Malgré les campagnes annuelles de sensibilisation menées par la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), de plus en plus de Québécois prennent le volant en état de fatigue. Données à la hausse, utilisation de moyens inefficaces et publicités peu marquantes... L'enjeu de la fatigue au volant se retrouve-t-il dans l'ombre de la lutte contre le texto et de la légalisation du cannabis ? Tour d'horizon.

DONNÉES À LA HAUSSE

Après avoir été stable de 2013 à 2015, la proportion de conducteurs à qui il est arrivé de conduire « souvent » ou « très souvent » en état de fatigue a doublé, passant de 5 % en 2015 à 11 % en 2017. C'est ce que révèle notamment un sondage mené en septembre par la firme SOM pour le compte de la SAAQ. La Société a commandé le coup de sonde, mené auprès de 1167 répondants, pour évaluer sa campagne publicitaire de 2017 « Contre la fatigue au volant, le café ne suffit pas ».

Les données permettent aussi de constater que la proportion de conducteurs affirmant qu'il leur est arrivé de « somnoler ou de cogner des clous » au volant était de 29 % en 2017, contre 19 % en 2014. « Les différences de résultats entre 2016 et 2017 ne sont pas statistiquement significatives, mais elles le sont par rapport à 2013 ou 2014 », conclut la firme, affirmant que cette « évolution sur cinq ans [...] sonne un peu l'alarme ».

MOYENS INEFFICACES

Encore aujourd'hui, les conducteurs qui ressentent de la fatigue au volant usent de « stimulants » plutôt que « de jouer de prudence ». Le sondage révèle que 56 % des gens sondés ouvrent une fenêtre ou mettent l'air conditionné pour « diminuer les effets de la fatigue ». Environ 35 % montent le volume de la musique et 25 % prennent un café ou une boisson énergisante. Seulement 42 % adopteront un comportement approprié.

« La fatigue, la seule façon de la contrer, c'est de s'arrêter », martèle le porte-parole de la SAAQ, Mario Vaillancourt. « Les gens ont souvent l'impression qu'ils peuvent la contrer, et c'est souvent là le grand risque. » Il est aussi démontré que les conducteurs attendent en plus grande majorité « à la dernière minute » pour s'arrêter, c'est-à-dire lorsqu'ils cogneront des clous (41 %).

FATIGUE DANGEREUSE

La fatigue au volant joue pourtant un rôle dans 22 % des accidents fatals sur les routes du Québec, ce qui en fait une des plus grandes causes de mortalité liées à la conduite automobile. Par ailleurs, la fatigue peut augmenter l'effet d'autres risques liés à la conduite comme la distraction, l'alcool ou la vitesse. L'ensemble des répondants (99 %) ne conteste pas que la fatigue a « un effet important sur la conduite ». Mais même si quelque 90 % des conducteurs sondés en 2017 disent percevoir la fatigue comme un « problème de sécurité routière important », la statistique tend à s'effriter tranquillement depuis 2013 (96 %).

Selon la SAAQ, ces récentes données viennent confirmer qu'en « matière de sécurité routière, il ne faut jamais baisser la garde », indique M. Vaillancourt. Les contraintes de temps (37 %) et les courtes distances à parcourir (35 %) sont les deux principales raisons évoquées par les répondants pour justifier une conduite en état de fatigue au cours des 12 derniers mois. Quatre conducteurs sur dix ne tiennent d'ailleurs pas compte de leur degré de fatigue avant de prendre la route.

DANS L'OMBRE DU CANNABIS ?

La chute progressive de l'importance accordée par les Québécois à l'enjeu de la fatigue au volant pourrait s'expliquer par « la place plutôt prépondérante » qu'occupe la lutte pour sensibiliser la population aux dangers du texto au volant, suppose la firme SOM, dans sa conclusion. Par ailleurs, le sondage révèle que peu de répondants « se souviennent » de la campagne 2017 contre la fatigue du volant, bien que la majorité des conducteurs sondés aient affirmé en apprécier le message. « Durant la période du sondage [en septembre], il a été grandement question de la légalisation du cannabis et de la tourmente au Québec entourant cette future légalisation », souligne aussi SOM.

« C'est certain que [la lutte contre le texto et le cannabis] ont été beaucoup dans l'actualité, admet Mario Vaillancourt. Est-ce que les gens ont baissé la garde pour la fatigue ? La question est posée. Nous, on va analyser tout ça. » SOM précise toutefois que la « notoriété » de la campagne 2017 peut être sous-estimée en raison du délai relativement long entre la fin de la campagne et la réalisation du sondage.

LA SAAQ « SENSIBLE »

La tendance et les résultats obtenus dans le coup de sonde publié en novembre « préoccupent » la SAAQ. « On est sensibles à ce genre de données, soutient M. Vaillancourt. C'est certain que c'est une préoccupation pour nous de voir que des gens [adoptent] des comportements à risque. » La SAAQ explique que les évaluations post-campagnes permettent d'ailleurs d'adapter ses stratégies de sensibilisation « selon les comportements et les clientèles ciblées ». « Il est trop tôt pour dire spécifiquement ce qui sera fait en 2018, mais c'est certain qu'il va y avoir des actions » pour contrer la fatigue au volant, dont le retour de la campagne annuelle, assure M. Vaillancourt. La campagne « Contre la fatigue au volant, le café ne suffit pas » a fait l'objet de messages vidéo et radio, d'imprimés et d'affichage. Elle visait notamment à renforcer l'idée que la seule façon de ne pas s'endormir au volant est de s'arrêter avant de cogner des clous pour se reposer.

- Avec William Leclerc, La Presse