Des procureurs japonais ont soulevé vendredi une nouvelle allégation d'abus de confiance contre l'ancien président du conseil d'administration de Nissan, Carlos Ghosn, anéantissant ses espoirs d'être rapidement libéré sous caution.

Carlos Ghosn et Greg Kelly, un autre ancien patron du constructeur automobile japonais, ont été accusés d'avoir omis de déclarer des revenus de 44 millions US entre 2011 et 2015.

Les deux hommes détenus depuis le 19 novembre dernier pourraient également être accusés d'avoir omis de déclarer 80 millions  US dans les années suivantes.

La nouvelle allégation d'abus de confiance portée contre M. Ghosn, pour avoir transféré une de ses propres pertes en capital dans les livres de Nissan, survient après le rejet d'une demande de prolongation de sa détention. 

M. Kelly pourrait pour sa part être libéré sous caution dès la semaine prochaine. 

Les procureurs japonais ont été fortement critiqués pour avoir traité les diverses allégations séparément - une tactique pour maintenir MM. Ghosn et Kelly derrière les barreaux. 

La loi japonaise stipule qu'un suspect peut être détenu jusqu'à 20 jours par crime soupçonné sans avoir été officiellement inculpé. Chaque nouvelle allégation permet donc d'allonger leur détention. 

Renault avait chargé M. Ghosn de redresser Nissan en 1999. Alors sur le bord de la faillite, Nissan a connu une fulgurante ascension pour ensuite s'imposer comme le deuxième plus important constructeur automobile mondial.

Q. Pourquoi Carlos Ghosn, dont la garde à vue s'est arrêtée jeudi, reste-t-il en prison ?

R. Jeudi, la cour avait refusé aux procureurs de prolonger la détention préventive de Ghosn, Cette détention était relative à son deuxième motif d'arrestation (avoir caché une partie de son salaire dans ses déclarations de 2015 à 2018).  

« Le tribunal a estimé de façon somme toute rationnelle que les enquêteurs étaient censés avoir eu assez de temps pour rassembler les éléments sur ces soupçons qui étaient de même nature que les premiers pour lesquels il a déjà été inculpé », explique l'avocat Yasuyuki Takai, un ex-enquêteur de l'unité chargée du dossier.

Parallèlement, M. Ghosn était en effet aussi détenu parce qu'il a déjà été mis en examen pour un premier motif (avoir caché une partie de son salaire dans ses déclarations de 2010 à 2015).  

C'est cette détention provisoire que ses avocats espéraient stopper par le paiement d'une caution qui aurait en théorie pu permettre de le libérer.  

Cette possibilité tombe à l'eau dans l'immédiat puisqu'il est de nouveau placé en garde à vue sur de nouvelles charges d'abus de confiance. Il est notamment accusé d'avoir « imputé sur les comptes de la société (Nissan) des pertes d'investissements personnels ».

« La nouvelle qualification retenue est grave », indique M. Takai. Pour les fausses déclarations de revenus, Carlos Ghosn est passible de 10 millions de yens (122 000 dollars canadiens) d'amende et 10 ans de prison, mais il peut obtenir un sursis, selon les experts. S'il est inculpé pour abus de confiance, la peine maximale est la même mais le risque de prison ferme est plus élevé.

Q. Quelles sont les étapes à  venir ?

R. La procédure lancée vendredi à l'encontre de M. Ghosn donne 48 heures supplémentaires aux enquêteurs pour l'interroger.

Au-delà de ce délai, le bureau du procureur peut demander au tribunal une prolongation de 10 jours de cette nouvelle garde à vue en prouvant la nécessité, pour les besoins de l'enquête et pour éviter la destruction de preuves, de le priver plus longtemps de liberté.

Si ce délai est accordé, les procureurs pourront demander à son terme de l'étendre encore de 10 jours avant de décider ou non d'une mise en examen sur ce troisième motif.

Dans le laps de temps, peut aussi intervenir une inculpation sur le deuxième motif, ce qui ouvrirait une nouvelle période de deux mois de détention provisoire (reconductible par période d'un mois), parallèle à celle découlant de sa première inculpation intervenue le 10 décembre.

Q. Peut-il néanmoins toujours espérer être libéré sous peu ?

R. Sauf si les procureurs décidaient de ne pas utiliser tout le temps auquel ils ont droit (ce qui est très peu probable), il ne peut pas l'être dans un délai de 48 heures au moins.  

Mais si la première ou la deuxième extension de garde à vue est refusée par le tribunal, il pourrait en théorie être relâché sous caution sur requête de ses avocats.

Il devrait alors s'acquitter du paiement d'une somme fixée par le tribunal, qui pourrait dépasser 1 milliard de yens (plus de 12 millions de dollars canadiens) si l'on se fie à de précédents cas, selon les médias. Le record actuel est de 2 milliards de yens.  

Mais les procureurs, particulièrement surpris et agacés par le refus qu'ils ont essuyé jeudi, auraient là encore en théorie la possibilité de requérir un nouveau mandat d'arrêt, un processus qu'ils peuvent réitérer de façon légalement illimitée, mais en pratique la garde à vue excède rarement trois arrestations.