«Au début, tout se faisait à la mitaine. Sur la carte à dessin, on superposait les couches du réseau hydrographique, topographique et routier. Ce n'était pas exactement à l'échelle, mais ça convenait pour l'époque», indique Rémi Larochelle, documentaliste à la cartothèque de l'Université Laval.

«Au début, tout se faisait à la mitaine. Sur la carte à dessin, on superposait les couches du réseau hydrographique, topographique et routier. Ce n'était pas exactement à l'échelle, mais ça convenait pour l'époque», indique Rémi Larochelle, documentaliste à la cartothèque de l'Université Laval.

Le premier changement majeur survient en 1981, avec le système métrique, les échelles normalisées et une précision accrue. Mais la forme manuscrite perdure. Le virage numérique la remplacera seulement en 2001.

Mais même le prof d'informatique est nostalgique des versions manuscrites.

«La calligraphie des années 20 et 30 me séduit. Je la préfère de loin aux modèles informatisés et géo référencés. Peut-être parce que j'aime ce qu'évoquent les vieux symboles de la route, comme les romans de Kerouac et Updike», raconte Dave Goforth.

Ironiquement, la technologie sert la nostalgie. EBay remplace désormais les antiquaires et les marchés aux puces comme lieu de vente des cartes. Avec la tentation de toutes les acheter.

En attendant de compléter sa collection, Peter Ledwith rêve de sillonner à son tour les routes tracées sur ses cartes.

«Dans 10 ans, je me retirerai de la vente d'équipement agricole. Je rêve d'acheter une camionnette et rouler. Peu importe où. L'important, c'est de partir ailleurs et longtemps.»

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CHANGEMENTS DE VOIES

Les routes ont bien changé. Un bref coup d'oeil sur les anciennes cartes routières montre le chemin parcouru par notre réseau depuis le début du XXe siècle.

Les premières cartes des années 20 contrastent avec nos toiles d'araignées actuelles. Beaucoup moins de chemins apparaissent. Et ils se concentrent surtout entre Montréal et Québec, explique Lucien Grenier, ancien chef de service de cartographie au ministère des Transports du Québec.

«On le remarque sur les premières cartes de l'ancien ministère de la Voirie. Vers l'Est, la route s'arrête à Saint-Siméon et au début de la Gaspésie. Au Nord, elle se termine à Mont-Laurier. Pour se rendre à l'Ouest, il y avait également moins de choix. Le chemin Taché allait de Saint-Nicolas jusqu'à Drummondville. La route 9 (116 aujourd'hui) reliait Québec à Saint-Hyacinthe, et un peu plus tard à Montréal. Les automobilistes pouvaient aussi emprunter la 2.»

Aussi nommé Chemin du Roy, c'est la plus vieille voie carrossable du Canada. Depuis 1737, elle relie Québec à Montréal. Les premiers automobilistes devaient souvent la partager avec les carrosses.

Dans les années 30, le réseau routier prend graduellement forme, indique Monique Lachance Gosselin du service géomatique de Transports Québec.

«À partir de 1929, des routes s'ouvrent vers Senneterre, Rouyn et Témiscaming. Le Lac Saint-Jean et le sud sont aussi de mieux en mieux desservis. Si bien que sur les cartes de 1943, on discerne la base du réseau actuel. Il manque toutefois les tronçons La Tuque-Chambord et Baie-Comeau-Havre-Saint-Pierre pour prolonger le réseau.»

Et il manque aussi les autoroutes. Elles viendront à la fin des années 50, alors que le trafic s'intensifie.

«La première autoroute québécoise a été celle des Laurentides, rappelle Lucien Grenier. La circulation sur l'ancienne route (la 11) devenait ingérable. On a donc instauré la voie rapide en 1958.»

La Métropolitaine, le pont-tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine puis l'autoroute Ville-Marie apparaissent ensuite.

Mais cette croissance du réseau finit par se transformer en fouillis. La numérotation manque de logique et confond les automobilistes.

«Je me souviens d'un immense panneau dans le Vieux-Québec qui annonçait la 2, la 2a, la 2b et la 2c. Si on se trompait de lettre, on pouvait traverser le Fleuve du mauvais côté et se rendre à Matane au lieu de Chambord. En plus, certaines routes assez importantes n'avaient pas de numéro, comme les actuelles 371 et 158. Il fallait faire le ménage», raconte Lucien Grenier.

La chose commence en 1972. Les routes non numérotées le deviennent. Puis en 1973, les routes déjà numérotées sont réordonnées plus logiquement. Et les numéros de sortie correspondent désormais au kilométrage.

La classification fonctionnelle se complète à la fin des années 80. Prête à accueillir de nouvelles autoroutes, comme le reste de la 30.

Depuis son retour, il n'a pas arrêté de collectionner celles d'ici.

«J'en possède aujourd'hui plus de 5000, toutes assez vieilles et bien classées. Ma plus ancienne date de 1921. Et ma plus chère coûte 35 $. Au total, elles sont assurées pour 50 000 $», raconte le professeur de mathématique et informatique à l'Université Laurentienne de Sudbury.

Comme lui, plusieurs collectionneurs se passionnent pour les anciennes cartes routières. Curieusement, presque tous viennent du Canada anglais ou des États-Unis. Quelque deux milles d'entre eux se regroupent même au sein du Road Map Collectors Association (RMCA) ou du Canadian Service Station Memorabilia Association (CSSMA).

D'où vient cette fascination ?

«C'est difficile à rationaliser. J'imagine que les premières cartes symbolisent une nouvelle façon de voyager, explique Peter Ledwith, cofondateur du CSSMA. Les pionniers de la route de l'Ouest et du réseau ferroviaire avaient ouvert de nouveaux horizons. Grâce à l'automobile, tous pouvaient maintenant les parcourir. C'était l'époque des routes cahoteuses, quand on s'excitait encore à l'idée de prendre le volant et partir.»

Pour ce, les cartes étaient indispensables. Pas le choix pour se retrouver sur des chemins souvent mal indiqués. C'est pourquoi les stations services ont commencé à les offrir gratuitement aux États-Unis vers 1915, puis un peu plus tard au Québec. Celles de l'Office du tourisme apparaissent peu après.

En 1973, le premier choc pétrolier pousse les compagnies à produire de moins en moins de cartes. Elles arrêteront pour de bon à la fin des années 80. Ne reste aujourd'hui que celles du gouvernement, plus standardisées.

«Les premières cartes des pétrolières couvraient souvent un itinéraire, pas un territoire, précise Dave Goforth. Par exemple, on expliquait comment se rendre de Montréal à New York.»

British American Oil, Champlain, Imperial Oil (Esso), Irving et Gulf Oil Texaco offraient chacune leurs propres cartes. Et pour attirer et fidéliser les premiers conducteurs, elles rivalisaient en beauté.

Et curieusement, elles étaient assez précises.

Dave Goforth aime comparer leurs illustrations. Autant pour la beauté que le message.

«L'image diffère selon les époques. Dans les années 30, c'était l'art déco, le luxe et le succès. C'est devenu la famille nucléaire conservatrice après la deuxième guerre mondiale. De superbes aquarelles de paysages figuraient alors sur les cartes pour promouvoir le tourisme. Ma carte du Bas Saint-Laurent illustre les endroits où pêcher, chasser et acheter du sirop d'érable et du miel.»