Depuis le premier choc pétrolier de 1973, à chaque fois que le prix de l'essence franchit un nouveau sommet symbolique, bien des consommateurs songent à compenser la hausse en se crachant dans les mains et en faisant soi-même un peu d'entretien. Changer l'huile et le filtre. Acheter quatre jantes et changer les pneus en avril et en novembre. Remplacer les phares brûlés. Remplir les réservoirs de liquides sous le capot. Ça ne peut pas être si difficile que ça, non?

Canadian Tire vient de publier un sondage selon lequel de 37% à 60% des Québécois - selon la nature de l'intervention - voudraient désormais faire eux-mêmes les tâches décrites ci-haut. En lisant cela, on a l'impression que les comptoirs Motomaster vont être pris d'assaut et que les garagistes indépendants vont crever de faim.

Le sondage dit ce qu'il dit, mais le président de l'Association des spécialistes en pneus et mécanique du Québec, André Sansregret, est sans inquiétude. «Ça va durer un mois. Et très peu de gens vont le faire.»

Les gens roulent autant

M. Sansregret, qui est aussi proprio du garage OK Pneus de Joliette, explique que les hausses successives du prix de l'essence n'ont eu aucune influence durable sur son chiffre d'affaires depuis 20 ans, quand il a repris le garage familial fondé durant les années 60. «On a déjà vu ça plusieurs fois dans le passé. Les hausses du prix de l'essence ne nous enlèvent pas d'affaires, ça nous en apporte. Mais c'est très passager. Quand l'essence a atteint 1$ le litre, on a vu beaucoup de clients faire plus attention à la pression des pneus et faire faire des mises au point. Mais après quelques semaines, c'était revenu à normale. On va revoir ça à 1,50 $.»

Le sondage de Canadian Tire dit que les automobilistes, jusqu'à présent, n'ont aucune intention de rouler moins face à la flambée du prix des l'essence. Pour ça, M. Sansregret est d'accord: «Les gens sont résignés, dépassés même, par la hausse du prix de l'essence. À part au moment de changer d'auto, on n'y peut rien.»

Pour ce qui est du reste, M. Sansregret estime que le sondage exprime un plan sans intention dans l'esprit du consommateur moyen. Seuls les gens qui ont déjà une facilité pour le bricolage sous le capot vont en faire plus: «Je ne connais pas une seule personne qui s'est mis à la mécanique du dimanche, parce que le prix de l'ordinaire monte», dit-il, sceptique.

«J'en vends, des pièces, moi aussi. Et je n'ai vu aucun client acheter un filtre à huile et ensuite se coucher en dessous de l'auto pour faire ça lui-même. En connaissez-vous dans votre entourage, des gens qui se mettent à changer leurs pneus dans leur entrée au risque de se casser une jambe parce que l'essence coûte plus cher?»

Le système D vaincu par la technologie

Il pense que le résultat du sondage est un reliquat d'une époque révolue où les voitures étaient moins sophistiquées: «Avant, au moins, les gens étaient capables, parce qu'une auto était somme toute assez simple. Un gars pouvait faire pas mal d'affaires avec de la broche et une paire de pinces. Aujourd'hui, l'auto la plus cheapo qui rentre dans mon garage a 17 ou 18 ordinateurs et des senseurs pour des dizaines de fonctions. Il y a de l'informatique dans les suspensions, les freins ABS, l'électricité, les éléments moteurs et la transmission», dit l'homme d'affaires, qui s'est intéressé à la formation professionnelle des mécaniciens en siégeant au comité paritaire qui gère les exigences des cartes de compétence.

M. Sansregret n'est pas intimidé par l'informatique. Outre son garage, il exploite notamment un magasin de logiciels de comptabilité. Mais devant l'informatisation galopante de l'automobile, pas surprenant, dit-il, qu'une ampoule de plafonnier coûte 3$ et que les gens préfèrent quand même aller au garage.

«J'ai eu pendant des années un mécanicien qui avait sa carte de compagnon A, ce qui veut dire qu'il avait eu 90% ou plus à ses examens, jadis. Il est décédé il y a trois ou quatre ans. C'était un bon mécanicien. Mais les jeunes qui sont entrés dans le métier il y a 10 ans ont vécu plus de changements technologiques que tout ce que mon bon vieux mécanicien avait du apprendre durant toute sa vie.»

«Et même à ça, quand on a un problème le moindrement complexe, les logiciels de diagnostic donnent au mécanicien un numéro de code. Le mécanicien va sur des bases de données internet de support technique comme OBD3, et pitonnent le numéro de code du problème avec la marque, le modèle, l'année-modèle. L'interface propose des solutions. Comment voulez-vous qu'un automobiliste ordinaire se débrouille là dedans?»

Photo Armand Trottier, archives La Presse

Les jeunes mécaniciens ont connu en 10 ans plus de changements technologiques que ceux vécus pendant toute leur vie par les mécanos aujourd'hui en fin de carrière.