«L'exposition des bébés à la pollution par le plomb crée des troubles du développement neurologique», explique Jessica Reyes, économiste à l'Université Amherst, au Massachusetts. «Ces problèmes réduisent leur capacité de contrôler la colère et la violence. J'ai vérifié dans tous les États, et il y a un lien clair entre le moment où l'essence au plomb a été interdite et le moment où la criminalité violente chez les jeunes adultes a baissé. Dans tous les cas, il s'est écoulé un intervalle d'une vingtaine d'années.»

«L'exposition des bébés à la pollution par le plomb crée des troubles du développement neurologique», explique Jessica Reyes, économiste à l'Université Amherst, au Massachusetts. «Ces problèmes réduisent leur capacité de contrôler la colère et la violence. J'ai vérifié dans tous les États, et il y a un lien clair entre le moment où l'essence au plomb a été interdite et le moment où la criminalité violente chez les jeunes adultes a baissé. Dans tous les cas, il s'est écoulé un intervalle d'une vingtaine d'années.»

Ces conclusions valent également au Canada, selon des calculs préliminaires de Mme Reyes. Un autre économiste, Rick Nevin, du National Center for Healthy Housing en Virginie, a montré, dans une étude publiée dans la revue Environmental Research, que la concentration du plomb dans le sang des bébés au Canada a atteint un sommet en 1974, alors que le pic du taux de criminalité violente a été atteint en 1990.

L'exposition au plomb a aussi été réduite lorsqu'on l'a retiré de la peinture, durant les années 60. Mais l'essence au plomb avait une influence beaucoup plus grande. «La peinture ne libère le plomb que si elle s'écaille, dit Mme Reyes. Ça se passait surtout au niveau des fenêtres. Le plomb de l'essence, lui, reste en suspension un bon moment après avoir été évacué par le tuyau d'échappement. D'autant plus que durant les années 50 et 60, la concentration de plomb dans l'essence a graduellement augmenté, parce que les fabricants de voitures avaient besoin de moteurs de plus en plus puissants. Elle a atteint un sommet à la fin des années 60. Les compagnies pétrolières se vantaient de la puissance de leurs essences au plomb.»

Le plomb permet d'augmenter l'énergie disponible dans l'essence, le fameux indice d'octane. Les risques neurologiques du plomb étaient connus dès les années 20, quand on a commencé à l'ajouter à l'essence, selon Mme Reyes. Mais les concentrations étaient alors plus faibles, et surtout il y avait relativement peu de voitures en circulation.

Pour bien cerner l'effet de l'essence au plomb, Mme Reyes a tenu compte des migrations entre États, de la croissance économique et de la variation du nombre de policiers, des fusils en circulation, des incarcérations et des avortements. «Des économistes ont par le passé tenté d'expliquer la chute du taux de criminalité violente dans les années 90 par la légalisation de l'avortement, qui a peut-être réduit le nombre d'enfants négligés parce que non voulus, et par l'augmentation du nombre de policiers décrétée par le président Clinton. Mes analyses montrent que l'essence au plomb explique probablement la moitié de l'effet, et que l'avortement en explique entre 15% et 30%. Le reste est dû à l'augmentation du nombre de policiers et des incarcérations, et à la baisse de popularité du crack.»

Dans son analyse, l'économiste américaine a fait l'hypothèse que la presque totalité de la population demeure au moins trois ans dans son État natal. Les statistiques montrent que le quart des gens déménagent avant l'âge adulte, et Mme Reyes a fait une règle de trois, ce qui donne un taux de migration de seulement 4% avant l'âge de 3 ans.

Il s'agit d'un détail important parce que les impacts neurologiques sont plus prononcés en bas âge que chez les enfants plus vieux et les adultes. «Les enfants transfèrent dans leur sang la moitié du plomb qu'ils inhalent, alors que chez les adultes, c'est seulement 8%, dit Mme Reyes. Le développement neurologique est beaucoup plus important en bas âge; il en va donc de même du risque de séquelles. Cela dit, comme les adultes constituent une population beaucoup plus grande, il se peut qu'un effet beaucoup moindre du plomb ait quand même eu un impact sur la criminalité. Nous allons vérifier ça avec des études subséquentes. Nous allons aussi regarder d'autres marqueurs de la toxicité du plomb, par exemple la violence à l'école.»

L'économiste du Massachusetts a commencé à s'intéresser à ce dossier alors qu'elle étudiait à Harvard. «J'habitais avec mon mari dans une vieille maison. La peinture s'écaillait des murs. Nous pensions à avoir un bébé, et je me suis rendu compte que le plomb que contenait certainement la peinture était dangereux. Comme on parlait beaucoup de l'énigme de la chute de la criminalité, durant mes cours, j'ai fait le lien entre les deux phénomènes.»

Une loi du Massachusetts oblige les propriétaires à enlever la peinture au plomb de leurs logements si leurs locataires ont un enfant de moins de 8 ans. Mais Mme Reyes n'a pas osé se lancer dans une bataille avec son propriétaire de Cambridge pour le forcer à enlever la peinture au plomb. «Nous avons déménagé dans une maison neuve à Amherst», conclut-elle.