Mario Andretti est une icône du sport motorisé aux États-Unis. Dernier Américain à avoir remporté un Grand Prix de F1, sacré champion du monde en 1978, il n'a rien perdu de sa passion pour les monoplaces. À 72 ans, cet Italien d'origine rêve de conduire une F1... d'aujourd'hui. Dans une entrevue exclusive accordée à La Presse, «Mario» revient sur le passé. Et parle d'avenir.

Q: Vous avez conduit de nouveau votre Lotus 1978 sur le circuit d'Austin le mois dernier. Quel a été votre sentiment de revenir au volant d'une voiture comme celle-ci?

R: «C'est évidemment toujours plaisant d'avoir cette opportunité. Je connais vraiment bien cette voiture avec laquelle j'ai eu beaucoup de succès. C'était une superbe journée que d'être à l'inauguration de ce circuit d'Austin. Et c'est important pour les amateurs nord-américains de savoir que nous avons, aux côtés de Montréal, un autre lieu qui peut accueillir la Formule 1 dans cette partie du monde. On peut en être fier.»

Q: La course vous manque-t-elle?

R: «Bien sûr. J'adore conduire comme vous pouvez l'imaginer. Je suis resté dans ce sport aussi longtemps que je le pouvais. J'ai conduit ma dernière voiture de course en compétition en 1994. J'ai conduit ma dernière Le Mans en 2000 quand j'avais 60 ans. Comme vous pouvez le voir, j'ai du mal à me retirer de la table (rires). J'adore conduire. J'ai eu l'opportunité de conduire une Lotus 2010 à Austin, mais il y a eu un problème de moteur et je n'ai pas eu la chance de le faire finalement. J'adorerais. Ils m'ont promis qu'ils me donneront une autre chance.»

Q: Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau circuit, à Austin?

R: «C'est dans les standards de ce qui existe déjà, comme on peut l'imaginer. C'est très technique, il y a de bons endroits pour dépasser, 20 virages - ce qui occupe -, il y a deux bonnes lignes droites qui permettent aussi des dépassements. Il y a aussi une élévation, un certain dénivelé, ce qui est toujours une caractéristique intéressante. Ils ont fait un travail fabuleux à Austin.»

Q: Réalisez-vous encore que vous étiez une idole aux États-Unis dans les années 70?

R: «Non, non (rires). C'était une chose merveilleuse dans ma carrière, évidemment, d'avoir cette sorte de pression. Mais... merci de me le dire.»

Q: Quels souvenirs gardez-vous de cette époque?

R: «Quand tu rêves d'être un pilote de course dès ton plus jeune âge, tu as évidemment toujours l'objectif ambitieux de devenir champion du monde et quand que je suis parvenu à cela, il y a évidemment eu de très grands moments. Spécialement lorsque j'ai été champion du monde en 1978 à Monza en Italie, mon pays natal où j'y avais vu ma première course à l'âge de 14 ans. Tu ne pourrais jamais écrire un tel scénario. Mais ce jour-là a été aussi un jour malheureux puisque j'y ai perdu mon ami et coéquipier Ronnie Peterson (NDLR: mort le lendemain de la course des suites d'une sortie de piste). On n'a pas vraiment célébré cette année-là. Quand je regarde en arrière, il y a eu vraiment des moments très particuliers dans ma carrière et dans ma vie.»

Mario Andretti a été sacré champion du monde en 1978 au volant de sa Lotus 79 Cosworth.

Q: Vous avez côtoyé Gilles Villeneuve, quel pilote était-il? Aurait-il pu devenir champion du monde comme son fils?

R: «Gilles était un des pilotes les plus agressifs, très agressif même. Il courait toujours pour la victoire. C'était un dur compétiteur. Enzo Ferrari l'aimait beaucoup. Gilles possédait tous les ingrédients pour être champion du monde, cela ne fait aucun doute dans mon esprit. (...) Je revois Jacques occasionnellement. Quand on se voit, c'est toujours un plaisir de se retrouver. On a une excellente relation avec la famille. On a passé beaucoup de temps ensemble.»

Q: Quelles sont les différences entre la Formule 1 que vous avez connue et celle d'aujourd'hui?

R: «L'évolution de la technologie. De décennie en décennie, tu le vois. Entre le moment où j'ai démarré en Formule 1 à la fin des années 60 et juste après les années 80, il y a eu de gros changements en matière d'aérodynamisme et de motorisation. Aujourd'hui, une Formule 1 est une merveille d'ingénierie. C'est pourquoi j'aimerais en conduire une. J'espère que j'en aurai la chance. Je souhaite en avoir l'opportunité, mais je ne contrôle pas ça. J'aime énormément regarder la Formule 1 aujourd'hui, particulièrement cette année.»

Q: Abstraction faite de cette saison, la Formule 1 est-elle moins intéressante aujourd'hui qu'auparavant?

R: «Honnêtement, le grand intérêt est le développement, le progrès. (...) On cherche quelque chose de nouveau, de différent tout le temps. Aujourd'hui, tout est paramétré, tu en sais plus en raison des ordinateurs, de l'expérience avec les années. Chaque année, tu apprends quelque chose de nouveau. Les ingénieurs cette année en savent plus que l'an dernier. Tout progresse. Une chose formidable qui a progressé dans ce sport, autre que les performances des voitures, c'est la sécurité. Une Formule 1 est aujourd'hui une voiture très sûre en raison de sa conception. Ce sport est de plus en plus commercial, les compagnies investissent des millions de dollars, elles ne veulent pas aller à des funérailles, elles veulent célébrer. C'est donc très important de veiller à cet aspect.»

Q: Qu'est-ce qu'il faut faire aux États-Unis pour que la F1 y soit populaire?

R: «La première chose a déjà été faite, avoir un circuit. Ensuite, perpétuer l'évènement tous les ans. La deuxième chose, qui est liée à cela, avoir peut-être plus d'intérêts et plus de commanditaires qui aident les jeunes talents à intégrer la Formule 1. Des fois, le meilleur moyen d'atteindre le haut niveau est d'obtenir ces soutiens et ainsi avoir l'opportunité avec une bonne équipe de montrer son talent. Il n'y a pas de chemin tout indiqué à emprunter. C'est une question d'opportunité. (...) Et puis je voudrais voir la FIA autoriser un jeune pilote invité être le troisième pilote d'une équipe, n'importe quelle équipe de haut rang. Prenez par exemple Montréal et imaginez que McLaren décide d'inviter un pilote canadien, cela y augmenterait l'intérêt pour la course. Ce serait la même chose ici aux États-Unis. Ce pourrait être Tagliani par exemple et on pourrait imaginer qu'il soit autorisé à participer aux qualifications. C'est comme cela que vous découvrez des talents. Sinon, si vous les mettez dans une équipe comme Marussia, oubliez ça. Ils n'ont aucune chance. Et ce principe aiderait de nombreux nouveaux marchés.

Photo fournie par Andretti Collection

Gilles Villeneuve (à gauche) et Mario Andretti.

Q: Ne pensez-vous pas que la F1 et les États-Unis ont besoin justement d'un pilote américain pour rendre ce sport plus populaire?

R: Oui, bien sûr!

Q: Y'a-t-il selon vous un pilote américain aujourd'hui capable d'atteindre la F1?

R: Il y a quelques jeunes talents ici aux États-Unis. Mais vous devez les former, leur donner des opportunités. Actuellement, vous avez Alexander Rossi, Conor Daly. Mais c'est très dur d'y arriver. Il faudrait leur donner une opportunité.

Q: Pensez-vous que ce retour de la F1 aux États-Unis cette année sera un succès ou au contraire très difficile?

R: Pour cette année, quand vous regardez les ventes de billets, c'est presque complet. Ce qui garantit un succès. Maintenant, la question est: est-ce que cela va continuer? C'est ce que nous espérons, que cela continue. Ils ont vendu des billets dans 50 États et dans 46 pays, il y a un intérêt mondial. Ce qui est une très bonne chose.

Q: Qui sera champion du monde cette saison, selon vous?

R: J'aurais aimé que ma boule de cristal me le dise. J'aime l'esprit batailleur et l'attitude très positive d'Alonso. Après, Sebastian Vettel est quand même au-dessus, sa voiture fonctionne vraiment bien et il fait le travail. Cela va être vraiment intéressant, le champion du monde pourrait être couronné ici aux États-Unis.

Photo Wikipedia Commons

Alexander Rossi est le pilote américain à qui l'on donne les meilleures chances de courir un jour en F1. Il est actuellement pilote d'essai chez Catherham.