On a longtemps fait des gorges chaudes sur la solidité des Jaguar. Cela remonte à l'époque où la marque britannique était seule et unique responsable de son sort qui, petit à petit, l'entraînait vers une mort certaine. Or, depuis que des intérêts indiens, la firme Tata pour ne pas la nommer, s'est installée à la barre, les Jaguar ont changé non seulement de silhouette, mais aussi de conception. Les puristes ne seront peut-être pas d'accord avec la nouvelle orientation du style, mais un fait demeure: les Jaguar sont mieux construites qu'avant et elles ont même flirté il n'y a pas longtemps avec les premières places des sondages sur la fiabilité des firmes spécialisées.

Cela dit, jamais je n'avais conduit une Jaguar de route aussi féroce, aussi fonceuse et aussi bien tournée que la XK-R que j'ai essayé récemment. L'expression est sans doute éculée, mais le moteur est une véritable bombe prête à exploser à la moindre pression de l'accélérateur. Qu'une voiture aussi corpulente et aussi lourde puisse se déplacer avec une telle instantanéité est un tribut à une motorisation de haut niveau. On a affaire a un V8 de 5 litres qui, en version R, voit son aspiration d'air enrichie ou suralimentée par la présence d'un compresseur, ce qui porte la puissance à 510 chevaux, soit davantage que sa concurrente première, la Mercedes-Benz SL 550. En revanche, cette dernière bat sa rivale anglaise (ou indienne?) avec un couple supérieur, gracieuseté de son V8 biturbo. Chez Jaguar, c'est une transmission séquentielle à 6 rapports qui administre la puissance vers les roues motrices arrière. Elle se déplace au moyen d'une mollette dont on maîtrise rapidement la manipulation.



Un certain flottement



Les performances sont proprement hallucinantes, ce qu'illustrent éloquemment les 4,8 secondes requises pour s'envoler de 0 à 100 km/h. Et quel bonheur d'entendre les borborygmes du moteur en décélération. Ce qui distingue surtout le V8 de la XK-R, c'est l'absence de ce temps mort que l'on regrette fréquemment dans le fonctionnement de la boîte de vitesses de modèles similaires. Le moteur répond prestement à l'appel de l'accélérateur à tel point que la voiture donne l'impression de bondir en avant comme le félin dont elle porte le nom. Hélas, la consommation fait de même et il faudra s'abstenir de tout excès de conduite pour abaisser la moyenne sous les 15 litres aux 100 km. En général, le comportement routier est rassurant, quoique l'absence du moindre aileron se fait sentir à très grande vitesse. On constate une sorte de flottement et la voiture semble manquer d'appui aérodynamique, ce qui oblige à faire de légères corrections du volant pour garder le cap.

En virage toutefois, la XK-R s'agrippe au bitume avec toute l'adhérence de ses immenses bottines de 19 pouces. La grandeur des disques, spécialement à l'avant, dissipe toute crainte quant à l'efficacité du freinage. Dommage que la direction par trop gommée ne soit pas plus loquace sur l'état du revêtement. Se garer en ville n'est pas une sinécure non plus et la maniabilité ne fait sûrement pas partie des atouts de ce gros coupé dont l'immense capot exige du doigté dans les espaces restreints. En circulant à faible vitesse, on note des à-coups dans le groupe propulseur que l'on peut toutefois contrer en plaçant le levier de vitesses en mode sport.

Au volant de cette Jaguar, on a quelquefois l'impression de conduire une voiture allemande tellement sa structure est solide et sourde aux bruits de caisse. Pour combien de temps? Nul ne le sait.

Photo: Jacques Duval, collaboration spéciale

La finition du coupé XK-R de Jaguar est soignée, mais l'ergonomie gagnerait à être revue.

Strictement deux places

Un inventaire de l'aménagement intérieur donne des résultats moins flatteurs cependant. Ainsi, l'ergonomie est discutable avec ces boutons dissimulés derrière le volant dans la partie inférieure gauche du tableau de bord. La qualité des matériaux est au rendez-vous quoique l'absence de bois en surprendra plusieurs. En lieu et place, on a droit à un habillage plus sportif où règle l'aluminium et la fibre de carbone. Si votre dos est sensible, vous apprécierez le dessin des sièges et la multiplicité des réglages offerts.

Par ailleurs, j'ai pu constater tout le ridicule des places arrières quand j'ai dû y faire s'installer une adolescente (consentante dois-je préciser) d'environ 1 mètre 60 qui a dû se placer dans le sens de la largeur de la voiture pour ne pas trop souffrir toute cette gymnastique. Mieux vaut considérer ce refuge comme un complément à un coffre à bagages déjà généreux plutôt qu'un espace se prêtant au transport d'êtres humains.

De prime abord, la Jaguar XK-R séduit par son charme et ses performances, au point où l'on aurait envie de lui pardonner toutes ses imperfections. Mais, au prix qu'elle commande, cette voiture a du mal à supplanter sa rivale germanique arborant l'étoile à trois pointes. Et cela risque de se produire à nouveau à la revente.

Photo: Jacques Duval, collaboration spéciale

Si les places arrière sont une blague, le coffre à bagages du coupé Jaguar est assez spacieux pour une voiture de ce type.