S'il est inutile de présenter Jacques Villeneuve, il est plus que pertinent de l'écouter lorsqu'il s'agit de comprendre les maux de la Formule 1. Rencontré au Grand Prix d'Espagne, le champion du monde nous fait part de sa réflexion.

La Formule 1 est-elle réellement devenue ennuyante ?

Ennuyante, non, mais ce n'est plus la même F1. Il faut donc se poser la question : quelle F1 veut-on avoir ? Il y en a à qui ça plaît énormément, cette F1 sobre, qui n'est pas démesurée. Pour moi, elle n'est pas gladiatoriale, ce n'est pas ce qui m'a fait aimer ce sport. Ce qui a créé la F1, c'est ce côté gladiatorial où des gens se réveillaient pour voir des Grands Prix où souvent il n'y avait pas d'action, mais où ils reconnaissaient le talent et la prise de risque des pilotes et voyaient que ces pilotes étaient capables de juger où était ce risque et de jouer avec. Ce que l'on ne voit plus aujourd'hui.

Pourquoi ne voit-on plus ça maintenant ?



Parce qu'il est interdit de se faire mal, j'imagine. Il y a cette prise de position de la FIA qui met un accent sur la sécurité routière et qui utilise la F1 pour pousser cette image-là.

Pourtant, le président de la FIA, Jean Todt, s'est plaint que la fédération ne contrôlait pas tout et que les écuries ont trop leur mot à dire.

Ça, c'est un problème, il y a trop de gens qui ont trop de choses à dire. La F1 ne marche pas comme une démocratie, cela n'a jamais fonctionné comme ça et ça ne marchera pas comme ça. Plus elle est démocratique, moins elle fonctionne.

Est-ce que l'argent et les budgets faramineux sont en cause ?

Ç'a toujours été des budgets faramineux. Les plus petites écuries n'ont jamais été aussi proches des plus grandes.

La F1 n'est pas là pour aider les petits. Les petits ont abusé du système. Si on regarde ce que certaines petites écuries ont fait, comme Manor avant ou Sauber maintenant, elles n'essaient même pas d'être une équipe de F1, elles essaient juste de continuer à survivre pour prendre des droits télé et qu'on ait pitié d'elles pour qu'on les aide. La F1, c'est une business. [...] Ça n'a jamais été la raison d'être de la F1 de mettre tout le monde dans la même seconde. Heureusement qu'il y a Mercedes et Ferrari qui dépensent des budgets faramineux, qui font rêver des gens et qui sont devant des petites équipes comme Manor.

N'est-on pas trop sévère à l'égard de ce qu'on voit en piste ?

Le souci n'est pas la domination d'une écurie, le souci est qu'on ne voit pas de beaux combats.

Ce n'est pas de la F1. Alors qu'est-ce qu'on a fait ? On a mis des DRS [NDLR : système qui favorise les accélérations]. On a maintenant des dépassements d'autoroute, mais on n'a pas des dépassements construits. On voit 20 voitures se doubler, mais on s'endort en les voyant se doubler parce qu'on n'est jamais sur le bord de notre siège en nous demandant si le pilote va y arriver.



Parce que les voitures ont été configurées pour pouvoir faire ça ?

Non, c'est à cause de la réglementation. Les fans se plaignaient qu'il n'y avait pas assez de dépassements. On a alors mis un DRS : on est derrière, on appuie sur un bouton, on gagne 20 km/h et on passe devant l'autre. Comme dans un jeu vidéo. Il n'y a rien d'excitant.

Et le gars qui s'est fait doubler peut doubler de nouveau. Alors qu'en F1, non. Avec le DRS, le gars double et deux tours après, il a pris cinq secondes d'avance et c'est tout. Même les belles remontées ne sont pas des belles remontées. Une Mercedes qui part dernière, elle ouvre le DRS et en quelques tours, elle dépasse tout le monde. Ça ne rime à rien, ce n'est pas un beau combat.



Que faut-il faire alors ?


Il faut retourner aux fondamentaux et arrêter de se dire que la F1 est juste un show. Il faut se poser la question de ce qu'est la F1. La F1, c'est censé être extrême, c'est censé coûter cher, c'est censé être quelque chose d'inatteignable. C'est censé prendre six mois à un pilote arrivant en F1 pour être physiquement capable de piloter, pas cinq tours. Les outils pour revenir à ça ? C'est toujours difficile de faire machine arrière concernant des mauvaises décisions. Une habitude s'est mise en place et maintenant, on écoute trop les fans avec les sites web et les réseaux sociaux.



On écoute trop les fans ?

Oui, parce que le problème, c'est qu'on entend une minorité qui se plaint. On a l'impression que c'est tout le monde alors que c'est une minorité et on l'écoute. Après, on fait des réglementations farfelues pour faire plaisir à cette minorité. Elle ne fait pas partie du milieu en plus. Il faut faire attention parce que là, elle a ce qu'elle veut. Et chaque fois qu'on fait ce qu'elle veut, elle se plaint encore plus après parce qu'elle se rend compte que ça ne marche pas. Cette minorité a demandé le DRS, maintenant elle dit que c'est nul. Après, elle demande des pneus qui se détruisent. Ça ne nous donne pas de course. [...] Les gens voient bien que ce n'est pas un combat d'homme à homme.

Que doit-on faire concrètement pour qu'il y ait plus de spectacle ?

Il ne faut pas penser «plus de spectacle». C'est ça, le problème. Tout le monde pense : «Ah, il faut plus de spectacle».

En admirant des pilotes. À leur époque, [Alain] Prost et [Ayrton] Senna prenaient un tour à tout le monde. Tout le monde trouvait ça génial parce qu'on les regardait en se disant : « De ma vie, je ne serai jamais capable de faire ça. » Et ça suffisait pour faire rêver les gens. Ils étaient devenus des héros vivants, des gladiateurs. C'est ça qu'on n'a plus.

Jacques Villeneuve en dates

Né le 9 avril 1971 (45 ans)

Commentateur F1 pour la chaîne française Canal+ depuis 2013 et pour l'antenne italienne du réseau Sky Sports depuis 2015

Champion du monde de F1 (1997)

Pilote de F1 de 1996 à 2006