WASHINGTONLes voitures autonomes font couler beaucoup d’encre. Les experts se penchent sur leur impact sur l’emploi et la sécurité routière. Mais la population a souvent d’autres types de préoccupations sur le sujet, découvrent les chercheurs qui organisent des consultations citoyennes, notamment en France et aux États-Unis. À Montréal, une telle consultation se tiendra samedi.

Isolement rural

L’an dernier, le groupe Missions publiques à Paris et le Consortium for Science, Policy & Outcomes de l’Université de l’Arizona ont lancé une série de rencontres avec des citoyens sur les voitures autonomes. « L’objectif était de découvrir ce qui inquiète les gens et les bénéfices qu’ils espèrent en tirer », explique David Tomblin, un politologue de l’Université du Maryland qui a conduit les premières consultations citoyennes à Baltimore et ailleurs dans l’État. « On a tout de suite vu un point qui est souvent ignoré : les voitures autonomes suscitent plus d’intérêt à la campagne qu’en ville, parce que les gens qui y vivent seuls sont souvent très isolés, a ajouté le politologue, qui participait à un colloque sur le sujet à la dernière réunion annuelle de l’Association américaine pour l’avancement de la science, à la mi-février à Washington.

« On voit le même résultat dans les premières consultations en France, dit-il. Ça m’a fait penser au cas du téléphone : au début du XXe siècle, les entreprises se sont concentrées sur les villes parce qu’elles jugeaient les campagnes moins rentables, mais finalement, la demande y était telle qu’on a vu des coopératives téléphoniques apparaître. »

Navetteurs

Les voitures autonomes pourraient d’ailleurs favoriser l’étalement urbain. « Beaucoup de gens dans les régions rurales nous ont dit que ça leur permettrait de prendre de meilleurs emplois dans les villes, à Washington par exemple, dit M. Tomblin. Actuellement, ils devraient conduire deux heures à l’aller et deux autres au retour, et ça leur semble une trop grande perte de temps. S’ils peuvent utiliser le temps de transit à bon escient, ils vont profiter à la fois des avantages économiques des villes et de la qualité de vie et du faible coût des maisons de campagne. »

Cet intérêt pour la mobilité rurale trouve d’ailleurs un écho dans les manifestations des gilets jaunes en France, lancées au départ en raison de l’augmentation de la taxe sur le carburant et de l’abaissement de la limite de vitesse sur les routes provinciales.

Le plaisir de la conduite

Plusieurs personnes au Maryland ont déploré que les voitures autonomes leur enlèveraient une activité qu’elles aiment bien. « On ne le mentionne pas souvent, mais la conduite n’est pas un fardeau, c’est plutôt un plaisir pour une partie importante de la population, dit David Tomblin. C’est d’ailleurs l’une des raisons, à mon avis, de la difficulté qu’ont les groupes environnementalistes à convaincre la population de moins utiliser la voiture, même dans des quartiers dont les habitants sont instruits et votent à gauche. »

Emplois

Les inquiétudes sur l’emploi constituaient la principale différence entre les consultations en France et aux États-Unis. « Peu de gens font écho aux études qui prédisent que beaucoup de chauffeurs vont perdre leur travail avec les voitures autonomes », dit M. Tomblin. Selon lui, les pertes d’emplois étaient une préoccupation plus importante en France parce que la population est habituée à ce que l’État intervienne pour tempérer les changements technologiques ayant un impact sur le monde du travail.

La morale du trolley

L’une des questions les plus étudiées par les chercheurs est la base des décisions morales que prendront les algorithmes contrôlant les voitures autonomes. « On utilise souvent le dilemme du trolley pour illustrer le type de choix qui devront inévitablement être faits par les algorithmes, dit Dave Tomblin, de l’Université du Maryland. C’est une situation où un trolley se dirige vers cinq personnes ligotées sur une voie ferrée. Une personne contrôle un poste d’aiguillage pouvant dérouter le trolley vers une voie où il y a une seule personne ligotée. Si elle agit, elle tue une personne. Si elle ne fait rien, cinq personnes meurent. L’an dernier, une étude avait montré que le Français moyen estime que si une voiture autonome a le choix entre tuer son passager ou plusieurs piétons, il faut sauver les piétons et sacrifier le passager. Mais si on leur demandait de s’imaginer dans la voiture autonome, ils préféraient sacrifier les piétons. Ce qui est frappant, dans nos réunions, c’est que ce type de décisions et la sécurité des voitures autonomes en général ne sont presque jamais mentionnés. Ça semble être un problème qui intéresse seulement les experts, même s’il y a eu des cas où des voitures autonomes ont tué des piétons. » Le dilemme du trolley a été décrit en 1967 par la philosophe britannique Philippa Foot dans un article de la revue Oxford Review qui portait sur la moralité de l’avortement.

Montréal

La rencontre de samedi à Montréal a été organisée par l’Institut du Nouveau Monde. « Nous avons fait une rencontre d’information avec 30 groupes en février pour publiciser la journée, nous attendons une centaine de personnes », dit Stéphane Dubé, responsable des projets spéciaux à l’INM. « On parle notamment de craintes sur la protection des données personnelles, mais nous n’avons pas encore arrêté l’orientation de la journée complète », dit M. Dubé. L’hiver sera-t-il au menu ? « Certains disent qu’il y aura des défis technologiques, d’autres, que la technologie sera au rendez-vous. »

CHIFFRES

17 700 km : distance moyenne parcourue par les voitures autonomes de Google sans intervention humaine en 2018

4 km : distance moyenne parcourue par les voitures autonomes de Toyota sans intervention humaine en 2018

2,4 km : distance moyenne parcourue par les voitures autonomes de Mercedes-Benz sans intervention humaine en 2018

1,8 km : distance moyenne parcourue par les voitures autonomes d’Apple sans intervention humaine en 2018

Source : Financial Times

Pour lire les objectifs de la rencontre à l'INM le 1er juin, cliquez ici.