Le règne de la berline de prestige façon Mercedes Classe S, BMW Série 7, Maserati Quattroporte et Audi A8 touche à sa fin. La modernité automobile bourgeoise s'est ouverte à d'autres carrosseries, dont les tout-terrains cossus.

Ils reviennent de loin, ces gros camions. Il n'y a pas si longtemps, on les disait démodés et affreusement polluants. Ils se sont adaptés. À tel point qu'il y a lieu de se demander s'il s'agit toujours de 4 x 4. Pas vraiment. À quelques exceptions près, les modèles modernes font semblant de grimper aux arbres. Un 4 x 4, un vrai, dispose d'un rouage aux quatre roues avec boîte de transfert, mais repose aussi sur des principes : châssis en échelle simple, robuste et lourd, suspension à large débattement. Bref, tout le contraire des nouveaux véhicules aux trains roulants sophistiqués, conçus sur la base d'une automobile et qui se noieraient dans une flaque d'eau. D'ailleurs, ils se font appeler SUV (sport utility vehicules ou véhicules utilitaires sport) et, pourtant, ils n'ont rien à voir - ou si peu - avec les tout-terrains « classiques ».

L'annonce presque simultanée de Jaguar et de Rolls-Royce de donner suite à des études de « 4 x 4 » de série ne constitue pas simplement une coïncidence. Les VUS de luxe ont la cote. L'attraction exercée par les Porsche Cayenne, Mercedes Classe M et Lexus RX confirme que le haut de gamme s'est assurément converti au « tout-terrain ». Le gros 4 x 4 en impose, répond à une angoisse sécuritaire implicite - dominer la route, c'est se protéger -, peut embarquer jusqu'à sept personnes et ne craint pas les routes défoncées ou ensevelies sous la neige. Voilà le nouveau luxe automobile.

Société des loisirs?

L'ampleur de ce succès tient autant aux qualités intrinsèques de cette catégorie de véhicules qu'à son étroite adéquation avec les courants qui traversent le petit monde du grand luxe automobile. Les élégants coupés ne progressent guère, les majestueuses berlines perdent du terrain (et de l'argent), mais ces faux vrais 4 x 4 taillés pour le Parc Safari font un malheur.

Cette renaissance tient aussi à un spectaculaire changement d'image. C'en est fini du gros balourd, instable et assoiffé comme une éponge. Cette fois, on fait dans l'élégant, le raffiné même. Lignes classiques et fluides pour le concept C-X17, recherche délibérée d'originalité pour le futur Bentley EXP-9F, avec ses phares de Mulsanne et ses feux de Flying Spur.

Mais tout cela ne permet pas vraiment de comprendre ce qui pousse des consommateurs aisés à acquérir des véhicules dont ils n'utilisent les capacités qu'en de très rares occasions. Le paradoxe n'est qu'apparent. Tout cela est le reflet d'une civilisation des loisirs. Les activités de détente dictent leur loi et imposent que l'on cherche à satisfaire des besoins précis. Le fait que la tendance soit plutôt à multiplier les week-ends renforce l'attrait des véhicules utilitaires : parce qu'on part moins longtemps, on ne veut pas renoncer à emporter quoi que ce soit.

Chose certaine, la percée de ces modèles ne s'arrêtera pas de sitôt. Et puisqu'un boulevard s'ouvre devant ces 4 x 4 guindés, tous les constructeurs de prestige se lancent. On sait déjà que Bentley, Maserati et Lamborghini inscriront à leur catalogue un « haut sur roues » d'ici peu. Vous pouvez parier que Jaguar et Rolls-Royce vont suivre très prochainement.