Pire tragédie de l'histoire du sport automobile, avec 82 morts et 94 blessés, l'accident du 11 juin 1955 a fait de la sécurité une véritable obsession aux 24 Heures du Mans, la plus grande course d'endurance au monde.

L'édition 1955 des 24 Heures promettait du grand spectacle grâce à la rivalité exacerbée entre Jaguar, qui avait introduit deux ans avant les premiers freins à disques, et Mercedes, dont l'une des voitures était confiée au mythique Juan-Manuel Fangio.

La course a pris une tournure dramatique à 18h28, deux heures et demie après le départ, quand la Jaguar numéro 6, pilotée par Mike Hawthorne, a freiné brutalement dans la ligne droite des stands, pour ravitailler, juste devant l'Austin-Healey numéro 26 de Lance Macklin qu'elle venait de dépasser.

Macklin n'a eu d'autre choix que de se décaler sur sa gauche pour l'éviter, sans voir la Mercedes numéro 20 de Pierre Levegh qui arrivait à pleine vitesse derrière lui. La Flèche d'Argent l'a percuté, à près de 200 km/h, a décolé et explosé en vol. Sa carcasse s'est disloquée en percutant le talus, propulsant son moteur et son train avant dans le public. De nombreux spectateurs ont été tués sur le coup, comme le pilote.

Malgré le bilan, terrible, les organisateurs n'ont pas interrompu la course, afin d'éviter que des dizaines de milliers de spectateurs ne quittent le circuit en engorgeant les rares voies d'accès, nécessaires pour les secours. Une décision durement critiquée par la suite.

Le Circuit des 24 Heures, une référence

Ce drame était d'autant plus choquant que le Circuit des 24 Heures était déjà considéré comme «la référence» en matière de sécurité à l'époque, a expliqué à l'AFP Hervé Guyomard, ancien directeur du circuit. Il était doté d'un talus et d'une voie de sécurité, de chaque côté de la piste, alors que nombre de courses prestigieuses se disputaient encore entre des bottes de paille.

Les circonstances très particulières de l'accident expliquent le lourd bilan: «Si la Mercedes n'avait pas décollé, elle n'aurait pas pu franchir le talus et il n'y aurait pas eu tous ces morts», assure M. Guyomard.

Cet accident est devenu une «tragédie fondatrice» des 24 Heures, a expliqué récemment Pierre Fillon, le président de l'Automobile Club de l'Ouest (ACO), au quotidien régional Ouest-France.

Même si Le Mans était en avance, les préoccupations en matière de sécurité routière, au milieu des années 1950, «n'étaient pas aussi prégnantes. Aujourd'hui, il s'agit d'une obsession permanente», a-t-il ajouté.

Après l'accident, un immense chantier de 13 mois a débuté pendant lequel le circuit a été remodelé, des nouvelles protections pour le public ont été installées, avec un talus de trois mètres de large à certains endroits. Même les puits ont été détruits et reconstruits. Fin juillet 1956, les 24 Heures ont pu reprendre.

Le risque zéro n'existe pas

Depuis, tous les ans, des investissements sont effectués pour maintenir le circuit au niveau de ce qui se fait de mieux en termes de sécurité.

Ces dernières années, «on a travaillé sur les structures, sur la visibilité, on a aussi posé des câbles de rétention de roues pour que, si jamais il y a un accident, il n'y ait pas une roue folle qui parte n'importe où», détaille Vincent Beaumesnil, directeur Sport à l'ACO.

La sécurité aux 24 Heures du Mans, ce sont aussi 1674 commissaires de course, 600 personnes chargées de la sécurité (gendarmes, policiers, CRS, sécurité civile), 50 médecins, 40 infirmiers)...

Mais en course automobile, le risque zéro n'existe pas. En 2013, le Danois Allan Simonsen s'est tué dans le virage du Tertre Rouge, au volant d'une Aston Martin, dix minutes après le départ.

L'an dernier, Loïc Duval, au volant de son Audi, a été victime d'un accident extrêmement spectaculaire et a dû déclarer forfait pour la course.

«Il est ressorti choqué mais indemne. Après ce repos forcé, il recourt cette année. Mais pour tout vous dire, c'est mieux que cela lui soit arrivé l'an dernier, pas il y a dix ans...». Une bonne manière de résumer les progrès constants du Mans en matière de sécurité, 60 ans après la tragédie de 1955.