Le jugement est tombé, dimanche dernier, sur le superovale de Daytona, et il est sans appel: Danica Patrick est, et sera pour toujours, bien plus qu'un joli minois taillé sur mesure pour vendre de la pub. En signant la huitième place de la «Great American Race», la pilote a gagné le respect de tous ceux qui doutaient encore d'elle.

«Je n'ai jamais regardé sa voiture en pensant qu'il s'agissait de Danica, a dit le gagnant du Daytona 500, Jimmie Johnson. C'était simplement un autre bolide qui allait vite sur la piste.»

Le compliment n'est pas banal et il vient de nul autre que du quintuple champion de la série Sprint. «Elle est très confortable en piste, a ajouté Johnson. Son pilotage était fluide et prévisible et elle a réussi à profiter des occasions qui se sont présentées.»

Ce faisant, Danica - c'est ainsi que tout le monde l'appelle - est devenue le 13e pilote de l'histoire à rouler en tête des deux plus importantes courses américaines, le Daytona 500 et l'Indianapolis 500. Et n'eût été une erreur imputable à son inexpérience, elle aurait pu gagner la course.

«Quand (Dale Earnhardt) Junior s'est glissé à l'intérieur, il aurait fallu qu'elle se rabatte devant lui, et ce dernier n'aurait eu d'autre choix que de la pousser jusqu'en avant, a expliqué l'ancien pilote Patrick Carpentier, qui agit maintenant à titre d'analyste des courses NASCAR à RDS. Mais c'est le genre de décision qui doit se prendre en une fraction de seconde, et d'autres pilotes bien plus expérimentés n'ont pas réussi à le faire non plus.» Danica était troisième au début de l'ultime tour du triovale de 2,5 milles quand Dale Earnhardt Jr. a fait sa poussée qui l'a amené jusqu'en deuxième place.

Doutes

Avant sa course, Danica avait fait la manchette en signant la pole-position. Une belle réussite, mais pas suffisante pour dissiper tous les doutes. «Je ne m'en cacherai pas, j'ai eu tendance comme d'autres à minimiser la portée de sa position de tête, car elle profite d'un excellent moteur et d'une voiture incroyable, a avoué Carpentier. Mais elle a su être patiente, rester en avant, elle s'est fait tamponner à quelques reprises et a trouvé le moyen de rester sur le circuit. Elle a vraiment fait un boulot exceptionnel.

«C'est d'autant plus impressionnant qu'elle avait énormément de pression, tous les feux étaient tournés vers elle, a-t-il poursuivi. En fait, il y a bien des gens qui s'attendaient à ce qu'elle fasse une erreur, ils étaient tous prêts à dire «tu vois, ça n'a pas fonctionné, on le savait».

En NASCAR plus que dans toute autre forme de sport automobile, gagner le respect de ses pairs se traduit par des places au classement. C'est encore plus vrai sur les superovales comme Daytona: sur ces immenses anneaux de vitesse aux virages fortement inclinés, la puissance des moteurs est limitée, si bien que l'on y roule constamment la pédale au plancher. Un pilote se doit donc de collaborer avec ses adversaires pour profiter au maximum du crucial effet d'aspiration. Danica a roulé tout l'après-midi dans le top 10. Elle s'est donc collée aux ténors du métier. Un signe qui ne ment pas.

«C'est de cette façon que l'on gagne le respect des gars, a dit son chef d'équipe Tony Gibson, qui a vu ses protégés gagner quatre fois le Daytona 500. Ils ont compris qu'elle pouvait faire le travail.»

Belle image, bonne attitude

Derrière une image de fille forte qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, Danica semble aussi avoir l'attitude idéale pour faire sa place en NASCAR. Et ça peut faire la différence, selon Alexandre Tagliani, qui connaît bien la pilote pour l'avoir côtoyée pendant plusieurs années alors qu'elle roulait en IndyCar. «C'est une fille terre à terre, relax, simple, qui aime avoir du bon temps, explique le pilote québécois. Tu peux aussi la taquiner et elle est capable d'en prendre, ce que j'appréciais beaucoup parce que je suis moi-même un peu clown!» Ce qui est nécessairement un atout, parce qu'en NASCAR, «il faut faire partie de la gang», assure Tagliani.

La pilote de 30 ans roule au sein d'une équipe solide - Stewart-Haas Racing -, ses moteurs sont préparés par les maestros de Hendrick Motorsports, et elle bénéficie de l'appui indéfectible de ses commanditaires, GoDaddy.com en premier lieu. Son aisance et la mise en valeur assumée de son image ont fait d'elle l'un des pilotes les mieux rémunérés d'Amérique du Nord; selon Forbes, elle a cumulé plus de 36 millions en bourses et en revenus publicitaires depuis 2006. Elle a dû essuyer quelques critiques au passage, mais ses résultats en piste ont fait taire ses détracteurs. «Elle a du talent, elle mérite sa popularité, martèle Alex Tagliani. Les gens sont jaloux! Quand un athlète masculin fait une pub en sous-vêtements, personne ne dit rien! Elle a le physique d'un mannequin, elle a un nom, elle s'est prêtée au jeu, y'a rien de mal là-dedans. Elle n'a pas utilisé ça pour faire de la course, elle en aurait fait de toute façon! Les Beckham de ce monde le font, alors pourquoi pas elle?»

Longue saison

Le Daytona 500 était la première course d'une très longue saison, disputée sur une variété d'ovales qui n'ont qu'un seul point commun, celui de tourner dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. «Plusieurs personnes soutiennent qu'elle va frapper un os lorsqu'elle va se retrouver sur des circuits plus courts, comme ce week-end à Phoenix, a reconnu Patrick Carpentier. Honnêtement, je pensais la même chose. Mais, aujourd'hui, je ne sais plus trop. La nouvelle voiture (de Coupe Sprint) est plus efficace, plus légère, plus perfectionnée et elle a beaucoup plus d'appui aérodynamique. Ça se rapproche ainsi beaucoup plus des monoplaces qu'elle avait l'habitude de piloter, ça va l'aider c'est sûr.»

Mais le NASCAR étant ce qu'il est, il est farfelu de penser qu'elle pourra sans cesse parader à l'avant. On ne lui fera pas de cadeau. Mais il reste que sa performance à Daytona n'a rien d'un feu de paille. Elle est au contraire garante de belles choses, pour elle et pour le NASCAR.

Pendant le week-end à Daytona, le populaire pilote Dale Earnhardt Jr. a dit ressentir une ambiance différente dans les paddocks. «Les gens semblaient plus excités avant la course, a dit celui qui a embauché Danica en série Nationwide en 2010. Je crois que l'on s'en va dans la bonne direction.»

C'est ça, l'effet Danica.

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BIO EXPRESS

NOM : Danica Sue Patrick

DATE DENAISSANCE : 25 mars 1982

LIEU DENAISSANCE : Beloit, Wisconsin

1992 : Débuts en kar ting, à l'âge de 10 ans

1998-2001: Séjour en Grande- Bretagne en Formule Vauxhall et en Formule Ford, où elle pilotera notamment aux côtés du futur champion de F1 Jenson Button.

2002: Retour aux États-Unis, en série Barber Dodge. Première présence au Canada, en lever de rideau de la course de sérieCART. Elle ne termine pas l'épreuve, victime d'un accrochage.

2003-2004: Formule Atlantique ; une position de tête, 5 podiums, elle termine troisième du championnat en 2004.

2005-2011 : IndyCar ; trois positions de tête, 70 top 10, une victoire au Japon en 2008. Troisième au Indy 500 en 2009, sa meilleure campagne en carrière avec une cinquième place au championnat.

2010-2012 : NASCAR Nationwide ; 7 top 10, 10e au classement en 2012.

2012 : NASCAR Sprint ; une position de tête, au Daytona 500 de 2013.