La volonté du gouvernement du Québec d'explorer le créneau des voitures à hydrogène et même de devenir un exportateur de ce carburant propre laisse perplexes plusieurs experts et environnementalistes.

La semaine dernière, le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Moreau, a profité du Salon de l'auto de Montréal pour annoncer que le Québec deviendra le banc d'essai canadien de la Toyota Mirai, une voiture à hydrogène notamment commercialisée en Californie et au Japon. Cinquante voitures seront testées au Québec, et deux stations de ravitaillement seront implantées (une à Montréal et une à Québec). Le gouvernement a aussi fait part de son rêve de devenir un exportateur d'hydrogène.

« Nous avons la chance au Québec de pouvoir produire de l'hydrogène propre, une source d'énergie qui pourrait d'ailleurs nourrir un marché d'exportation », a déclaré le ministre Moreau.

Les experts reconnaissent que la province doit garder un oeil sur l'hydrogène, une technologie qui pourrait notamment faire diminuer la pollution dans le secteur du camionnage. Mais ils sont loin d'être convaincus que le Québec procède de la bonne façon, notamment parce que la voiture électrique a une telle avance sur celle à hydrogène que cette dernière semble condamnée à court et à moyen terme.

« Cette annonce n'a absolument aucun sens d'un point de vue scientifique ou économique », soutient Normand Mousseau, physicien à l'Université de Montréal et ex-coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec.

Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal, estime aussi que l'annonce de Québec « n'est d'aucune utilité ». « On est en mode "Faisons rêver la population québécoise avec des solutions qui ne demanderont pas d'efforts de changement de leur part". Et malheureusement, c'est trop souvent à ça qu'on fait appel dans la lutte contre les changements climatiques », déplore l'expert.

Même son de cloche du côté de Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace. Lui aussi affirme que Québec doit rester à l'affût des faits nouveaux dans l'hydrogène, mais il comprend mal l'idée de faire les tests sur des voitures.

« Clairement, dans les véhicules légers, l'hydrogène n'est pas le moyen à privilégier pour réduire les émissions. Ça peut même être contre-productif si on a de l'argent qui pourrait être investi dans l'électrification des transports et qu'on déploie vers l'hydrogène », dit-il.

L'Association des véhicules électriques du Québec a aussi parlé de « gaspillage d'argent » et publié un communiqué pour inciter le premier ministre Philippe Couillard à abandonner l'idée.

PEU D'ARGENT PUBLIC

La société d'État Transition énergétique Québec (TEQ), qui supervisera le projet, se défend en expliquant qu'il s'agit d'une initiative de l'entreprise Toyota dans laquelle Québec ne jouera qu'un rôle de facilitateur. « Le gouvernement du Québec ne met pas un cent là-dedans », affirme la responsable des communications, Annie Guertin.

Québec achètera toutefois quelques Toyota Mirai pour les ajouter à son parc de véhicules. Le gouvernement pourrait aussi financer jusqu'à 50 % des coûts des deux stations de ravitaillement, mais aucune estimation n'est disponible.

Mme Guertin explique qu'il faut voir la participation du gouvernement comme une « expérimentation ». « C'est sûr que si on se rend compte que cette technologie ne répond pas à certains critères, on n'ira pas de l'avant. Mais on veut se donner la possibilité d'explorer des avenues », dit-elle.

Avantages et inconvénients

La voiture à hydrogène peut-elle sauver l'environnement  ? Le Québec est-il réellement bien placé pour devenir un exportateur d'hydrogène ? Le point.

ENVIRONNEMENT

Une voiture à hydrogène ne rejette que de la vapeur d'eau. On peut produire l'hydrogène qui l'alimente de plusieurs façons, dont l'électrolyse - séparer l'oxygène et l'hydrogène de l'eau avec de l'électricité. Si cette électricité est propre, comme c'est le cas avec l'hydroélectricité québécoise, l'ensemble du processus n'entraîne pas d'émissions polluantes. Hydro-Québec, qui s'est déjà montrée sceptique par le passé envers la voiture à hydrogène, affirme maintenant être prête. « La production d'hydrogène au Québec pourrait représenter une opportunité pour Hydro-Québec en termes de ventes d'électricité. Nous avons de l'énergie disponible et nous serons au rendez-vous pour alimenter le développement de cette filière », a fait savoir à La Presse la société d'État.

EAU

Le gouvernement du Québec fait aussi valoir que l'eau qui sert à l'hydrolyse est en abondance au Québec. Le chercheur Normand Mousseau réfute toutefois cet argument. Il calcule qu'on pourrait alimenter l'ensemble du parc automobile du Québec avec une fraction de l'eau potable qui sert à alimenter une ville comme Montréal. « On se raconte des histoires en disant qu'on a là un avantage concurrentiel », dit-il.

RECHARGE

On peut remplir une voiture d'hydrogène en cinq minutes contre une trentaine de minutes pour charger une voiture électrique avec les bornes les plus efficaces. Le hic : il faudrait construire tout un réseau de distribution et de stations-service, un défi logistique colossal. Le Québec, par exemple, exporterait-il son hydrogène par bateau ? Par camion ? Ce n'est pas clair. En comparaison, le réseau électrique, qui passe déjà partout, représente un avantage important.

COÛTS

L'hydrogène coûte cher. En Californie, où la Mirai est déjà commercialisée, il en coûte actuellement environ 33 cents US par mile pour la faire fonctionner (environ 26 cents CAN par kilomètre), soit près de trois fois plus que pour une voiture à essence. Ces coûts finiront par baisser. Mais comme le processus d'électrolyse est déjà efficace à environ 70 %, le chercheur Normand Mousseau croit qu'on frappera rapidement une limite. « C'est extrêmement difficile de voir comment on peut rendre ça compétitif », dit l'expert.

PUISSANCE

Même les détracteurs de la voiture à hydrogène conviennent que ce type de carburant pourrait jouer un rôle intéressant dans d'autres créneaux (transport par camion, par exemple). Leurs propos rejoignent ceux de Richard Chahine, directeur de l'Institut de recherche sur l'hydrogène à l'Université du Québec à Trois-Rivières. « La voiture électrique est meilleure pour ce qu'elle fait, convient-il. Mais elle a des limites. Les modèles qui sont sortis sont à petite puissance et à autonomie limitée. Si on parle de camionnage ou de voitures familiales, il faut trouver d'autres technologies propres. »