Fini le «one-man-show» et la «mentalité à court terme» de Bernie Ecclestone. Le nouveau PDG de la Formule 1, Chase Carey, veut instaurer une «culture d'innovation», soigner ses «relations à long terme» et avoir des Grands Prix plus modernes qui «résonneront» davantage dans leurs villes hôtes.

Et l'ambition des nouveaux proprios de la F1 d'ajouter un Grand Prix aux États-Unis ne menace en rien l'avenir du Grand Prix du Canada, qui dispose d'une entente jusqu'en 2024. «Le Canada est un pays magnifique, et nous souhaitons qu'il fasse partie de notre avenir à long terme», a assuré en entrevue à La Presse M. Carey, nommé lundi grand patron de la F1, après que l'entreprise américaine Liberty Media en a conclu l'acquisition.

M. Carey a été avare de détails sur le projet d'une nouvelle entente entre la Formule 1 et les gouvernements (Québec, Ottawa, Montréal) qui assurerait la présentation du Grand Prix du Canada au-delà de l'entente actuelle, qui va jusqu'en 2024. «Il est trop tôt pour parler des contrats spécifiques. Je suis en place depuis 24 heures, je ne suis pas assez au courant pour le moment des conditions de l'entente au Canada», a-t-il précisé.

En revanche, il a une vision très précise de ce que la F1 doit faire pour se moderniser, en rupture avec l'approche de son prédécesseur Bernie Ecclestone, 86 ans, qui dirige la F1 depuis presque 40 ans.

«Il n'y avait pas vraiment d'organisation en place, a dit M. Carey. À son crédit, Bernie a fait un one-man-show, il a fait ce qu'il a pu, mais il y a des limites à ce qu'il peut faire [seul]. Ç'a été poussé par une mentalité d'ententes [individuelles] (deal mentality), une mentalité à court terme. Nous voulons avoir une vision à long terme de ce que nous faisons pour le sport. 

«Avant, il y avait un contrat avec le promoteur et nous n'étions pas très engagés. Nous voulons être plus engagés avec nos partenaires. [...] Nous voulons créer davantage une vision commune entre nos équipes, nos promoteurs et nous. Le sport a été un peu trop fragmenté.»

Des «événements», pas des courses

Les nouveaux propriétaires de la F1, qui veulent instaurer une «culture d'énergie et d'innovation», souhaitent associer les Grands Prix à la musique et au divertissement.

«Nous pouvons faire beaucoup pour rendre ces événements plus grands, sur plusieurs jours, des événements d'une semaine qui ont plusieurs dimensions, où le sport est au centre [des activités]. [...] Nous devons rendre nos événements plus gros, plus larges, la musique, le divertissement, des choses qui vont résonner dans la ville, pas seulement à la piste de course», a dit M. Carey.

Liberty Media estime que la F1 n'a pas exploité son potentiel au cours des dernières années, notamment en matière de marketing sur les plateformes numériques.

«Bernie a fait un très bon travail pendant plusieurs décennies, mais au cours des cinq ou six dernières années, les choses qui doivent être faites pour compétitionner dans le monde d'aujourd'hui n'ont pas été faites. Nous avons besoin de bâtir une équipe de marketing pour raconter nos histoires, construire nos vedettes et nos marques, dire ce qui rend notre sport spécial.»

Europe, États-Unis et Canada

Le nouveau PDG de la F1 souhaite «renforcer les fondations de la F1 en Europe de l'Ouest», tout en explorant la possibilité d'ajouter un Grand Prix aux États-Unis.

«Nous ajouterons une course en France l'an prochain. Nous continuerons de regarder des endroits pour ajouter une course dans une "ville destination" aux États-Unis. Les États-Unis sont intéressants [upside] pour nous. [...] Avoir une course dans une ville comme New York, Los Angeles, Miami ou Vegas serait un tremplin.»

Et quels sont ses plans pour le Grand Prix du Canada ? «C'est prématuré, je n'ai pas eu la chance d'aller au Grand Prix du Canada parce que nous n'étions pas impliqués dans la F1 l'an dernier [la transaction a été annoncée en septembre et conclue lundi dernier]», dit M. Carey. 

«Le Canada a de toute évidence une grande histoire avec la F1, c'est une partie importante de l'histoire de la F1, et nous sommes excités d'avoir un nouveau pilote au Canada. J'ai reçu un gentil texto de Lawrence Stroll [le père du nouveau pilote montréalais de F1 Lance Stroll], il y a une énergie et une excitation nouvelle au Canada, et j'ai hâte d'essayer de rendre le Grand Prix du Canada plus grand, meilleur et plus excitant. Pour cette année, le Grand Prix s'en vient rapidement, donc il y a des limites à ce que nous pourrons faire dans quelques mois.»

Chase Carey a rencontré le promoteur du Grand Prix du Canada, François Dumontier (Groupe de course Octane), l'automne dernier au Grand Prix des États-Unis. «Ce fut une très bonne rencontre, il avait l'air enthousiaste et excité à l'idée de travailler avec nous pour faire croître le sport, c'était une rencontre pour faire connaissance», a dit M. Carey.

Plus de «sensations fortes» sur la piste... et de justice dans les négos

À sa première journée en poste, le nouveau grand patron de la F1 n'est pas déjà à faire des changements aux livres de règlements, mais il est bien au courant des critiques. Lui-même veut davantage de «sensations fortes» (drama) et «d'imprévisibilité» sur la piste.

«Nous avons un excellent produit, mais il y a des commentaires voulant que les règles soient trop compliquées, que l'ingénierie ait dépassé les pilotes, que la compétition puisse être plus dynamique, que les moteurs puissent être plus bruyants, plus rapides, moins chers. Il y a aussi l'aspect économique, où nous pourrions créer une structure plus compétitive. Nous ne pouvons pas répondre à tout ça unilatéralement, mais en partenariat avec les équipes et les autorités réglementaires.»

M. Carey a d'ailleurs souligné l'embauche de Ross Brawn, «qui connaît profondément la F1», comme directeur des sports automobiles. 

«Les sensations fortes, l'imprévisibilité, l'occasion pour les négligés de gagner sont ce qui rend le sport si intéressant. Nous avons un grand sport, mais nous savons qu'il y a de la place pour s'améliorer.»

À l'extérieur de la piste, les sensations fortes n'ont toutefois pas manqué à Montréal au cours de la dernière décennie. En 2009, Montréal a perdu son Grand Prix, retrouvé l'année suivante à la faveur d'une nouvelle entente avec les gouvernements. Actuellement, ceux-ci paient 18 millions par année pour avoir le droit de présenter le Grand Prix du Canada (ils reçoivent environ 4 millions par année en redevances). M. Carey n'a pas voulu aborder la question de savoir si le modèle d'affaires de la F1 reposerait toujours autant sur ces ententes avec les gouvernements locaux.

Bernie Ecclestone avait la réputation d'être un négociateur particulièrement redoutable. Comment sera son successeur à la table des négos ? Chase Carey, qui a été l'un des hauts dirigeants de News Corp (le conglomérat de Rupert Murdoch), esquisse un sourire.

«Je ne veux pas qualifier Bernie, je n'ai pas négocié avec lui, j'ai travaillé avec lui. Vous voulez être juste. Ce que nous pensons être juste n'est peut-être pas la même idée qu'une autre personne, mais nous avons un produit incroyable qui a une valeur incroyable, une valeur qu'il faut respecter, et nous souhaitons des ententes à long terme. Si vous voulez des relations à long terme, vous devez avoir un sens de la justice.»

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

Le nouveau grand patron de la F1 n'est pas déjà à faire des changements aux livres de règlements, mais il est bien au courant des critiques. Lui-même veut davantage de «sensations fortes» (drama) et «d'imprévisibilité» sur la piste.

Photo Lars Baron, Getty Images/AFP

Chase Carey, président du conseil d'administration et président
et chef de la direction de la Formule 1

Qui est Chase Carey?

Il a été nommé lundi président du conseil d'administration et président et chef de la direction de la F1. Cet Américain dans la soixantaine a passé une bonne partie de sa carrière comme haut dirigeant au sein de News Corp, le conglomérat de l'homme d'affaires Rupert Murdoch. Il a notamment été numéro deux de l'entreprise. Il est vice-président du conseil d'administration de l'entreprise de médias/cinéma 21st Century Fox.

Qu'est-ce que Liberty Media?

Il s'agit d'une entreprise fondée et contrôlée par le milliardaire américain John Malone, qui a fait fortune dans les télécoms et les médias. M. Malone vaut 6,9 milliards US, selon Forbes. L'entreprise inscrite à la Bourse (au NASDAQ) possède notamment les Braves d'Atlanta et 65 % de la radio satellite SiriusXM. La capitalisation boursière de Liberty Media au NASDAQ est d'environ 15,5 milliards US. Liberty Media a payé 4,4 milliards US pour prendre le contrôle de la F1 dans une transaction où la F1 est évaluée à 8 milliards US.