Propriétaire de Volvo Cars et actionnaire de Daimler, le groupe automobile Geely se renforce en Europe, où il va introduire sa marque Lynk&Co : une illustration des ambitions internationales grandissantes de constructeurs chinois qui visent désormais les marchés européen et nord-américain.

L'annonce, courant février, avait fait l'effet d'un coup de tonnerre : Geely, principal constructeur automobile chinois à capitaux privés, a acquis 9,6 % du capital du géant automobile allemand Daimler, la maison-mère de Mercedes-Benz, devenant son premier actionnaire.

Certes, Geely s'était déjà distingué par d'ambitieuses acquisitions : après avoir pris dès 2010 le contrôle du Suédois Volvo Cars, il est devenu en décembre premier actionnaire d'AB Volvo, numéro deux mondial des poids-lourds.

Mais en Allemagne, l'irruption chinoise au capital d'un fleuron national a suscité l'inquiétude.

Au Salon automobile de Pékin cette semaine, le président de Daimler, Dieter Zetsche, s'est attaché à rassurer, évoquant des discussions «extrêmement préliminaires» avec Geely: «Rien n'a changé», a-t-il assuré, écartant la perspective d'une prise de contrôle hostile.

Dans le même temps, Lynk&Co, marque créée par Geely en 2016, confirmait son intention de proposer en 2020 en Europe des modèles électriques hyper-connectés, conçus en Chine mais fabriqués... en Belgique. Avec dans le viseur, le Graal du marché nord-américain.

«Cacophonie»

Cette offensive internationale est orchestrée par le patron de Geely, Li Shufu, dixième fortune chinoise selon Forbes, qui a transformé l'ex-fabricant d'électroménager en un mastodonte automobile.

Il accélère les percées : en mai 2017, il rachetait les emblématiques voitures de sport anglaises Lotus, et en novembre la start-up américaine Terrafugia, conceptrice de futuristes voitures volantes.

«Je veux que le monde entier entende la cacophonie générée par Geely et les voitures «made in China»», a récemment affirmé le discret multimilliardaire à Bloomberg. Selon ce média, Geely a dépensé 13 milliards de dollars pour ses parts dans AB Volvo et Daimler.

Dans son ascension, l'achat de Volvo Cars, il y a huit ans, marque un tournant.

«Volvo est une marque premium (de voitures individuelles), cela permettait à Geely de se renforcer en gamme, d'accéder à des technologies pour améliorer ses modèles», indique à l'AFP Hakan Samuelsson, directeur général de Volvo Cars.

«Lynk&Co en est l'éclatante démonstration : elle ne pourrait exister sans la coopération avec Volvo», insiste-t-il. Tandis que le Suédois a, lui, profité d'un accès facilité au marché chinois.

«Après l'acquisition de Volvo, Geely a progressé au niveau technique et musclé ses ventes en Chine», où il est désormais le 7e constructeur, décrypte Li Yanwei, analyste de la fédération chinoise des concessionnaires.

Geely cible des marques «premium» européennes pour relever son propre positionnement, mais le «précédent Volvo» sera difficile à répliquer: selon M. Li, Daimler n'aurait rien à gagner à un rapprochement en Chine, dont pâtirait sa marque Mercedes déjà bien implantée.

D'éventuelles coopérations entre Volvo et Daimler demeurent hypothétiques. «Nous sommes concurrents. Je n'exclus rien (...), mais nous n'en avons pas activement discuté», réagit prudemment M. Samuelsson.

«Agilité»

Dans la roue de Geely, de grands constructeurs chinois, après avoir abordé les marchés émergents, pourraient s'aventurer en Europe et aux États-Unis, tirant profit de l'expérience engrangée en Chine dans leurs coentreprises avec des groupes occidentaux.

D'audacieuses startups chinoises entendent ouvrir la voie: Nio et Byton projettent tous deux de commercialiser dès 2020 aux États-Unis des voitures électriques.

Abolissant l'expérience des constructeurs historiques dans le moteur thermique, l'électrique rebat les cartes, «donnant une chance à de nouveaux acteurs», assure à l'AFP Jack Cheng, le vice-président de Nio.

La société, financée par les géants internet Baidu et Tencent, lance cette année en Chine un premier VUS 4X4 électrique, avec l'ambition de concurrencer l'Américain Tesla en sabrant les prix.

«Notre avantage, c'est l'agilité, être en relation directe au client en cas de problème», commente M. Cheng. Et de vanter un développement technologique sans frontières : Nio possède un centre de recherche en Californie, des bureaux en Allemagne...

Comme Geely, Nio se positionne aussi sur le créneau de la voiture autonome: il a reçu mardi l'autorisation de Pékin pour tester un modèle dans la capitale chinoise.

De son côté, BYD, pionnier chinois du tout électrique, assemble déjà des bus dans ses usines en Californie, et bientôt en France et au Maroc.

«Ces startups font monter la température du marché (...) C'est bon pour l'innovation, les consommateurs et l'industrie automobile à long terme», philosophe Hakan Samuelsson.