Vendredi soir bruyant à l'angle du boulevard Curé-Labelle et de la rue Dagenais à Laval. Comme chaque semaine, les trippeux de l'association Laval Auto Sport se sont donné rendez-vous pour exhiber leurs bazous chromés et astiqués, capot ouvert.

Vendredi soir bruyant à l'angle du boulevard Curé-Labelle et de la rue Dagenais à Laval. Comme chaque semaine, les trippeux de l'association Laval Auto Sport se sont donné rendez-vous pour exhiber leurs bazous chromés et astiqués, capot ouvert.

Pas de doute, c'est le meilleur endroit pour rencontrer des passionnés de vieilles Camaro «vintage» ou remontées. Alors que le célèbre coupé de Chevrolet s'apprête à reprendre la route, on avait envie de savoir ce qu'en pensaient les vrais aficionados. Constat: cette résurrection ne fait pas que des heureux.

«Camaro, c'est le chevalier de Chevrolet», lance Daniel, heureux propriétaire d'un modèle Z-28 de 1969. Il a payé 7000$, rien que pour la carcasse. «Mais avec le travail que j'ai mis dessus, elle est maintenant évaluée à 40 000$!» dit-il fièrement, en nous montrant ses pneus de 18 pouces et son moteur ultraperformant de 489 pouces cubes.

Comme la plupart des membres de Laval Auto Sport, Daniel est nostalgique de la grande époque des «muscle cars». Surtout, ne lui parlez pas de la prochaine Camaro, annoncée par GM cet été et qui doit être lancée en 2009. La dernière Camaro avait été construite en 2002, à l'usine GM de Boisbriand. Elle sera maintenant construite à Oshawa, en Ontario.

«Ils avaient dit que le nouveau modèle serait inspiré de celui de 1969, fulmine Daniel. Au pire, je m'attendais à quelque chose comme la réplique de Mustang 2006, inspirée par le modèle de 1970. Mais quand j'ai vu leur prototype, j'ai été vraiment déçu. J'ai trouvé ça beaucoup trop futuriste.»

Chevrolet parviendra-t-elle à redonner à la Camaro sa place dans les rues? Les fans suivront-ils? Pas évident, quand on connaît toute la charge mythique des anciens modèles. Même si la Camaro a existé jusqu'en 2002, sa grande époque demeure les années 60 et 70. À preuve: il ne se construisait plus que 42 000 Camaro en 2002, alors qu'on en avait produit plus de 240 000 en 1969...

Un poney à gros muscles

Née en 1967, la Camaro résume, à elle seule, la bataille que se livrent depuis toujours les trois grands de l'industrie automobile américaine (Chrysler, Ford et GM). Pour Chevrolet, division de GM, elle est la réponse directe à la Mustang de Ford.

En 1964, Ford lance, avec succès, sa fameuse Mustang. Voyant la bonne affaire, GM-Chevrolet ne tarde pas à répliquer. Pas question, en effet, de laisser Ford faire la loi sur le marché prometteur des voitures semi-sport.

Qualifiée de «poney car» par opposition à la Mustang (le cheval, le poney...), la Camaro joue dans les mêmes platebandes. Un design dynamique, un moteur performant de plus de 30 chevaux-vapeur, une apparence cool rehaussée par des bandes noires à l'allure sport.

Comme la Mustang, la Camaro est aussi - et surtout - plus qu'abordable: à peine plus de 4000 $. Plus bas de gamme que l'inaccessible Corvette (également Chevrolet), elle est faite sur mesure pour la jeunesse américaine qui, par tradition familiale, est restée fidèle à la marque Chevrolet. «Chevy», faut-il rappeler, a toujours été la marque «populaire» de GM. Celle par qui l'on commençait sa vie de conducteur, avant de passer à Pontiac ou Oldsmobile...

L'affaire s'avère vite rentable. Deux cent vingt mille Camaro seront lancées sur le marché en 1967. Dix mille de plus l'année suivante. Puis encore 10 000 de plus en 1969. Étrange: personne ne sait ce que signifie le nom Camaro, pas même ceux qui l'ont popularisé! Des linguistes plus ou moins sérieux prétendront qu'il s'inspire du mot français «camarade». D'autres affirment qu'il s'agit en espagnol d'une sorte de crevette - qu'on appelle «camaron», dans la langue de Cervantes. Mais qu'importe. L'essentiel, c'est que Ford ne soit plus seul dans la partie.

Testostérone et Led Zeppelin

Au tournant des années 70, les modèles se multiplient. Après la Z-28 et la SS, on lance notamment la Copo, la Waikiki ou la Kammback, un modèle de familiale assez gros pour transporter un sac de golf.

Chez les fans de Chevrolet, la Camaro s'impose comme la voiture des cols bleus, jeunes ouvriers des banlieues qui trippent sur la puissance et le hard rock. On conduit sa Z-28 en écoutant la dernière cassette huit pistes de Led Zeppelin, Kiss ou Blue Oyster Cult. Lunettes miroirs et jean serré, on branche sa SS sur le nouveau Pagliaro.

«Les consommateurs de Camaro étaient des baby-boomers qui n'avaient pas embarqué dans le cycle des voitures sport européennes ou japonaises, résume Jacques Duval, connaisseur réputé. Ils voulaient, à leur façon, que leur grosse Camaro prouve la suprématie américaine au plan de la performance.»

Cette culture de la testostérone débouchera sur la mode des «muscle cars», la voiture qui a du muscle. Les «poney cars» d'allure sportive ne suffisent plus. Il faut de la vraie puissance! Les moteurs grossissent, deviennent plus performants... et plus polluants. Dodge lance sa Challenger, Pontiac sa GTO, AMC sa Javelin. Pour Camaro, ce n'est qu'une suite logique. Avec la SS et la Z-28 qui gonflent leurs moteurs, elle est plus que jamais dans le peloton de tête des voitures qui ont des couilles.

Camarouille

Avec les années 80, les ventes de Camaro déclinent lentement mais sûrement. Le marché penche vers une voiture plus économique. L'heure n'est plus aux gros moteurs... Malgré la nouvelle génération de modèles, techniquement supérieurs, la production de Camaro passera de 126 000 voitures, en 1981, à 35 000 en 1990.

N'empêche, Chevrolet exploite toujours le côté «mauvais garçon» de son modèle fétiche. Entre 1990 et 2002, la compagnie joue à l'escalade de la puissance. Les nouvelles versions de la Camaro se concentrent sur la performance. Plus gros, plus fort, plus de poils. Dans une pub pour la dernière génération de Camaro, Chevrolet persiste et signe avec le slogan: «From the land that brought you Rock'n'Roll!» («Du pays qui a inventé le rock'n'roll.»).

Ironique: la voiture est désormais construite au Québec...

Depuis 1992, en effet, GM a transféré la construction de la Camaro à son usine de Sainte-Thérèse. Si cela relance un temps la machine, il semble bien que ce sera le chant du cygne pour cette bagnole dont l'origine du nom n'a jamais été élucidée. En 2002, bonsoir les croquettes: la Camaro fait ses adieux. Les amateurs de Led Zep devront désormais chercher dans la Camaro d'occasion...

Par la bande

La fin d'un mythe? C'est selon: la Camaro a certes survécu à deux crises du pétrole, sept présidents américains et neuf albums de Led Zeppelin. Son nom évoquait le rock, le muscle, la vitesse, l'âge d'or de la pollution. Et son succès a été bien réel auprès d'une certaine classe de consommateurs.

Mais là s'arrête la légende, croit Éric Descarries, grand amateur de sportives américaines et collaborateur régulier à La Presse. Selon M. Descarries, c'est surtout par la bande que la Camaro a fait sa réputation. «C'est une marque mythique, dans la mesure où la bataille entre Ford et Chevrolet est mythique», résume-t-il.

Lancée au bon endroit au bon moment, la Camaro a ainsi, plus qu'une marque populaire, le symbole d'une éternelle rivalité entre deux constructeurs automobiles. Créée pour concurrencer la Mustang, la «pony car» de Chevrolet n'a cependant jamais connu le même succès au plan des ventes. «C'est la théorie du premier arrivé premier servi, croit Jacques Duval. En arrivant avant la Camaro, la Mustang a sans doute raflé une part du marché qui était à Chevrolet. Ils se sont constitué une clientèle qui n'a pas dérougi par la suite...»

Ironie suprême: c'est ouvertement dans le but de concurrencer la nouvelle Mustang de Ford que GM a décidé de relancer la Camaro.

Comme disait l'autre, l'histoire se répète.

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LA VOITURE DES GINO?

Voiture respectée à ses débuts, la Camaro a fait l'objet de nombreuses railleries dans ses dernières années. Son image n'était plus associée au rock, mais au machisme à l'italienne. Gino et Camaro allaient désormais de pair, comme le chantait le groupe Zébulon en 1993 («Les femmes préfèrent les Gino, les machos, les Camaro...»).

Préjugé ou réputation fondée?

«C'est vrai que beaucoup d'Italiens ont acheté des Camaro, lance Éric Descarries. Les Italiens ont toujours été maniaques de performance. Ça remonte à Alfa Romeo et Maserati. Et puis le nom Camaro, ça sonnait italien...»

Pilote de Camaro de compétition entre 1986 et 1992, Richard Spénard confirme, en ajoutant que «plusieurs Italiens décoraient leur Camaro d'une façon un peu quétaine».

Cependant, ajoute l'ancien pilote, on peut dire la même chose d'une Corvette ou de n'importe quelle voiture de performance. Tout dépend de l'époque. «Aujourd'hui, dit-il, ce sont les Gino qui conduisent des Hondas...»

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Dans le lecteur huit pistes

Camaro et musique pop ont toujours fait bon ménage. Voici cinq chansons qui ont la Camaro à coeur.

1) Les chemins d'été («Dans ma Camaro je t'emmènerai...» chantait Steve Fiset en 1970. Des paroles de Luc Plamondon).

2) Yellow Camaro, de Weezer.

3) Go Lil' Camaro Go, des Ramones.

4) Bitchin' Camaro, des Dead Milknen.

5) Johnny's Camaro, de David Wilcox.