça donne concrètement dans la vie de tous les jours », affirme Nicolas Bégin.

La station multicarburants abriera des bornes de recharge électriques, mais ne sera pas similaire à cette station solaire GM. Photo: GM

L'IDÉE FAIT SON CHEMIN AILLEURS

Ce projet de Québec n'est pas unique dans le monde. Il y a deux ans, l'aéroport de Chicago a annoncé l'ouverture prochaine d'une station offrant du gaz naturel, des bornes de recharge rapide et du biodiesel.

Pareil projet fleurirait au Connecticut, au Massachusetts, dans l'État de New York et en Californie.

En France, le géant pétrolier Total a pris les devants, comme l'a confié récemment son directeur général marketing et services au quotidien français La Tribune.

« J'envisage que, dans les cinq ans à venir, Total puisse proposer un réseau de bornes de recharge électrique dans ses stations en France, et cela même si je dois être en avance sur le marché », a indiqué Momar Nguer. Sans préciser comment, Québec souhaite qu'il y ait au moins une borne de recharge dans toutes les stations de la province d'ici à 2020.

Total investit dans l'hydrogène, mais installera aussi des bornes électriques. Photo: AFP