Bolide de course, camion rutilant, vieille bagnole roussie... Fiston se passionne pour tout ce qui roule, freine et ronronne. Comment expliquer sa fervente dévotion pour les véhicules motorisés? Les amours automobiles ne se conjugueraient-elles qu'au masculin? Autopsie d'une passion qui unit les petits et les grands enfants.

Gabriel Gervais, 3 ans, ne dort pas avec un ours en peluche ou une doudou. Chaque soir, il sélectionne plutôt une de ses nombreuses petites voitures pour qu'elle partage son sommeil. Depuis ses balbutiements, le jeune enfant est un véritable mordu d'automobile.

«Il ne sait pas encore lire, mais il reconnaît certaines marques de voitures quand il les croise sur la route, dit en riant sa maman, Karine Gauthier. Quand il voit son grand-papa, il lui demande tout de suite où se trouve sa Corvette... pour ensuite s'enquérir de sa grand-maman!»

D'aussi loin que Karine se souvienne, son fils a toujours éprouvé une profonde fascination pour les engins motorisés. Pourtant, les étagères de la maison débordent de peluches, de casse-têtes, de poupées et d'accessoires de cuisine. Malgré les jeux diversifiés qui abondent dans la garderie de son éducatrice de maman, Gabriel ne jure que par les jouets qui roulent et vrombissent.

«À 6 mois, mon fils marchait à quatre pattes en imitant le bruit du moteur, se rappelle la jeune trentenaire. Encore aujourd'hui, il se réveille le dimanche matin pour écouter les courses de Formule 1 à la télévision, une passion qui n'est pas partagée par les autres membres de la famille.»

Le coeur a ses raisons

Selon les spécialistes du développement de l'enfant, deux tangentes expliqueraient ce populaire penchant chez les jeunes garçons.

«Le premier courant de pensée stipule que notre société valorise les jeux plus moteurs et compétitifs chez les garçons, explique Isabelle Tremblay, psychologue à l'hôpital Sainte-Justine. En revanche, de plus en plus de recherches tendent à suggérer que des facteurs biologiques entreraient aussi en ligne de compte. Des études récentes menées auprès de jeunes singes peu exposés aux humains confirment d'ailleurs cette deuxième hypothèse. Les chercheurs ont remis des poupées, des petites voitures et des jouets dits unisexes aux petits singes. Spontanément, les mâles ont adopté les voitures, alors que les femelles préféraient habiller et coiffer les poupées.»

Un phénomène d'imitation serait également en cause dans la passion de notre petit homme pour les voitures.

«D'un point de vue développemental, l'enfant ressent vite le besoin d'imiter les adultes en général, puis le parent du même sexe à partir de 4 ou 5 ans, indique Marie-Claude Hébert, psychologue clinicienne auprès des enfants. Comme les automobiles font partie intégrante de notre société, il est parfaitement compréhensible que les petites voitures tiennent un rôle aussi important dans l'univers ludique des petits garçons qui souhaitent imiter les grands.»





Les petites voitures ont-elles un sexe?

À l'heure de l'égalitarisme entre les hommes et les femmes, peut-on espérer que cette segmentation des jouets dits masculins et féminins finira par disparaître et que les petites voitures deviendront aussi l'apanage des fillettes?

«Les modèles sociaux sont effectivement beaucoup moins rigides que par le passé, convient Marie-Claude Hébert. En revanche, je ne crois pas que ces préférences s'estomperont complètement. Le passage de l'enfance au monde adulte comporte des étapes physiques et psychologiques précises et circonscrites qui resteront toujours.»

La psychologue Isabelle Tremblay abonde dans le même sens: «Quand je laisse mon fils à la garderie, le matin, j'observe souvent les enfants qui font des jeux libres. Il est intéressant de constater que les petites filles de 2 ans se dirigent souvent spontanément vers le coin-cuisine et les poupées, alors que les petits gars se ruent vers les jeux de construction et les voitures. Bien sûr, mon fils joue aussi dans le coin-cuisine... mais rien ne bat sa passion pour les voitures et les trains! Même si l'on observe que de plus en plus de parents offrent des jouets diversifiés à leurs enfants, il risque de rester un fond de différence entre les préférences des filles et des garçons.»

Des pouvoirs cachés

Loin du jeu anodin, la petite voiture favorise de nombreux apprentissages chez notre mini-amateur d'automobiles.

«Le jeu est un pilier fondamental chez l'enfant, assure Marie-Claude Hébert. Il lui permet de communiquer ses désirs, ses frustrations et ses revendications, de dénoncer une situation, d'exprimer de façon symbolique ce qui se trame à l'intérieur de lui et qu'il ne peut mettre en mots. Les petites voitures sont ainsi une prémisse de la pensée déductive. Elles le préparent pour l'école, la réflexion, la socialisation, la création...»

Passant du véhicule fonctionnel à la vedette de scénarios fictifs, la petite voiture évolue avec la maturation de l'enfant.

«Une fois le langage acquis, les petites voitures sont promues au rang de personnage, poursuit la psychologue clinicienne. L'enfant lui prête des ambitions et des émotions. Quand l'enfant imite les adultes, il utilise la voiture pour aller travailler ou faire des emplettes. Quand il organise des courses automobiles, il stimule son sentiment de valorisation et sa capacité de gagner.»





Photo Bernard Brault, archives La Presse

Même si de plus en plus de parents offrent des jouets diversifiés à leurs enfants, rien ne semble battre la passion des petits garçons pour les voitures.

Un amour qui dure... ou pas!

Si la majorité des jeunes garçons raffolent des voitures, ils ne conserveront pas nécessairement cet intérêt dans leur vie adulte.

«Une tonne de facteurs influenceront la place que tiendra la voiture une fois passée la tendre enfance, convient la psychologue Marie-Claude Hébert. Durant l'adolescence, la première voiture évoque souvent l'autonomie, la liberté, la possibilité de redorer son statut social. Pour certains, elle peut même devenir un moyen de repousser ses limites et vivre des sensations fortes, par exemple en effectuant des cascades sur un circuit fermé. L'évolution de cette passion dépend du sens qui est donné aux voitures.»

En attendant que les passions de notre enfant se précisent, il est possible de profiter de son inclinaison pour l'automobile pour favoriser son développement.

«On peut l'encourager à classer ses voitures par couleur ou par ordre de grandeur, organiser des courses automobiles, inventer des histoires en intégrant ses voitures comme personnage», propose Isabelle Tremblay.

Pour la psychologue clinicienne Marie-Claude Hébert, il importe aussi de mettre des jeux variés à la disposition de notre enfant.

«Sans tomber dans les achats excessifs, on lui propose non seulement des petites voitures, mais aussi des personnages, de la pâte à modeler et des crayons qui permettront un maximum d'expression ludique à travers un minimum de matériel. De plus, si l'on veut aider notre enfant à évoluer, on le laisse inventer sans trop le diriger. Le jeu est le terrain de l'enfant. C'est son évasion. Quand il joue, les rôles sont en quelque sorte inversés: l'enfant tient seul le volant et le parent doit se contenter du siège du passager...»

Photo fournie par Mattel

Il est possible de profiter de l'inclinaison des garçons pour l'automobile pour favoriser leur développement.