Elle est partie récemment après 10 ans de loyaux services. J'ai eu un pincement au coeur en voyant la remorqueuse l'emporter au cimetière des pertes totales.

Comment dire ? Ma Mazda Protege 2000 avait 17 ans, une silhouette démodée et de la rouille sur les ailes, mais je l'aimais. Avec elle, je suis allée reconduire mille fois mes filles, je suis partie en vacances, une main sur la cuisse de mon amour. J'ai admiré des levers du soleil, pris des chemins de traverse et écouté de la musique à tue-tête.

Discussions marquantes, fou rires, chicanes, inspirations, j'y ai tout vécu, ou presque. Même quelques séances de méditation.

Dans son habitacle, j'ai chanté, j'ai ri, j'ai pleuré. J'y ai écouté des milliers d'heures de radio. Arrivée à destination, je suis souvent restée assise derrière le volant pour écouter un bout d'émission que je ne voulais pas manquer. Je m'y suis informée, instruite et enrichie.

Ma voiture n'avait pas de port USB, de Bluetooth ou de GPS intégré, ni même de clé pour la déverrouiller à distance, mais je m'en foutais. Le grand-père de mes enfants me l'avait vendue à un prix d'ami alors qu'elle n'avait que 25 000 km. C'était ma première auto et je l'avais payée comptant. Raison suffisante pour la garder le plus longtemps possible.

Une partie de moi se sentait coupable de garder un vieux véhicule plus polluant que les modèles neufs, mais une autre partie refusait de se débarrasser de ce qui était encore utile. Mes filles pestaient contre elle. Ma plus jeune l'avait surnommé Pouet Pouet. C'est dire !

Lorsqu'elles étaient préados, elles me demandaient parfois de les laisser avant d'avoir atteint l'école ou la maison de leur amie. Ayant grandi dans un milieu privilégié, entourées de Volvo, d'Audi et de BMW, elles avaient honte de mon vieux char

Combien de fois m'ont-elles demandé, l'air exaspéré : « Pourquoi tu t'achètes pas une auto neuve ? » Je répondais : « Parce que tant qu'elle va m'amener du point A au point B, je vais la garder. » Et comme ma job était aussi de les élever, je leur répétais que ce n'est pas l'auto qui compte, mais la personne qui la conduit. L'être plutôt que l'avoir. Elles ont fini par lâcher prise.

Je comptais la garder encore un certain temps, mais un samedi matin, une jeune mère pressée au volant de son 4x4 a frappé Pouet Pouet dans un stationnement de supermarché. Deux portières devaient être remplacées et la compagnie d'assurance m'a annoncé que la réparation coûterait plus cher que la valeur de l'auto.

Je devais faire mes adieux à Pouet Pouet que j'avais fini par renommer Pépette, à la recommandation d'une collègue qui trouvait ça plus joli et plus respectueux. Elle avait bien raison. Quand je l'ai annoncé à mes filles, elles ont poussé toutes les deux un « Oh ! non ! », révélant ainsi un attachement que je ne leur connaissais pas. Elles se sont peut-être souvenues de la route des vacances et du camp d'été, des chansons sur la banquette arrière, des allers et des retours de partys, des confidences faites à la volée, des nombreux lifts au métro et des multiples trajets en compagnie leurs amies.

En fait, elles ont peut-être compris, comme moi, qu'une auto est bien plus qu'un amas de tôle.

Elle est un réceptacle de souvenirs.

Merci, Pépette !