Des décisions réglementaires prises ces dernières années au nom de la sécurité et d'impératifs financiers ont plongé la Formule 1 dans une crise de popularité. Que se passe-t-il au royaume de la discipline reine du sport automobile ?

PHOTO PETR DAVID JOSEK, ASSOCIATED PRESS

Le pilote Kimi Raikkonen sur la piste du Grand Prix de Monaco

Foules moins denses, cotes d'écoute en baisse

Quiconque regarde un Grand Prix ou y assiste observe depuis quelques années une baisse de la fréquentation dans les tribunes. À Barcelone, par exemple, la baisse est notoire, même le jour des qualifications. Le jour des essais, des gradins entiers sont vides. Le dernier Grand Prix d'Espagne a déclaré 165 029 spectateurs, en quatre jours d'activités, sa pire affluence depuis 1999. La course du 15 mai n'a compté que 545 spectateurs de plus que celle de l'an dernier. 

Le Grand Prix du Canada fait partie de ceux qui tirent leur épingle du jeu avec 250 000 spectateurs en moyenne sur trois jours et près de 100 000 assistant à la course. 

Mais les amateurs sont également moins nombreux devant leur télé. Le nombre de téléspectateurs dans le monde ayant regardé au moins 15 minutes d'un Grand Prix est passé de 500 millions en 2012 à 425 millions en 2014, selon les rapports d'audimat de la F1. Beaucoup pointent le manque de spectacle en piste pour expliquer cette tendance. Pour Bernie Ecclestone, c'est surtout la diffusion sur des chaînes payantes qui en est responsable, ce qui n'est pas faux. Le manque d'intérêt des moins de 25 ans pour le sport automobile est l'autre explication qui inquiète surtout les promoteurs de Grand Prix.


Trop de pénalités

Un moteur de plus à changer, une énième boîte de vitesse remplacée ou un système de récupération d'énergie défectueux coûtent très cher en pénalités sportives aux écuries et pilotes. La saison dernière, McLaren à elle seule a accumulé 320 places de pénalités sur la grille de départ, conséquence de ses déboires avec le nouveau groupe motopropulseur de Honda. Un chiffre hallucinant et ridicule qui témoigne d'un règlement qui tue le sport. « Arrêtons de limiter le nombre de moteurs et de boîtes, plaide Jacques Villeneuve. Avant, un moteur faisait une course, il était poussé à fond. Et alors ? »

L'écurie McLaren McLaren a amassé à elle seule 320 places de pénalités sur la ligne de départ en 1995. Pas surprenant que le pilote anglais Jenson Button ait coupé dans la courbe durant le GP du Canada l'an dernier. Photo : PC

Des pilotes brimés

Les pilotes en piste sont également trop contrôlés et trop sanctionnés, au détriment de la prise de risque. « Le duel épique Arnoux-Villeneuve en 1979 est peut-être l'un des plus beaux moments de la F1, se rappelait récemment l'ancien pilote italien Riccardo Patrese. Un tel épisode est impensable maintenant et pourrait conduire à une sanction et même un retrait de la licence de pilote. Nos comportements étaient peut-être plus "sauvages" autrefois, mais beaucoup plus spectaculaires. »

Des économies... coûteuses

Au nom des économies d'essence et pour suivre la tendance écologique de l'époque, la F1 s'est mise au vert en adoptant il y a deux ans le moteur hybride doté de deux systèmes de récupération d'énergie.

Ce choix s'est vite avéré coûteux, sportivement et financièrement. Sportivement, l'écart s'est creusé en piste tellement Mercedes a rapidement maîtrisé cette technologie pour être aux avant-postes. D'une grande complexité, ces moteurs ont engendré d'énormes dépenses de mises au point. Et leur facture est salée pour les écuries qui se fournissent auprès des motoristes Ferrari, Mercedes ou Renault : environ 30 millions de dollars par saison pour propulser deux voitures.

Les Mercedes dominent la F1 grâce au DTR et ils ont réussi quatre doublés P1 et P2 cette saison. Pas surprenant que les 2 pilotes aient invité l'ingénieur Riccardo Musconi avec eux sur le podium, comme sur cette photo à Montréal en 2015. Photo: PC

Des revenus disparates

Les écuries Force India et Sauber ont contesté en septembre dernier devant la Commission européenne la répartition des revenus en F1, qu'elles jugent déloyale. Si les résultats sportifs et les classements déterminent les revenus annuels versés par la FOM, société de Bernie Ecclestone qui gère les droits de la F1, l'injustice réside dans les primes et bonus. Mercedes, Red Bull, Ferrari et McLaren touchent un bonus qui varie (pour l'année 2015) de 32 millions US à 39 millions US, selon le magazine britannique Autosport

Présente depuis 1950, Ferrari a également droit à une prime en vertu de son ancienneté, soit 70 millions. En contrepartie, Mercedes et Red Bull ont obtenu de la FOM une prime additionnelle de 35 millions chacune (pour 2015) et Williams une prime de 10 millions.

Une cacophonie décisionnelle

Si la F1 est en pleine crise, c'est aussi parce que son mode de gouvernance se résume à une lutte d'influences permanente. La F1 est la seule discipline qui échappe au contrôle total de la Fédération internationale de l'automobile (FIA).

« Je n'ai pas le droit d'imposer, je ne peux que proposer. Laisser toute la partie législative et réglementaire à la Fédération aurait beaucoup de sens, mais les équipes ont toujours voulu jouer un rôle », regrettait ce printemps son président Jean Todt. Pour modifier un règlement en cours de saison, il faut l'unanimité entre les 11 écuries, la FOM et la FIA. Pour définir les grandes orientations de la F1, il faut que le « Groupe stratégique » s'entende. Il est composé de la FIA, de la FOM et des six écuries les plus puissantes - les cinq autres n'ont pas leur mot à dire. Et ce Groupe stratégique est le plus souvent trop dépendant de l'humeur et des intérêts des écuries Mercedes et Ferrari... Les promoteurs de Grand Prix n'ont aucune voix au chapitre.

Pas de pouvoir : le président de la FIA, Jean Todt. Photo: AP

Moins d'essence et de pneus

La fin des ravitaillements en essence en course en 2010 et le choix d'un fournisseur unique de pneus depuis 2007 ont été essentiellement dictés par les sacro-saintes réductions des coûts. La conséquence fut pernicieuse. « Les pilotes roulent à 80 % seulement, pour économiser les pneus ou l'essence », résume Jacques Villeneuve. La fin des ravitaillements a eu un impact négatif sur les stratégies de course. Et la présence d'un seul fournisseur de pneus a porté un coup fatal à la concurrence en piste.