Dix-huit milliards de dollars. Le chiffre est vertigineux. C'est l'argent investi au cours des cinq dernières années par Tata Motors, chef d'orchestre du magistral revirement opéré par Jaguar Land Rover.

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En 2009, au creux de la vague du raz-de-marée causé par la crise boursière de 2008, Jaguar n'avait vendu que 47 418 voitures. Cinq ans plus tard, le constructeur est plus vivant que jamais, donnant tout son sens au nouveau slogan de l'entreprise, «Alive». Le constructeur est en voie de vendre plus de 80 000 voitures cette année, merci à une gamme complètement renouvelée qui s'apprête de plus à accueillir dans ses rangs la berline sport compacte XE et la version définitive du multisegment C-X17, deux véhicules qui devraient utiliser la même plateforme ultramoderne en aluminium.

Deux véhicules seront assemblés dans l'usine Land Rover de Solihull, mais la principale installation de Jaguar à Castle Bromwich accueillera également sous peu de nouveaux modèles.

«Le site est en perpétuel changement, explique Nicolas Guibert, directeur des opérations manufacturières chez Jaguar Land Rover. Le groupe a un plan de développement très ambitieux qui prévoit l'augmentation de la production de l'usine, notamment avec la production d'une nouvelle plateforme. Tout cela va nécessiter un très gros travail de transformation du site.»

Ainsi, on prévoit de renouveler d'ici 2017 la berline intermédiaire XF, qui est toujours construite sur le châssis d'acier hérité de l'époque Ford. La nouvelle plateforme sera bien sûr en aluminium, Jaguar Land Rover étant devenu le leader de l'industrie dans le domaine. On trouve aussi dans les cartons la remplaçante du coupé grand tourisme XK - on dit qu'elle pourrait être construite sur une version allongée du châssis de la F-Type. La grande berline XJ pourrait par ailleurs bénéficier d'une mise à jour d'ici quelques années, alors qu'on aurait donné le feu vert au développement d'un coupé quatre portes de grand luxe basé sur la structure de la XJ. On parle même d'une supermini à l'horizon 2020.

Sans compter les usines qui vont bientôt ouvrir en Chine et au Brésil, de même qu'une nouvelle installation britannique où seront construits dès la fin de l'année de nouveaux moteurs écoénergétiques de quatre cylindres - un investissement de 900 millions de dollars.

LE FLAIR DE TATA

Un an après avoir mis la main sur Jaguar et Land Rover, Tata Motors a vu sa valeur en capitalisation boursière chuter à 1,45 milliard de dollars, bien en dessous de la valeur de la transaction de 2,3 milliards conclue avec Ford. Le groupe JLR a essuyé en 2009 des pertes de 346 millions de livres. Les analystes craignaient le pire et on avait même envisagé la fermeture de l'une des usines du groupe en Grande-Bretagne. Mais Tata a fait le pari audacieux d'investir massivement, avec l'objectif ambitieux de rivaliser de plein droit avec BMW, Audi et Mercedes, le triumvirat allemand qui domine presque sans partage dans le secteur haut de gamme. Cinq ans plus tard, Jaguar Land Rover emploie près de 30 000 personnes - la main-d'oeuvre a presque doublé - , il engrange les profits, et son propriétaire, Tata Motors, a vu sa valeur en Bourse bondir à 21,41 milliards.

Avec 425 000 véhicules vendus en 2013, Jaguar Land Rover a plus que doublé ses ventes depuis 2009. On entend conserver le même rythme d'ici la fin de la décennie et ainsi surpasser le cap du million de véhicules vendus.

VIEILLE USINE, NOUVELLE TECHNOLOGIE

L'usine en briques rouges de Castle Bromwich a cette architecture caractéristique des bâtiments anglais de l'ère industrielle. Mais, à l'intérieur, on est au XXIe siècle, aucun doute là-dessus. On construit ici les F-Type, XF et XJ, selon le mode de gestion juste-à-temps - c'est l'entreprise de transport et de logistique DHL qui est responsable du plan d'approvisionnement de l'usine.

Quelque 110 robots s'affairent à assembler les châssis et panneaux de carrosserie, rivetés et collés à la manière de l'industrie aéronautique. L'oeil humain est toutefois nécessaire pour l'assemblage des panneaux de coffre, de capot, des ailes avant et des portières, car on veut s'assurer de pouvoir évaluer manuellement les espaces requis entre les pièces. Aussi, on procède à la vérification de 68 points critiques du châssis à l'aide de projections numériques qui sont comparées au gabarit de référence.

Mais on n'entend pas s'arrêter en si bon chemin, un plan d'amélioration des procédés est en marche pour permettre à Jaguar et Land Rover de s'adapter encore davantage au marché du luxe et du haut de gamme. À quoi s'ajoute la construction du Centre national d'innovation automobile, un projet conjoint de Tata Motors et de l'Université de Warwick qui permettra d'assurer la formation d'une main-d'oeuvre qualifiée, un défi en soi.

À la vue de tous les efforts mis de l'avant par Tata, la chasse gardée des constructeurs allemands serait-elle sur le point d'être ébranlée? La question se pose.

Les frais d'hébergement de ce reportage ont été payés par Décarie Motors.

En chiffres

40 %

Taux d'augmentation du nombre d'embauches au cours de la dernière année dans l'usine de Castle Bromwich. Plus de 3700 personnes y sont employées.

80 000

Nombre de voitures que devrait produire Jaguar en 2014. En 2009, au lendemain de la crise économique, Jaguar n'avait vendu que 47 400 véhicules.

1386

Nombre de pièces qui doivent être installées manuellement sur la nouvelle F-Type.

3150

Nombre de rivets utilisés pour fixer le châssis et les panneaux de carrosserie en aluminium de la F-Type.

12 500 $

Prix qu'il faut payer pour s'offrir les freins en carbone-céramique proposés sur les versions haut de gamme de la F-Type.

2,3

Somme en milliards de dollars que le constructeur indien Tata a versée en 2008 pour acheter Jaguar et Land Rover.

Les six E-Type mort-nées

En 1963, dans le but avoué de retrouver le succès en piste, Jaguar avait prévu construire 18 versions ultralégères de sa légendaire E-Type. Par contre, seules 12 E-Type Lightweight ont vu le jour. Cinquante ans plus tard, on a finalement décidé de construire les six modèles mort-nés. Chaque pièce et panneau de carrosserie a été numérisé pour être recréé dans le tout nouvel atelier de restauration de Jaguar de Browns Lane, à deux pas de l'usine originale où a été construite l'E-Type de 1961 à 1974. Comme pour les 12 Lightweight de 1963, le châssis et les panneaux de carrosserie sont entièrement faits d'aluminium, si bien que le bolide pèse 114 kilos de moins que la voiture de série, qui était faite d'acier.

Photo fournie par Jaguar

Les six nouvelles E-Type Lightweight seront homologuées FIA pour les épreuves de course historiques.

Bêtes de piste

Jaguar a mis fin à une disette de 31 ans au Mans en remportant en 1988 la mythique épreuve de 24 heures, grâce à sa XJR-9. Il s'agissait pour le constructeur britannique de sa sixième victoire sur le circuit de la Sarthe - il allait récidiver en 1990 avec la XJR-12. Peu de temps après sa victoire de 1988, Jaguar Sport et son associé Tom Walkinshaw Racing ont commencé à travailler sur la XJR-15, une version routière de la XJR-9. Construit à seulement 53 exemplaires entre 1990 et 1992, le bolide avait un habitacle spartiate qui ne cherchait pas à cacher ses origines. Vendu pour un peu moins d'un million de dollars, il était propulsé par un V12 de 6 litres et reposait sur une structure de fibre de carbone et de kevlar. Il bouclait le 0 à 100 km/h en 3,9 secondes, avec une vitesse limitée à 307 km/h.

Photo fournie par Jaguar

La Jaguar XJR-9 a remporté la toute première épreuve à laquelle elle a été inscrite, les 24 Heures de Daytona de 1988. Quelques mois plus tard, elle mettra un terme à la série de sept victoires de Porsche aux 24 Heures du Mans.

Pièces de musée

Les designers de chez Jaguar ont pondu quelques petits chefs-d'oeuvre qui n'ont malheureusement jamais connu les joies de la production. Le premier, et sans doute le plus beau de tous, est la XJ13 de 1966, une autre idée du génie Malcolm Sayer. Propulsée par un tout nouveau V12 de 5 litres boulonné en position centrale, elle devait prendre la piste, mais s'est plutôt retrouvée au musée. Son développement n'était pas une priorité et, devant l'hégémonie en piste de la Ford GT40, on a choisi d'abandonner le projet. La C-X75, dévoilée pour souligner les 75 ans de la marque au Salon de Paris en 2010, devait quant à elle être produite à 250 exemplaires, mais on a sabordé ce projet jugé trop coûteux. La supervoiture hybride enfichable développée en collaboration avec l'écurie de F1 Williams produisait 860 chevaux, avec un couple de 738 livres-pied, grâce à un quatre-cylindres de 1,6 litre et à deux moteurs électriques. Sa vitesse maximale était évaluée à plus de 350 km/h, mais elle pouvait aussi rouler 60 km en mode tout électrique, avec des émissions de CO2 équivalentes à celles d'une Prius. Le prix envisagé : autour de 1,5 million de dollars.

Photo fournie par Jaguar

La Jaguar XJ13 originale a été sévèrement accidentée lors d'un essai en piste en 1971. Elle a été reconstruite en 1973 par un carrossier indépendant, selon des spécifications semblables à l'originale, si bien que, selon Jaguar, «la voiture que l'on peut voir aujourd'hui n'est pas une exacte reproduction de l'originale».