Les acteurs de la F1 affirment que la F1 est plus intéressante cette année que lors des saisons récentes. Mais ses observateurs la dénigrent et les amateurs la boudent de plus en plus. Pourquoi ? Et était-ce vraiment mieux avant ?

Une baisse inégale

« Nous, promoteurs, on a 21 marchés différents. La réalité n'est pas pareille à Montréal qu'à Sotchi ou à Abou Dhabi. » Promoteur du Grand Prix du Canada, François Dumontier peut presque se frotter les mains lorsqu'il compare ses affluences avec celles de ses confrères ailleurs sur la planète. Alors que l'Europe tousse et que l'Asie tire la langue, l'Amérique du Nord se porte plutôt bien. « L'intérêt général n'est pas forcément en baisse partout », nuance Frédéric Vasseur, patron de l'écurie Renault. À Montréal, « on est loin d'être en perte de vitesse », soutient François Dumontier qui voit défiler bon an, mal an environ 250 000 personnes sur l'ensemble de la fin de semaine. En clair, ce qui marche à Montréal ou à Mexico ne marchera pas nécessairement ailleurs. Même en Europe et en Asie, il y a des disparités, comme en témoigne la popularité de Silverstone et de Suzuka.

François Dumontier en discussion avec Bernie Ecclestone l'an dernier. Photo d'archives : Bernard Brault, La Presse.

La mémoire courte

Comme tout grand sport professionnel, la Formule 1 a été - et est encore - rythmée par des cycles au cours desquels des pilotes et des écuries ont dominé outrageusement le championnat. Il n'y a qu'à penser à Juan Manuel Fangio, quintuple champion du monde dès les années 50, aux titres successifs de McLaren dans les années 80, de Williams dans les années 90 ou encore de Ferrari au début des années 2000. « On est très sévères avec la F1. Quand on se plaint aujourd'hui que les Mercedes dominent, j'ai le souvenir des années où Alain Prost et Niki Lauda gagnaient 15 courses sur 16, ou Mansell gagnait 14 courses sur 17. Ç'a toujours été ça », rappelle Frédéric Vasseur. L'amateur a la mémoire courte. Ou il suit la F1 depuis trop peu de temps pour la juger adéquatement.

James Hunt et Niki Lauda en 1976. Photo : AP

Des voitures plus fiables

Mais il y a une différence notoire lorsque l'on compare les années Fangio, Prost, Piquet, Senna, Schumacher et Vettel : la fiabilité des voitures. « Ce qui faisait l'intérêt de la F1 parfois dans le passé, c'était le manque de fiabilité, explique Frédéric Vasseur. Quand Mansell faisait toutes les positions de tête de l'année, il y avait plus d'incertitude puisqu'il cassait une fois sur trois ou sur quatre. Aujourd'hui, lors des essais d'hiver, on peut faire 800 km sans souci. Et on a des résultats aux essais et en qualifications assez proches parce qu'il y a très peu de problèmes techniques. » Le nombre moyen d'abandons pour problème mécanique n'est que de 2,4 voitures par course depuis le début de la saison.

Départ du Grand Prix de Grande-Bretagne de 1964, disputé sur la piste de Brands Hatch. Photo : AP

De meilleurs pilotes ?

C'est un sujet qui fâche et qui confronte les anciens à la génération actuelle. Pour Jacques Villeneuve, la tâche des pilotes est trop facile aujourd'hui, au point de rendre la course trop prévisible : « Auparavant, les pilotes arrivaient en fin de course exténués, ils pouvaient alors commettre des erreurs. » L'importance du pilote a été minimisée ces dernières années, selon Christian Horner. « Avec les récents changements, nous avons contrebalancé les rapports entre pilote, moteur et châssis. Le rôle du moteur compte probablement pour 50 % [dans la performance], je dirais, le châssis 25 % et le pilote 25 %. [...] Je pense qu'actuellement, les pilotes bénéficient d'une période facile. On ne peut apprécier leurs réelles aptitudes. Tout ce qui peut favoriser une distinction plus grande entre les pilotes permettra de mieux apprécier leur réel niveau, et je suis pour », a déclaré à Barcelone le directeur de l'écurie Red Bull.

Christian Horner, le patron de l'écurie Red Bull. Photo : AFP

Plus ou moins de spectacle ?

Autre pomme de discorde entre générations, la qualité du spectacle en piste. Selon Romain Grosjean, « c'est faux de dire que cela manque de spectacle parce qu'aujourd'hui, les courses sont probablement les plus intéressantes qu'on ait vues en F1 depuis 2010. En matière de statistiques de dépassements, on bat tout ce qui a été fait ». Et le pilote de l'écurie Haas d'ajouter : « C'est un sport où la voiture contribue beaucoup, les courses à l'heure actuelle sont extrêmement sympas, on voit beaucoup de surprises et de bagarres. » Un commentaire que ne partagent aucunement les anciens, qui préfèrent la F1 de leur temps. Dans une entrevue accordée à F1Technical il y a trois ans, Riccardo Patrese, pilote des années 80, regrettait son époque : « C'était plus spectaculaire, plus authentique, certainement plus dangereux, mais avec des pilotes de talent qui avaient plus à prouver que ceux de maintenant. »

Photo Bernard Brault, archives La Presse

Romain Grosjean, comme tous les pilotes, trouve que le Circuit Gilles-Villeneuve requiert un freinage appuyé.

«Tout ne va pas mal»

Guenther Steiner a participé à l'éclosion de Red Bull en F1 au milieu des années 2000 et il est l'un des grands artisans de l'arrivée de Haas. Le directeur de l'écurie américaine relativise la crise actuelle et croit à un vent de fraîcheur : « Je pense que dans tous les sports, il y a des hauts et des bas. Nous ne vivons pas un déclin complet. La pire chose à faire est de dire que tout va mal. Tout ne va pas mal. On a 21 courses, un record, les gens viennent encore à la plupart des courses, ils nous regardent encore à la télé même si cela a baissé. Certes, nous devons davantage interagir avec le public, avec les amateurs. Si on court seulement pour nous-mêmes, on ne trouvera pas d'argent et de commanditaires. En général, les courses sont plutôt pas mal, je trouve. »

Guenther Steiner est directeur de l'écurie américaine Haas. Photo : Écurie Haas F1

Réforme nécessaire

Tous les acteurs s'entendent pour dire que la Formule 1 ne peut rester debout les deux pieds dans le même sabot. Les écuries et les promoteurs de Grand Prix ne jurent que par les réseaux sociaux pour se rapprocher de leur base et surtout des jeunes, la clientèle de l'avenir. Mais Bernie Ecclestone, qui gère les droits d'exploitation et d'images de la F1, tarde à laisser circuler des images dans le domaine public. Les pilotes ont unanimement exprimé leur inquiétude dans une lettre ouverte publiée lors du Grand Prix d'Australie. Ils veulent « comprendre pourquoi la F1 perd de l'attractivité ». Ses observateurs militent pour un retour à deux fournisseurs de pneus, pour des voitures et des pneus plus larges, pour une levée des pénalités et aucune limite d'utilisation des moteurs. Problème : la FIA vient d'annoncer une nouvelle réduction du nombre de moteurs permis pour l'an prochain...