La voiture autonome est à nos portes de garage. C'est ce que semble vouloir nous faire croire l'industrie automobile en multipliant depuis 18 mois les annonces d'investissements et de tests en tous genres. La dernière en date, celle de nuTonomy, promet déjà des taxis sans chauffeur. En est-on réellement là ?

Cette entreprise américaine émergente « veut être la première au monde à lancer un système de taxi autonome ». Et c'est à Singapour qu'elle vient de lancer un programme d'essais. À première vue, les passagers montent dans une Mitsubishi i-MiEV et en descendent à leur convenance de manière on ne peut plus... autonome. Les premiers médias à relayer cette information n'ont pas hésité à parler de « premiers taxis sans chauffeur ».

Mais à bien y regarder, on est très loin de la voiture 100 % autonome. Les six voitures utilisées roulent dans une zone bien délimitée de quatre kilomètres carrés, comprenant des endroits désignés d'avance pour prendre et déposer les passagers. Ces passagers, justement, ne sont jamais seuls à bord. Un ingénieur y contrôle en permanence les faits et gestes du véhicule et intervient en cas de problème.

Les taxis nuTonomy circulent dans un périmètre restreint de 4 km2. Photo: AP

Un ingénieur contrôle en permanence les faits et gestes des véhicules « autonomes » de nuTonomy et intervient en cas de problème. Photo: AP

Hyperbole publicitaire et enflure verbale

Selon le roboticien Dean Pomerleau, ce n'est tout simplement pas un taxi autonome.

« Ce n'est pas différent de ce que fait Tesla. À savoir faire rouler une voiture autonome de niveau 2 et la présenter comme une voiture sans chauffeur pour faire de la publicité. Ils mettront sur la route des voitures soi-disant autonomes avec une ou deux personnes en plus des passagers», critique ce chercheur de l'Université Carnegie Mellon, de Pittsburgh.

Sur une échelle conventionnelle de 1 à 5 en matière d'autonomie, définie dans l'industrie automobile, le niveau 2 correspond à une voiture capable de gérer la marche avant et les changements de voie dans un cadre préalablement défini et sous contrôle permanent du conducteur. C'est ce que l'on pourrait voir sur les routes, de manière sporadique, d'ici cinq ans.

« Les technologies sont vraiment en mode d'apprentissage, elles continuent à accumuler de la connaissance sur tous les événements qui pourraient se dérouler et sur la prise de décision », dit Antoine Belaieff, qui scrute de près l'évolution de la voiture autonome et ses éventuels impacts sur les transports en commun de demain

Le jour où l'on atteindra le niveau 5, la voiture sera complètement autonome, dans tous les déplacements et dans tous les environnements possibles sans aucune intervention humaine. Mais ça, ce n'est vraisemblablement pas avant 20 ans. Si ce n'est plus. Malgré ce que peuvent laisser sous-entendre les constructeurs automobiles. Car, pour reprendre une expression, « il y a loin de la coupe aux lèvres ».

Uber aussi teste des voitures sans conducteur et espère un jour mettre dans les rues des taxis Uber sans chauffeur. Uber a déployé à Pittsburgh des Ford Fusion autonomes expérimentales qui prennent des passagers. Il y a un technicien à bord et les passagers peuvent choisir s'ils veulent que la voiture se conduise toute seule (c'est gratuit) ou soit conduite par le technicien (il faut payer). Photo: AP

Il y a deux ans, GM, par exemple, espérait lancer cet été une Cadillac dotée d'un « super » régulateur capable de la maintenir dans sa voie, de lui faire respecter les distances de freinage et de lui faire appréhender les bouchons, le tout dans une configuration de haute vitesse. L'équipement se fait encore attendre et General Motors ne veut pas commenter le projet de nuTonomy.

L'accident mortel d'une Tesla Model S survenu au printemps alors qu'elle était en mode « Autopilot » a rappelé le chemin qu'il reste à parcourir avant d'atteindre la pleine autonomie. Rappelons que Google y travaille depuis presque 10 ans maintenant. Et qu'Uber vient de se lancer dans la mise au point de la voiture autonome.

Comme le rappelle Antoine Belaieff, « le projet de Singapour est similaire à d'autres projets de voitures autonomes ». On attend la prochaine annonce.

Delphi, comme nuTonomy, teste des taxis sans chauffeur à Singapour. Cet essai se fait dans les limites d'un parc industriel achalandé et fait la navette entre des stations de transport en commun et des adresses fixes. Photo: Delphi