Joseph-Armand Bombardier, Cyrille Duquet, Jean Saint-Germain et Arthur Sicard figurent parmi les inventeurs les plus connus du Québec. Ces hommes de génie ont respectivement inventé la motoneige, le combiné téléphonique, le biberon sans air (le fameux sac Playtex) et la souffleuse à neige. Mais qu'en est-il des inventeurs d'aujourd'hui? Sont-ils respectés, incompris, sinon marginalisés? Pour en avoir le coeur net, Auto est allé à la rencontre de quelques inventeurs et autres patenteux qui évoluent dans le secteur des transports.

Il existe deux principaux types d'inventeurs. D'une part, il y a les inventeurs «autonomes», c'est-à-dire ceux et celles qui travaillent seuls dans leur garage ou leur sous-sol, à plein temps ou à temps perdu. Il s'agit habituellement de gens sans diplôme universitaire. D'autre part, il y a les inventeurs qui travaillent dans une entreprise, bien souvent en R et D. Étonnamment, ce ne sont pas toujours des universitaires.

Les inventeurs autonomes, qui représentent la majorité, ne l'ont pas facile, soutient Daniel Paquette, président d'Inventarium. «Ils sont considérés comme des marginaux par les gens d'affaires, mais ils sont respectés et célébrés par le grand public», dit cet ex-policier qui compte plusieurs inventions à son actif.

Selon M. Paquette, la plupart des inventeurs ignorent les processus et les problèmes liés à la commercialisation d'un nouveau produit. «Les inventeurs parlent un langage différent de celui des gens d'affaires, ce qui rend les négociations très difficiles», croit celui dont l'entreprise vient en aide aux inventeurs québécois.

«Dans un monde idéal, ce serait bien de pouvoir donner de l'argent à tous ceux et celles qui travaillent à développer des inventions, soutient Jean-Louis Legault, PDG de l'Association pour le développement de la recherche et de l'innovation du Québec (ADRIQ). Mais ça ne fonctionne pas comme ça. Tous les pays, y compris le Canada, font face à des enjeux économiques importants. Il faut donc établir une liste de priorité parmi les projets.»

Cela dit, M. Legault salue la nouvelle Politique nationale sur la recherche et l'innovation (PNRI) annoncée à la mi-octobre par le gouvernement de Pauline Marois. Dans la foulée, près de 3,7 milliards seront investis en cinq ans dans divers programmes, notamment pour aider les PME à breveter leurs inventions. Bref, ce sont surtout les gens en R et D qui seront choyés.

«Le Québec est une société d'inventeurs, d'innovateurs et de patenteux. Toutefois, le nombre de brevets et de chercheurs qui publient de même que les retombées économiques sont moins importants par rapport à d'autres pays. Parce que les Québécois ont un gène de patenteux, on devrait faire mieux en matière de retombées économiques», explique Jean-Louis Legault.

Selon Joël Bouchard, attaché de presse de Pierre Duchesne, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Science et de la Technologie, la PNRI servira justement à commercialiser les inventions brevetées.

Il n'est donc pas exclu que les inventeurs «autonomes» soient admissibles à l'un des programmes de la PNRI. «Ils devront cependant être structurés», affirme Sylvie Brisson, directrice générale d'Inventions Québec.

À son avis, les inventeurs doivent non seulement détenir un brevet, mais aussi un très bon plan d'affaires. «Il existe des subventions et des organismes pour aider les inventeurs à mettre leur projet sur pied», dit celle dont l'organisme, fondé en 1972, offre des services professionnels de protection intellectuelle. À ce jour, près de 10 000 inventeurs, inventrices et PME du Québec ont fait appel à Inventions Québec.

En matière de protection intellectuelle, rappelons que c'est la Loi du premier déposant qui prévaut au Canada, depuis octobre 1989. Il en va de même aux États-Unis depuis mars 2013. Autrement dit, même si quelqu'un a toutes les preuves du monde qu'une idée vient de lui, il n'aura aucun recours s'il n'a pas fait une demande de brevet provisoire (environ 1500$) qui protège son invention pendant un an. C'est ensuite qu'il pourra faire breveter son produit, une opération qui coûte facilement plusieurs milliers de dollars.

Le testament d'un inventeur émérite

Pierre Blanchard est un inventeur émérite. On lui doit le dérailleur «indestructible», l'une des versions du vélo pliable (encore en production à Taiwan), de même que des échasses articulées permettant de courir et de sauter. Mais voilà que notre inventeur a une urgence de vivre. Atteint d'un cancer incurable, ce mécanicien de formation souhaite mener le plus de projets à terme avant le grand départ. Ces temps-ci, il travaille entre autres sur le BBmobile, véhicule urbain, et la M'automobile (prononcer Motomobile), sorte de triporteur pour les déplacements interurbains.

L'inventeur Pierre Blanchard, un Granbyen qui a notamment plus de 25 brevets provisoires à son actif, a créé des prototypes pour ces deux véhicules nouveau genre qui pourraient se vendre moins de 5000$.

Le BBmobile, qui ressemble à une trottinette, fonctionne avec un moteur électrique. Et la M'automobile a été conçue avec la partie arrière d'un scooter. Ce qui caractérise ces deux moyens de transport: la technologie CASI (contrôle actif de la stabilité et de l'inclinaison).

«Le principe CASI fait en sorte qu'un véhicule est plus équilibré. Il est donc plus maniable. Je peux «clencher» n'importe qui avec cette technologie. Le CASI permet aussi d'augmenter la capacité de charge du véhicule. Mais je préfère ne pas trop en dire pour ne pas révéler mes secrets», résume Pierre Blanchard.

Souhaitant révolutionner les modes de transport terrestres, Pierre Blanchard planche d'ailleurs actuellement sur une «cabine flottante» pour protéger les usagers de la BBmobile et de la M'automobile contre les intempéries. Étonnamment, il ne souhaite pas miser sur les moteurs électriques. Les biocarburants (l'alcool, notamment) sont dans sa ligne de mire.

Photo Stéphane Champagne, collaboration spéciale

L'inventeur Pierre Blanchard, sur un prototype du BBmobile. 

Quatre millions d'essuie-glaces plus tard

Jean Koch croit qu'une invention devrait toujours régler un problème et non le déplacer. Ce Brossardois de 71 ans a donc inventé le Sure Wipe. À ce jour, cet accessoire vendu 9,99$ s'est écoulé à quatre millions d'unités, principalement au Canada.

Le Sure Wipe et un ressort qui exerce une pression sur les essuie-glaces et qui permet à ceux-ci d'avoir une meilleure adhérence sur le pare-brise, donc, d'être plus efficaces.

«Les constructeurs automobiles ne se sont jamais vraiment intéressés aux essuie-glaces. Moi, c'est en allant skier quand il y avait des tempêtes que j'ai constaté que mes essuie-glaces ne faisaient pas un bon travail», explique-t-il.

Malgré la popularité de son produit, Jean Koch a toujours soif de succès. Il est sur le point de rebondir grâce à une version universelle de son Sure Wipe. L'ingénieur mécanique de formation s'attaque ainsi à un vieux rêve: conquérir le marché américain.

«Avant, le Sure Wipe était offert en quatre modèles. Ça demeurait compliqué pour le consommateur de s'y retrouver. Les «majors» de pièces d'auto aux États-Unis refusaient d'en vendre à cause de cela. Avec mon modèle universel, je crois que cette fois-ci sera la bonne», dit celui qui continue à vendre son invention dans les Canadian Tire d'un océan à l'autre, mais aussi sur le Net, où des Français et des Polonais lui passent régulièrement des commandes.

Photo Stéphane Champagne, collaboration spéciale

Jean Koch, inventeur du Sure Wipe.

S'exiler pour réussir

Ian Couture aime beaucoup le Québec. Mais s'il veut que son invention, le L'SomOne, connaisse davantage de succès, il devra, croit-il, aller voir ailleurs. D'ici deux ans, il souhaite déménager à Miami. Et pour la conception de son véhicule électrique, il envisage de se tourner vers la Chine, où les coûts de production sont 10 fois moins élevés que dans la société distincte.

Le L'SomOne est un véhicule électrique nouveau genre qui tire l'utilisateur muni de patins à roues alignées. Une sorte de trottinette, mais sans la partie arrière où l'on pose ses pieds. Ce joujou urbain vaut près de 1500$. «Mais en le faisant construire en Chine, je serai capable de le vendre 500$», explique Ian Couture, 40 ans.

Le véhicule fonctionne avec un moteur à chaîne, alimenté par une batterie de 24 V et de 19 A, ce qui le rend «admissible» sur les pistes cyclables. Il offre une autonomie variant entre 25 et 50 km, selon la configuration du terrain. Sa vitesse de pointe est de 28 km/h. Il n'est pas encore sur le marché.

«Je n'ai pas inventé le moteur ni la roue, mais plutôt le système comme tel, le cadre et la configuration des batteries», dit Ian Couture, un autodidacte qui s'intéresse à la mécanique des objets depuis l'âge de 7 ans. Dès qu'il enfile ses patins et qu'il empoigne son L'SomOne dans les rues de Québec, Ian Couture est immanquablement le centre d'attraction. Le jeune inventeur-entrepreneur croit au potentiel de son produit. Et il n'est pas le seul. «Le gouvernement du Québec me demande d'injecter 200 000$ pour que lui injecte

2 millions. Je n'ai trouvé que 30 000$», déplore celui qui gagne sa vie comme concierge.

Photo tirée d'Internet

Aider les inventeurs

Il existe des outils pour aider les inventeurs, peu importe s'ils sont employés par une entreprise, travailleurs autonomes, diplômés ou autodidactes.

Parmi les plus connus, il y a InventionQuebec.ca Les services offerts vont de l'étude de brevetabilité (325$) à la recherche sur ce qui existe déjà comme invention (945$) en passant par l'attribution d'un brevet provisoire (1500$). Le but ultime est l'obtention d'un brevet (entre 5000 et 6000$) et du titre d'inventeur.

Inventarium est sans doute l'autre entité la plus connue des inventeurs et pseudo-inventeurs du Québec. Enfin, les inventeurs à la recherche de financement peuvent s'adresser à Info Entrepreneurs, un organisme qui est chapeauté par Réseau Entreprises Canada et financé par Développement économique Canada.