La galaxie Fiat a été fortement chahutée lundi sur les places financières par les chambardements dans les états-majors après l'annonce inattendue du départ de son emblématique patron Sergio Marchionne, artisan du renouveau de ce fleuron italien.

À Milan, FCA, CNH Industrial, et Ferrari, trois groupes contrôlés par la famille Agnelli, ont accusé le coup: FCA a reculé de 1,50% à 16,17 euros, CNH Industrial a perdu 1,70% à 8,672 euros et Ferrari a dévissé de 4,88% à 113,95 euros. Exor, le holding de la famille Agnelli, a chuté de 3,25% à 54,76 euros.

À Wall Street, qui accueille la principale cotation de Ferrari, le titre de la marque au cheval cabré reculait vers midi et demie de 4,27% à 134,02 dollars après avoir plongé de plus de 5% à l'ouverture. L'action de Fiat Chrysler Automobile USA (FCA US) y lâchait 1,73% à 18,99 dollars.

Marchionne «en fin de vie»

Les investisseurs s'interrogent sur l'avenir de ces groupes après le départ de Sergio Marchionne, 66 ans, en raison de graves complications survenues en fin de semaine dernière après une opération. Sa condition est qualifiée d'«irréversible» et les journaux italiens le décrivent comme «en fin de vie».

En 14 ans, il a profondément remodelé Fiat, premier employeur privé du pays, d'abord en redressant l'entreprise, puis en l'alliant en 2009 à l'américain Chrysler, tout en le scindant en trois avec la création de CNH Industrial et le détachement de Ferrari.

Réunis en urgence samedi, les administrateurs de FCA, Ferrari et CNH Industrial ont désigné quatre personnalités pour reprendre le lourd héritage et toutes les casquettes de ce bourreau de travail.

Le patron de Jeep, Mike Manley, qui a fait du constructeur américain le joyau de FCA, prend la tête du groupe automobile. Louis Camilleri, ancien patron de Philip Morris, devient administrateur délégué de Ferrari, dont John Elkann, président de FCA et petit-fils d'Umberto Agnelli, prend la présidence.

C'est une femme, Suzanne Heywood, qui arrive à la tête de CNH Industrial, le groupe de gros engins et camions issu d'une scission en 2011.

Succession préparée : Camilleri et Manley aux commandes

Avec le départ de M. Marchionne, Ferrari «perd un gagnant» sous la houlette duquel l'action a bondi de plus de 155% depuis son entrée en Bourse à Wall Street, ont rappelé les analystes de Crédit Suisse. «Mais la trajectoire du groupe reste la même», ont-ils ajouté en réaffirmant leur confiance dans ses performances à venir.

«Même si nous nous attendons à de la volatilité à court terme, le temps pour le marché de digérer les changements de direction», Sergio Marchionne «n'est pas la seule raison du succès de RACE», le symbole boursier de Ferrari à New York, ont-ils justifié.

«De plus, le nouveau patron Camilleri (président non-exécutif de Philip Morris, membre du conseil d'administration de RACE) a déjà fait ses preuves et connait bien le groupe, ce qui devrait limiter tout risque de perturbation».

Du côté de FCA, M. Marchionne avait déjà préparé sa succession pour passer la main l'année prochaine, et nombreux sont ceux qui ont insisté, à commencer par M. Elkann dans un courrier aux salariés de FCA, sur les capacités de M. Manley, qui a été au coeur de l'élaboration du plan stratégique 2018-2022 présenté début juin, à assurer la continuité.

Inquiétudes

Malgré tout, le départ précipité de Sergio Marchionne laisse planer le doute sur l'avenir de Fiat Chrysler (FCA) et sur les capacités du Britannique Mike Manley, à diriger cette multinationale encore très italienne.

«L'inquiétude pour la vie même d'un des managers les plus estimés au monde se mêle aux interrogations légitimes sur l'avenir du 7e groupe automobile du globe, qui a incarné dans l'histoire de notre pays l'idée même d'industrie moderne», écrivait ainsi dimanche matin Dario Di Vico, éditorialiste du Corriere della Sera, le premier quotidien italien.

Tout en titrant sur «la fin d'une époque», la presse italienne relevait d'une manière générale la continuité de la succession: les quatre dirigeants nommés pour reprendre les multiples casquettes de ce bourreau de travail à FCA, Ferrari et CNH Industrial étaient déjà tous engagés dans ces groupes contrôlés par la famille Agnelli.

À commencer par Mike Manley, le patron de Jeep, qui reprend les rênes de FCA. Ce Britannique discret arrivé à la tête de Jeep en pleine crise en 2009 en a fait le joyau du groupe: Jeep devrait selon Morgan Stanley représenter à lui seul près de 70% des profits de FCA cette année.

Dans une lettre adressée dimanche à tous les salariés de FCA, son président John Elkann, petit-fils d'Umberto Agnelli, a exprimé sa confiance en M. Manley.

«Nous avons commencé il y a des années à travailler à un plan de succession qui garantisse la continuité et préserve la culture unique de FCA», a-t-il assuré. «Mike a été l'un des principaux contributeurs du succès de FCA et il a derrière lui une longue liste de prouesses».

«Une terrible nouvelle»

Pour Florian Delègue, chasseur de têtes de Heidrick & Struggles spécialisé dans l'automobile, la nomination de Manley est «une bonne surprise».

M. Manley «n'est pas un nouveau venu, c'est l'homme à succès du groupe Fiat». Et même s'il n'est pas Italien, «c'est un étranger très acculturé à Fiat».

Cependant, Mike Manley n'est pas Sergio Marchionne, l'enfant des Abruzzes devenu Canadien, diplômé en droit, en management mais aussi en philosophie, qui a réussi à conquérir politiciens, médias et syndicalistes, en particulier en Italie.

En 14 ans, il a profondément remodelé Fiat, d'abord en la redressant puis en l'alliant en 2009 à l'américain Chrysler.

«Sans Sergio Marchionne, Chrysler et Fiat n'auraient pas survécu», affirme Davide Cole, président émérite du Center for Automotive Research du Michigan, dans un entretien dimanche au journal La Stampa, proche de la famille Agnelli.

«Son charisme, son énergie, sa détermination, ses qualités de communication et sa vision stratégique ont été essentiels», ajoute-t-il.

Un avis partagé par plusieurs représentants syndicaux en Italie. «C'est une terrible nouvelle», a ainsi réagi le Cisl. «Nous avons eu des divergences (...) mais ensemble nous avons défié la petite Italie paresseuse qui préfère fermer les usines plutôt que se retrousser les manches».

«Rendez-vous importants»

Silence pour l'instant de la CGIL et de la Fiom, qui se sont durement opposées à M. Marchionne, mais même son de cloche à l'UIL et à l'Uilm.

«On a souvent évoqué l'extraordinaire capacité de Marchionne à créer de la valeur et à faire des profits, mais il en a été de même pour sa capacité à sauvegarder le patrimoine industriel et l'emploi», ont noté les deux syndicats.

Si le groupe FCA compte 159 usines à travers le monde, 27% de ses 236 000 salariés travaillent en Italie. Or, «des rendez-vous importants nous attendent, comme l'assignation des modèles aux usines italiennes et le renouveau du contrat collectif», ont prévenu l'UIL et l'Uilm.

Pour Ferdinand Dudenhöffer, chercheur spécialiste de l'automobile à l'université de Duisbourg Essen, M. Manley est «un homme de voitures, et pour diriger Fiat Chrysler, ça ne suffit pas».

En Italie, il va devoir «négocier avec les syndicats, les politiques, la famille Agnelli». «Il va devoir faire beaucoup de compromis» et «il ne sera pas capable de prendre des décisions audacieuses».

Or, c'est bien d'audace et de vision que FCA aura besoin pour faire face aux défis qui l'attendent, à commencer par les menaces du président américain Donald Trump sur le commerce et la stratégie pour développer l'électrique, pour laquelle nombre d'experts évoquent la nécessité de nouvelles alliances.