«Être la Cadillac de» a longtemps été une expression générique, en Amérique du Nord à tout le moins, pour indiquer que rien ne peut rivaliser en qualité. Plus aujourd'hui! Cadillac cherche à se réinventer depuis une vingtaine d'années déjà, mais n'y est toujours pas parvenue. Et rien n'indique que la venue de la berline CT6 permettra à l'auguste marque américaine de redevenir la référence mondiale (Standard of the World) qu'elle a jadis été.

Il y a 20 ans que Cadillac n'est plus la marque de luxe la plus diffusée en Amérique. Et rien ne laisse croire aujourd'hui que cette filiale de la General Motors - elle figure actuellement au sixième rang - parviendra à retrouver la plus haute marche du podium de sitôt.

Même si elle semble en voie de se forger une identité aux contours mieux définis, Cadillac souffre encore de lacunes importantes. D'abord, après un coup d'éclat dans les années 90 (lancement de l'utilitaire Escalade), la marque est aujourd'hui pratiquement inconnue au bataillon des 4 x 4. Et la gamme de ce constructeur apparaît trop lisse. Elle manque cruellement d'un porte-étendard ou, à tout le moins, d'un véhicule qui fasse un tantinet rêver les consommateurs. Ces absences maintiennent Cadillac à l'écart des catégories rentables et visibles dont les effets d'entraînement, en matière d'image et de notoriété, sont tout sauf négligeables.

Aussi bien le dire tout cru, la CT6 ne relèvera aucun de ces défis. À tout le moins, en Amérique du Nord.

En revanche, sur le marché chinois - où la grosse berline fait toujours recette et où la CT6 fera également carrière -, Cadillac pourrait connaître du succès. La marque américaine souhaite doubler ses ventes annuelles d'ici à 2020 et, pour ce faire, compte tout particulièrement sur la Chine pour atteindre cet objectif.

Une niche à elle, juste pour elle

Quand on se compare, on se désole ou on se console? Les maîtres d'oeuvre de la CT6 évitent soigneusement de répondre à cette question. D'abord, en raison de sa taille, de ses motorisations et de ses tarifs, la CT6 chevauche deux catégories. Trop opulente pour se mesurer à une Classe E ou à une Série 5, mais trop «ramassée» pour affronter une Classe S ou une Série 7. Bref, la CT6 se définit mal et démontre, une fois encore, que Cadillac n'apprend pas toujours de ses erreurs. En effet, ce positionnement un peu flou ressemble étrangement à celui des deux premières générations de CTS.

Hormis ce positionnement un peu déroutant, la CT6 est pour le moins étonnante. Comme les autres berlines de la marque, d'ailleurs. Son châssis, entièrement inédit (nom de code Omega), apparaît comme une franche réussite. Sans atteindre une répartition équitable des masses entre les trains roulants, la CT6 y parvient presque. Pour ce faire, la marque fait largement usage de différents matériaux et techniques de soudage pour obtenir une plateforme à la fois rigide et légère. À celle-ci s'attachent des éléments suspenseurs sophistiqués auxquels se greffe notamment un dispositif à quatre roues directrices (voir notre vidéo). Celui-ci veille à faciliter les manoeuvres à basse vitesse et à améliorer la stabilité dans les courbes rapides.

Conception soignée

Le soin apporté à la conception et à la construction de cette voiture a permis aux ingénieurs de préconiser l'utilisation, en première monte, d'une motorisation quatre cylindres. Suralimenté par turbocompresseur, ce moteur 2 L (265 ch) connaîtra, sur nos terres à tout le moins, une diffusion plutôt confidentielle, puisqu'il n'entraîne que les deux roues arrière. Ce faisant, la clientèle québécoise est invitée à allonger quelques milliers de dollars additionnels qui lui donneront accès à un rouage à quatre roues motrices et à un moteur V6 de 3,6 L atmosphérique (335 ch). La combinaison de ceux éléments mécaniques entraînera inévitablement une hausse de la consommation (environ 2 L/100 km supplémentaires). En revanche, vous pourrez compter sur l'ensemble des chevaux annoncés sans avoir recours - comme c'est le cas avec le 2 L - à de l'essence Super. Cadillac propose une troisième option: un V6 de 3 L suralimenté par turbocompresseurs. Mais la marque américaine n'entend pas s'arrêter là et planche non seulement sur un V8 de 4,2 L, mais également sur une motorisation hybride (voir onglet 4). Bref, à très court terme, la CT6 proposera une palette de moteurs aussi riche et presque aussi diversifiée (exception faite du diesel) que celle de ses rivales allemandes, toutes catégories confondues.

Bien plantée

Au même titre que les ATS et CTS, la CT6 est une remarquable routière et n'a absolument rien à envier aux meilleures créations allemandes, anglaises, voire japonaises, en matière de confort ou d'agrément de conduite. Pour mériter autant de qualificatifs, cependant, la CT6 exige que vous cochiez l'option «châssis actif» (3895 $). Cette dernière comporte notamment le dispositif à quatre roues directrices, mais aussi la très efficace suspension magnétique. Hélas, ce groupe n'est pas offert sur les versions d'entrée de gamme. Il faut donc débourser au minimum 68 930 $ pour y avoir accès. Et voilà la facture qui dépasse déjà les 70 000 $... Et elle peut grimper encore, au point de donner le tournis. C'est à ce moment que le client décroche. L'image de marque est insuffisamment forte pour justifier des tarifs aussi salés. On préfère alors rouler en BMW, en Mercedes, en Audi plutôt qu'en Cadillac. Pourtant, la firme américaine, rappelons-le, n'a rien à leur envier sur le plan du confort, de l'agrément de conduite ou des accessoires.

Pour contenir les tarifs à un niveau acceptable, le V6 3,6 L apparaît le choix tout indiqué.

Ses prestations sont largement adéquates pour mouvoir agréablement cette berline de sa position statique. Cette mécanique n'est certes pas aussi sophistiquée ou noble, c'est selon, que celles que l'on trouve chez la concurrence (allemande toujours). Elle a le mérite d'être d'une complexité moindre, d'offrir un rendement correct et une consommation somme toute raisonnable vu l'encombrement de cette auto. La boîte automatique à huit rapports affiche, pour sa part, une belle souplesse en phase d'accélération, mais manque de rondeur lors des décélérations. Une question de processeurs, sans doute.

Aussi imposante soit-elle, la CT6 donne à son conducteur le sentiment de se trouver au volant d'un véhicule plus compact. L'assistance de la direction est correctement dosée et on la blâmera tout juste de ne pas décrire dans le détail le travail des roues directrices lorsque celles-ci sont engagées sur une route sinueuse. Les éléments suspenseurs maintiennent l'assiette du véhicule bien en place, au prix de quelques secousses, il est vrai, sur une chaussée abîmée. Rien à redire cependant à la qualité du freinage qui s'avère puissant, facile à moduler et résistant à l'échauffement.

Un palace sur roues

Selon la version et les options retenues, la CT6 peut très bien ressembler davantage à un palace roulant qu'à une berline bien ordinaire... À la condition d'y mettre le prix. L'habitacle de cette auto peut se tapisser de 34 haut-parleurs, d'écrans individuels pour les occupants des places arrière (voir notre galerie photo), d'une caméra infrarouge ou d'une autre, de recul cette fois, à haute définition logée dans le rétroviseur central. Ouf! Toutes ces petites douceurs ont un coût (d'achat et de remplacement) très élevé et n'ajoutent strictement rien à la valeur résiduelle du véhicule.

Cela dit, les concepteurs de la CT6 auraient eu intérêt à consacrer plus d'efforts à peaufiner l'ordinateur central (CUE), qui demeure à ce jour un cran en dessous de la concurrence. La trop grande sensibilité des touches et du pavé posé au pied de la console nous exaspère parfois par son manque de précision. On pestera aussi contre la petitesse des rétroviseurs extérieurs qui incitent pratiquement à se procurer le dispositif de sécurité active comprenant les capteurs d'angles morts. Ou le bloc d'instrumentation très encombré qui nécessite une période d'acclimatation.

Sur une note plus positive, les places sont spacieuses et confortables et le coffre offre un volume appréciable. Décernons également une bonne note à la qualité de la finition qui, sans atteindre le niveau de celle d'une Audi ou d'une Infiniti, témoigne de belles attentions.

Même si elle ne se définit pas explicitement comme le modèle phare de la gamme, cette Cadillac l'est tout de même, ne serait-ce que par ses dimensions et ses prix. Dans ce contexte, à moins de vouloir absolument offrir le dégagement d'une limousine aux occupants des places arrière, mieux vaut opter pour la CTS moins coûteuse et tout aussi agréable à conduire ou de se limiter à la CT6 équipée du moteur V6 atmosphérique avec le groupe «Luxury» (1SD). Qu'à cela ne tienne, Cadillac aurait eu intérêt à développer de nouveaux utilitaires plutôt que d'engraisser son catalogue d'une berline agréable, certes, mais incapable - en dehors de la Chine, sans doute - de redonner de l'éclat à cette marque plus que centenaire.

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Des gains? Quels gains?

Au Canada, le marché de la berline de luxe représente 1,7% des ventes d'automobiles neuves. Aussi bien dire presque rien. Des quelque 12 000 voitures vendues au pays l'an dernier, le Québec en a fait immatriculer un peu plus de 2200. Et plus de la moitié de ces véhicules défend une marque allemande...

La Classe E de Mercedes caracole largement en tête avec 551 voitures, suivie de la Série 5 de BMW (417) et de l'A6 d'Audi (253). La Cadillac XTS qui défendait les couleurs de la marque américaine au sein de ce segment l'an dernier s'est écoulée à 170 unités.

La croissance du marché, et pas seulement au Québec, se trouve à l'heure actuelle du côté des utilitaires compacts de luxe, catégorie où Cadillac brille toujours par son absence. Dans la Belle Province seulement, ce créneau a connu une augmentation de 36% de ses ventes au cours de la dernière année et cette croissance va encore augmenter cette année, estiment les analystes de l'industrie.

Une version plus compacte du XT-5 (actuellement classé parmi les utilitaires de luxe intermédiaire) est attendue dans les prochains mois pour corriger le tir. Il aurait sans doute été plus judicieux de le commercialiser avant la CT6.

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Fiche technique

L'ESSENTIEL

Marque/Modèle:
Cadillac CT6

Fourchette de prix: 61 795 $ à 99 670 $

Transport et de préparation: 2300 $

Garantie de base: 4 ans / 80 000 km

Consommation réelle observée: 11,5 L/100 km

Pour en savoir plus: www.cadillac.ca

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TECHNIQUE 


Moteur: V6 DACT 3,6 litres

Puissance: 335 à 6800 tr/min

Couple: 294 lb-pi à 5300 tr/min

Poids: 1781 kg

Rapport poids/puissance: 5,31 kg/ch

Mode: Intégral

Transmission de série: Automatique 8 rapports

Transmission optionnelle: Aucune

Diamètre de braquage: 12,2 m (4 roues directrices 11,3)

Freins av-arr: Disque / Disque

Pneus (av-arr): 245/45R19 

Capacité du réservoir / Essence recommandée: 74 L / Ordinaire

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ON AIME

Structure légère

Habitabilité

Comportement étonnant

ON AIME MOINS

Encore et toujours l'image

Système CUE déroutant

Les versions haut de gamme trop coûteuses

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Arrondir les angles

Cadillac songe à arrondir les angles au cours des prochaines années, comme en fait foi l'étude Escala, présentée en août dernier. La verticalité de certains éléments demeure (feux, phares de jour), mais ce concept inaugure une carrosserie 5 portières inédite. Si l'Escala devait être produite en série, Cadillac proposerait alors une solution de rechange intéressante aux actuelles Audi A7 et Porsche Panamera. Dans sa forme conceptuelle, l'Escala étrenne le futur moteur V8 de 4,2 L à deux turbocompresseurs que la marque souhaite glisser sous le capot de la CT6 au cours des prochains mois.

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Photo fournie par Cadillac

L'étude Escala

L'hybride viendra de la Chine

Au risque de choquer les traditionalistes de la marque, la CT6 hybride à prise rechargeable sera produite en Chine... Cette future Cadillac «verte» promet de consommer deux fois moins de carburant que la version à essence. Elle joindra le quatre-cylindres de 2 L suralimenté à une paire de moteurs électriques. Selon les premières estimations, la puissance combinée de ces propulseurs sera de 335 ch et 432 lb-pi de couple.

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Photo fournie par Cadillac

Composants de la future CT6 hybride rechargeable

Dans ce temps-là

On a tendance à l'oublier, mais Cadillac a longtemps été pour les Américains ce que Rolls-Royce est pour les Britanniques: une oeuvre d'art sur roues. Et la Cadillac Eldorado Brougham commercialisée en 1957 a sans doute été la plus belle réalisation du constructeur américain. Seulement 400 voitures de ce modèle entièrement conçu à la main ont été produites. Mue par un moteur V8 de 325 ch, cette Cadillac comportait des portières à ouverture antagoniste à l'arrière, la climatisation, une commande de déverrouillage à distance du coffre, des glaces électriques et une radio à transistor. Le client avait la liberté de choisir parmi 44 coloris intérieurs. Le prix demandé: 12 000 $. Un investissement à l'époque, car aujourd'hui, sa valeur est estimée à 158 000 $ US.

Photo fournie par Cadillac

La Cadillac Eldorado Brougham