Le jour où un véhicule circulera sans conducteur ne relève plus de la science-fiction. La voiture dite « autonome » est presque à nos portes de garage. Presque, car avant que celle-ci nous transporte au travail tous les matins sans que l'on ait à utiliser nos mains, nos pieds ni même nos yeux, bien des obstacles technologiques, législatifs, commerciaux et sociaux devront être franchis. Attachez vos ceintures.

L'idée de disposer d'une voiture autonome à l'intérieur de laquelle les passagers n'auraient qu'à apprécier le paysage ou leur lecture remonterait à l'entre-deux-guerres. Mais l'évolution rapide des capteurs, de la télédétection et des processeurs numériques a donné un coup d'accélérateur à ce genre de véhicules.

LES PRÉMICES

Après des essais et des démonstrations, parfois concluants, réalisés dans les années 80 et 90, les constructeurs automobiles ont accéléré le rythme de développement de la voiture autonome.

Mine de rien, depuis une décennie, l'industrie automobile fait des petits pas en direction d'une voiture complètement autonome. En 2003, Toyota a commercialisé la première voiture capable de se stationner toute seule. Il s'agissait d'une Prius dans laquelle cette fonction était proposée en option. Ford, BMW, Audi et Mercedes-Benz ont ensuite emboîté le pas. Entre-temps, la technologie s'est affinée et a gagné en précision et en souplesse, reposant sur l'utilisation de capteurs à ultrasons.

Ce dispositif est en quelque sorte le précurseur de systèmes que les constructeurs appellent couramment aujourd'hui « aides à la conduite ».

En l'espace de quelques années, les équipements de ce genre se sont multipliés à bord des voitures, haut de gamme et de luxe pour l'essentiel : détecteur de véhicules situés dans l'angle mort, avertisseur de franchissement de ligne, système d'alerte de collision frontale, freinage automatique, etc.

L'EXEMPLE DE CADILLAC

Progressivement, les constructeurs automobiles rendent la voiture de plus en plus autonome. Dernier exemple en date, General Motors a confirmé en septembre qu'une nouvelle Cadillac vendue à l'été 2016 sera équipée en option d'un « super » régulateur (« Super Cruise ») qui maintiendra la voiture dans sa voie de circulation et à une distance respectable du véhicule qui la précède, sans aucune intervention humaine. La voiture sera même capable de s'arrêter complètement si la circulation est au point mort. Toujours sans aucune intervention du conducteur.

Ce dispositif de Cadillac se distingue par sa capacité à fonctionner à haute vitesse, à 100 km/h et plus. Le chauffeur ne touche absolument pas au volant et aux pédales dans ces conditions.

GM serait le premier à réussir et à commercialiser pareille avancée. Mercedes-Benz, Tesla, Volvo et Google en sont capables également mais à des vitesses plus raisonnables. Et aucune commercialisation n'a été annoncée encore de leur part, à l'exception du constructeur de voitures électriques qui promet un système complètement opérationnel pour l'an prochain.

LE PROJET DE VOLVO

Volvo est de ces constructeurs automobiles qui ont déjà beaucoup investi dans la voiture autonome. Tout comme la marque de luxe de GM, le suédois est aujourd'hui capable de faire circuler une voiture qui prend en charge elle-même le freinage, la direction et l'accélération. Si - tout comme la Cadillac - la Volvo S60 est capable de rester dans sa voie et de s'adapter à la circulation, elle ne peut pas changer de voie d'elle-même - l'américaine non plus. Pour cela, le conducteur doit reprendre le contrôle du volant. Un inconvénient que ne possèdent pas les voitures de Google ni la version à venir de Tesla.

Pour peaufiner et améliorer les caractéristiques de sa voiture semi-autonome, Volvo a lancé un vaste programme d'essais de cette voiture sur la voie publique, avec la collaboration de l'administration suédoise. D'ici 2017, pas moins de 100 modèles de ce genre circuleront tous les jours sur une cinquantaine de kilomètres préalablement déterminés, dans la ville suédoise de Göteborg et autour de celle-ci.

« L'objectif principal est d'acquérir des connaissances sur les exigences réelles, de comprendre les enjeux et de développer des technologies pour offrir les voitures autonomes aux clients », nous a expliqué Malin Persson, directeur des communications Sécurité et Environnement de Volvo.

« La technologie appropriée n'est pas encore totalement au point, il s'agit justement d'une partie du projet de recherche que de la peaufiner », ajoute-t-il.

L'APPROCHE DE GOOGLE

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les prototypes les plus autonomes sur les routes aujourd'hui n'émanent pas d'un constructeur automobile mais d'une entreprise du marché de l'internet : Google.

En 2010, la société de la Silicon Valley a annoncé avoir conçu un système de pilotage automatique. Pour Google, il est essentiel de déterminer à l'avance, avec une extrême précision, où se situe la voiture dans son environnement. Celui-ci doit lui être familier. Au volant de la voiture, ses ingénieurs s'échinent à cartographier l'environnement intégral dans lequel évoluera de manière autonome la voiture. Sur le même parcours, la voiture en mode autonome compare ensuite les données qu'elle acquiert sur son environnement avec celles préalablement enregistrées. Elle peut ainsi différencier un objet mobile - un piéton - d'un objet fixe - un poteau électrique. Se référant à des centaines de comportements possibles programmés, elle agit en conséquence - comme céder le passage à un piéton.

Les logiciels de Google ont fait d'importants progrès au cours de la dernière année. Ils peuvent même reconnaître un panneau d'arrêt brandi par un brigadier scolaire. Et ils peuvent détecter simultanément des centaines d'objets.

« Jusqu'à maintenant, nous roulons seulement dans notre ville de Mountain View, mais chaque semaine, nous ajoutons de nouvelles rues où nous pouvons rouler en mode autonome », affirme la société californienne.

PHOTO FOURNIE PAR VOLVO

Le programme «Drive-Me» de Volvo permettra dici 2017 à 100 Volvo S60 de circuler dans et autour de Gothenburg, en Suède. Ces voitures sont autonomes dans certaines conditions. 

Photo fournie par Volvo

POURQUOI UNE VOITURE AUTONOME ?

L'amélioration de la sécurité sur les routes et dans les rues est l'argument massue présenté systématiquement par les apôtres de la voiture autonome. En postulant que 93 % des accidents de la route sont dus à une erreur humaine, Google et Volvo, par exemple, considèrent que cette technologie est LA solution pour améliorer considérablement la sécurité routière.

La voiture autonome sera également accessible aux personnes en perte d'autonomie (personnes âgées ou handicapées physiques).

À long terme, elle permettra aussi - croit-on - de rationaliser l'espace urbain en fluidifiant la circulation, en transportant plusieurs personnes à la fois et en réduisant la contrainte du stationnement et l'espace qu'il occupe.

Autant d'objectifs vers lesquels veulent tendre les initiateurs du projet de Volvo en Suède. « On espère que l'infrastructure routière sera plus compacte et que nous pourrons utiliser le territoire de meilleure manière. On espère que nous pourrons éviter la congestion automobile autant que possible et on s'attend à ce que nous ayons presque zéro accident ou incident », a confié l'été dernier, à la télévision allemande DW, Susanne Planath, représentante de l'administration suédoise des Transports.

Le gain sera aussi environnemental, et ce, d'autant plus si ces véhicules sont propulsés à l'électricité.

Comment ça fonctionne?

Les constructeurs engagés dans cette course à la voiture autonome ne sont pas tous au même stade de mise au point. Le principe de fonctionnement est néanmoins le même et ils emploient à peu près les mêmes technologies.

1-Le détecteur  

Le coeur de la voiture. Le lidar est un système de télédétection par laser qui scanne sur 360 degrés, dans un rayon de 60 mètres, l'environnement intégral de la voiture. Il produit ainsi une carte détaillée en 3D de cet environnement. Il permet à la voiture d'éviter en tout temps tous les obstacles, de respecter la signalisation et de se localiser dans l'espace. Le lidar illustré ici est celui de Google et de Toyota. BMW, Audi et Nissan en ont conçu un plus petit, placé à la hauteur de la calandre.

2-Les capteurs

Intégrés aux pare-chocs avant et arrière, les capteurs détectent les véhicules loin devant et derrière, et mesurent leur vitesse. La voiture ralentit ou accélère en conséquence. Comme l'oreille interne humaine, un autre capteur donne le sens de l'orientation à la voiture. Les capteurs peuvent voir plus loin que le lidar et voient mieux que lui sous la pluie et dans le brouillard.

3- La caméra

À la hauteur du rétroviseur intérieur, une caméra détecte et interprète les feux de circulation et les panneaux de signalisation. Caméra et capteurs sont de plus en plus petits de nos jours.

4-La commande

Le cerveau du système. Installé dans le coffre, l'ensemble de logiciels traite les informations des capteurs, lidar et caméra. Les objets environnants sont repérés et différenciés. Les logiciels décident des actions, réalisées par servocommandes sur le volant, l'accélérateur et les freins. Autant dire que la fiabilité est cruciale. Chez Audi, ce cerveau est dorénavant de la taille d'une boîte à gants.

5-L'activation

On doit indiquer la destination à la voiture par l'intermédiaire d'un écran ou d'une commande vocale. Selon les modèles, le mode autonome est désactivé dès que l'on bouge le volant, les pédales ou que l'on appuie sur le bouton d'arrêt.

Photo archives AP

Un des véhicules d'essai de Google, un Lexus RX450h 

DES OBSTACLES À FRANCHIR

Peut-on réellement envisager de voir circuler des voitures complètement autonomes à l'horizon 2020, comme le promet Nissan, par exemple ? Rien n'est moins sûr. Les obstacles sont nombreux.



C'EST POUR QUAND ?

Tout le monde s'accorde à dire, dans l'industrie automobile, que l'introduction de la voiture autonome ne se fera pas du jour au lendemain. Mais quand la recherche débouchera-t-elle réellement sur la commercialisation de modèles ?

« Je suis convaincu qu'on parviendra à la voiture autonome, mais il y a des étapes à franchir avant », estime Daniel Flores, directeur des communications, technologie de pointe, recherche et développement et ingénierie groupe motopropulseur chez GM.

« On ne sait pas à quoi ressembleront ces voitures. Quand arriveront-elles ? On ne le sait tout simplement pas », observe pour sa part Antoine Belaieff, planificateur et directeur de l'innovation chez Metrolinx, l'agence de transport du gouvernement ontarien.

DES LIMITES TECHNOLOGIQUES

D'ici son arrivée, la voiture autonome devra être proche de la perfection pour être autorisée à circuler. Elle devra être à l'abri des pirates informatiques, menace que l'industrie n'a pas encore écartée. Cartographier au préalable son environnement pour que celui-ci lui soit familier et pour qu'elle puisse donc mieux agir est aujourd'hui une énorme contrainte. La parade serait que tous les véhicules communiquent entre eux - ce sur quoi travaillent aussi les constructeurs. Mais cela ne simplifie pas la gestion des interactions avec les piétons et les cyclistes.

Sur la route, il reste un important problème mécanique à résoudre : l'efficacité des capteurs par tous les temps, surtout sous la neige et la pluie battante. « On travaille là-dessus. Mais si les conditions ne sont pas suffisamment bonnes pour la conduite autonome, le conducteur devra être capable de reprendre le contrôle du véhicule. Il y aura probablement des situations où le mode autonome ne suffira pas », reconnaît Malin Persson, directeur des communications, sécurité et environnement de Volvo.

DÉFICIT D'ATTENTION

Les mains et les pieds ne sont pas seulement libres à bord d'une voiture autonome, les yeux également. C'est ce que promeuvent parfois les constructeurs automobiles. D'aucuns considèrent qu'on ne pourra jamais se permettre de quitter la route des yeux, d'autres rétorquent que cela fait déjà longtemps que les conducteurs pleinement conscients appartiennent au passé, distractions à bord obligent... La question se pose : doit-on complètement séparer la conduite du conducteur ?

PAS DE FORMATION

L'avion de ligne d'aujourd'hui est la voiture autonome de demain. À la différence près qu'un pilote est entraîné à rester en alerte et à reprendre le contrôle de son appareil en cas de problème. En sera-t-il de même avec la voiture ? Jusqu'à quel point faudra-t-il former les automobilistes ? Et qui le fera ?

QUI EST RESPONSABLE ?

C'est LA question à laquelle les gouvernements et les assureurs devront répondre à l'avenir : qui est responsable en cas d'accident ? Dans le cadre de son programme d'essais mené en collaboration avec les pouvoirs publics, Volvo laisse le soin à l'agence suédoise des Transports de répondre à cette question. Néanmoins, le constructeur semble avoir un avis sur la question. « En général, nous pensons que la procédure sera comme aujourd'hui : si la technologie est défaillante, c'est la responsabilité du constructeur et si le conducteur effectue une erreur, c'est sa responsabilité », affirme Malin Persson.

On peut parier que les contrats d'assurances baisseront, étant donné que les risques d'accident seront extrêmement minimes. Cependant, comme pour une assurance habitation, les sinistres auront beau être rares, ils n'en seront pas moins coûteux.

Quoi qu'il en soit, cette technologie ne sera pas totalement infaillible. Tôt ou tard, il y aura une défaillance électronique, un accident, un décès. Et un procès ? C'est ce que croit Dean Pomerleau. Dans une entrevue accordée à The New Yorker l'hiver dernier, ce roboticien de l'Université Carnegie Mellon voyait une menace pour la voiture autonome.

« Parce que les constructeurs sont riches, ils seront les premiers visés, peu importe qu'ils soient fautifs ou pas. Et il ne faudra pas beaucoup de décisions de justice à 50 ou 100 millions pour tuer tous les espoirs en cette technologie. »

Fondamentalement, le principal défi de la voiture autonome ne sera-t-il pas finalement de convaincre les automobilistes de se laisser porter par elle ?

Photo fournie par Volvo

QUE CACHE LE DERNIER-NÉ DE GOOGLE ?

Google a dévoilé le printemps dernier son tout premier prototype 100 % autonome, dénué de pédales et même de volant. Une avancée qui porte à s'interroger sur ses réelles motivations.

Un petit véhicule électrique à deux places qui obéit au doigt et à l'oeil. Ou presque. Voilà ce qu'est capable de concevoir à présent le géant du web, qui a fait un pas de plus vers la voiture complètement autonome.

Pour le faire fonctionner, rien de plus de facile, nous explique Aaron Brindle, porte-parole de Google. « Vous devez indiquer au véhicule par commande vocale quelle destination prendre - il ne circule pas sans but. Les passagers n'ont pas à programmer le chemin exact. Il peut analyser les informations routières en temps réel et déterminer le meilleur trajet. »

Dans l'habitacle, les passagers ont uniquement à disposition un bouton marche-arrêt, un bouton d'arrêt d'urgence et un écran montrant le trajet. Un logiciel commande le freinage, la direction et l'accélération.

Jusqu'à présent, ce véhicule - dont la vitesse de pointe est de 40 km/h - n'a connu que l'environnement immédiat des bureaux de Google et leurs stationnements. L'entreprise américaine affirme en « avoir beaucoup à apprendre à partir de ce prototype ».

Photo fournie par Google

La voiture Google 

FOURNISSEUR DE LOGICIELS

Équipé selon le même principe que les Lexus utilisées jusqu'alors, ce pot de yaourt aidera Google « à raffiner [sa] technologie et à apprendre comment les gens pourraient vouloir l'utiliser ».

Ce véhicule construit par Google devrait ainsi être le premier d'une série qui servira de laboratoire ambulant. Sans pour autant faire du géant de l'internet un constructeur automobile.

Car Google ne sera vraisemblablement jamais un constructeur automobile. Il n'en possède pas l'expertise, n'en a pas les infrastructures et n'en a peut-être pas les moyens, d'une certaine façon.

Alors pourquoi Google met autant d'énergie et de moyens sur la mise au point d'une voiture 100 % autonome ? L'amélioration de la sécurité routière n'est pas son seul objectif. Pour bon nombre d'observateurs, Google pourrait bien être le fournisseur de ces logiciels capables de commander les véhicules de l'avenir. Et qui dit véhicule autonome, dit plus de temps libre en auto, dit plus de temps passé sur le web et dit plus de consommation de produits Google et autres. Des données considérables sur les habitudes de ces automobilistes consommateurs seraient récupérées au passage.

En investissant l'an dernier 260 millions dans l'application de taxi libre Uber, Google pourrait aussi associer sa technologie à ce service. D'un simple coup de pouce sur l'écran du téléphone, la voiture viendrait toute seule chercher le client.

Ce n'est pas demain la veille ? Volvo possède déjà un prototype capable de le faire.