Toyota vient d'annoncer que la nouvelle terminaison plurielle «officielle» de Prius est «Prii», comme en latin. Mais justement, ça fait bien rire les professeurs de latin.

«Prius veut dire «le premier » et le pluriel est priora, pas prii», a dit le professeur de latin Benjamin Victor, de l'Université de Montréal.

«Je ne possède pas de Prius, mais je peux vous dire que Prii, c'est du charabia », ajoute son collègue Bill Gladhill, qui enseigne sur l'autre versant de la montagne, à l'Université McGill.

«De toute façon, ici, à Concordia (...), les profs n'ont pas les moyens de se payer une Prius, alors encore moins deux», a dit George W.M. Harrison, qui enseigne le pluriel et le singulier du latin loin des flancs verdoyants du mont Royal, à la très urbaine Université Concordia. Le professeur Harrison ajoute cependant que Prii, même si c'est du simili-latin dans un pluriel-bidon, «sonne plus le fun » que Priora, «bien que incorrect».

«La terminaison plurielle en i existe en latin, mais c'est masculin pluriel, alors que prius est neutre», a expliqué avec patience le professeur Victor, de l'Université de Montréal. «Mais bon, je ne pense pas que les gens de Toyota se préoccupaient de grammaire latine. Avec Prius, ils cherchaient simplement un mot suggestif, qu'on associe avec la nouveauté, qui évoque le fait d'être inédit; le premier, quoi.»

Prii, un pluriel choisi par scrutin internet

Le professeur Victor a raison, déterminer le pluriel de Prius était un exercice de marketing, pas de grammaire: Toyota USA a tenu un vote internet. On se doute que les Mad Men de Toyota n'ont pas trop stressé avec les multiples déclinaisons du nominatif, vocatif, accusatif, génitif, datif et ablatif latins. À part Prii, Toyota a proposé les terminaisons: Priem, «parce que ça rime avec Carpe diem»; Priuses, qui a la terminaison plurielle que les anglophones donnent le plus souvent aux mots latins; et Prien. Au moins, des terminaisons -em et -en existent, on les a trouvées sur internet.

Le professeur Victor, lui non plus, ne roule pas en Prius. Il se promène dans «une vieille Buick Century 2002» qu'il a achetée «parce que le prix était raisonnable, le coffre, généreux, et l'espace, suffisant pour une famille de quatre», dit le professeur de langues mortes qui conduit un modèle qui s'est éteint en 2005. «Je ne changerai pas d'auto juste pour changer, mais le moment venu, c'est certain que je vais examiner les modèles électriques», dit-il. Il faut être ouvert aux nouvelles technologies, dit M. Victor, ajoutant que les anciens avaient même un proverbe pour l'arrivée des voitures hybrides et électriques: «omnia mutantur; nos et mutamur in illis: toute chose change; nous aussi changeons en conséquence».

Diplômé de l'Université du Michigan !

M. Victor n'est pas exactement le genre de type qui court les Salons de l'auto et qui cire sa voiture tous les samedis dans l'entrée. Mais La Presse l'a appelé en premier (prius !) pour une excellente raison: selon le bottin des profs de l'Université de Montréal, le professeur Victor a fait son doctorat en études classiques à l'Université du Michigan, à Ann Arbor, en banlieue de Détroit. C'est le même campus qu'une des plus célèbres facultés de génie automobile du monde, sans parler du Center for Automotive Research, un prestigieux institut de recherche privé. À une époque pas si antique, Détroit et le Michigan étaient la Rome du monde automobile.

«Euh... j'ai dû en rencontrer un ou deux durant toutes mes études là-bas», a dit le professeur Victor au sujet des étudiants en génie automobile.

Aujourd'hui, ses élèves sont surtout des étudiants en archéologie, «qui n'ont pas le choix d'apprendre un peu de latin et de grec», et il y a aussi des étudiants en littérature, en histoire et en philosophie. «Une fois de temps en temps, j'ai des individus bizarres, comme des économistes...» dit-il. Mais aucun futur ingénieur. Aucun jeune maniaque de l'auto qui bricole des prototypes à Polytechnique ne s'est jamais retrouvé dans sa classe.

Hoc verbum doctis latinae linguae risum effecit

La Presse a écrit à toutes les universités de Montréal, à la recherche d'un propriétaire de Prius pouvant expliquer le pluriel de ce nom d'auto, du haut d'une chaire universitaire locale. Mais il semble qu'aucun prof de latin universitaire montréalais ne soit propriétaire d'une de ces célèbres hybrides Toyota. «Mais j'ai une Honda Civic», note le professeur Harrison, de Concordia, qui ajoute que «civique» vient du mot latin civis, qui veut dire à la fois «citoyen» et «conscrit».

Tous les professeurs de latin conscrits par La Presse pour ces entrevues au sujet du nouveau pluriel de Prius étaient du même avis : «Hoc verbum doctis latinae linguae risum effecit», a résumé le professeur Harrison: «Ce mot fait rigoler les professeurs de latin».

NDLR : vous ne lirez ni Prii ni Priora dans La Presse. C'est Prius. En français, les noms propres sont invariables : des Mustang, des Outback, des Cruze, des Prius. Même si Prius était un nom commun, on dirait «des prius». La règle sur le pluriel des emprunts et des mots étrangers dicte que les mots se terminant par s sont invariables.