Tous les constructeurs automobiles haut de gamme d'Allemagne enfourchent depuis quelques années un nouveau dada: Porsche, BMW, Audi, Mercedes-Benz, tous se sont mis à fabriquer et commercialiser des vélos portant leur marque et coûtant de 8000$ à 12 000$.

Mais on ne peut pas dire qu'ils font de gros efforts pour les vendre sur notre rive de l'Atlantique. Par exemple, on a téléphoné au concessionnaire montréalais Porsche Prestige pour savoir si on pouvait essayer le nouveau vélo Porsche RS en fibre de carbone pesant seulement 9 kg malgré ses roues de 29 pouces. On nous a transféré au département des pièces, où un employé très serviable nous a dit qu'on peut le commander (9199,99$ plus taxes), mais qu'il n'y en a pas un seul à Montréal.

Dommage, l'auteur de ces lignes aurait aimé donné quelques coups de pédale sur un vélo valant cinq fois plus cher que son Outback 2000 rouillé. La version S, moins chère (5117, 47$), en aluminium, est également introuvable dans la métropole.

Une gamme renouvelée chaque année

Par contre, en Europe, le vélo haut de gamme est un produit dérivé (et un outil marketing) qui semble marcher très fort pour les constructeurs automobiles.

BMW a une ligne complète de vélos de route, hybrides et de montagne, qui est renouvelée chaque année. Mercedes-Benz a lancé en 2006 son premier vélo de course fait de fibre de carbone, pesant seulement 8,3 kg, avec des roues à 16 rayons pour minimiser les turbulences dans l'air, et des freins, engrenages et dérailleur Shimano Dura-Ace.

Les Allemands ne sont pas les seuls: les Anglais McLaren et Cooper sont sur ce marché. McLaren, comme son ancien partenaire de F1 Mercedes-Benz, fait des vélos en matériaux composites. Cooper fait un vélo d'acier rétro. La filiale tchèque de Volkswagen, Skoda, a produit deux vélos d'aluminium et commandite des courses de route en Europe de l'Est.

Peugeot: depuis 1882

Le français Peugeot, évidemment, poursuit sa tradition plus que centenaire, rappelant qu'il fabriquait des deux roues dès 1882, avant même l'invention de la voiture. D'ailleurs, les cycles Peugeot, fabriqués en France et distribués dans les concessions automobiles Peugeot, sont des splendeurs.

Audi fait aussi ses vélos, mais pour le marché américain, la marque aux quatre anneaux s'est permis la fantaisie de mettre en marché des coursiers faits de bois dur monocoque par le spécialiste Renovo, de Portland, en Oregon. Renovo estime que ses cadres de bois absorbent les vibrations mieux que tout autre matériau, et ce, à un poids égal ou inférieur à la fibre de carbone. Prix de détail pour le Audi-Renovo Duo Road: 7460$ US.

Une bonne stratégie haut de gamme

Mais pourquoi les constructeurs automobiles font-ils des vélos?

D'abord, il y a l'évidence: quand on a des clients capables de payer 100 000$ pour une bagnole, pourquoi ne pas leur mettre sous le nez une bécane de 10 000$ dans la salle d'attente du concessionnaire, pendant qu'ils font changer l'huile? Ils sont bien capables de partir avec...

«C'est une bonne stratégie pour un constructeur automobile haut de gamme», dit James Loveland, professeur de marketing aux HEC de Montréal, qui s'intéresse au marché des produits de luxe. «C'est logique pour un fabricant de voitures de luxe d'utiliser sa marque pour offrir un autre produit de luxe.»

Selon M. Loveland, il faut se mettre à la place de quelqu'un qui a une carrière exigeante, qui a développé un lien de confiance et d'identité avec une marque d'auto comme BMW, ou Mercedes-Benz. Vous êtes compétitif, mais vous avez 45 ou 50 ans et courir commence à être dur pour vos articulations, alors vous vous intéressez au vélo.

«Mais vous ne connaissez rien à ça. Et ça ne vous tente pas de faire toute la recherche nécessaire à l'achat du bon vélo, de poser toutes sortes de questions techniques à un vendeur de vélos. C'est difficile de choisir le bon vélo. Alors, les constructeurs d'autos de luxe se servent de notre respect pour leur marque comme d'un levier. Ils mettent un vélo dans la concession avec leur marque sur le cadre et vous disent: «Voici notre vélo, vous nous connaissez; vous connaissez nos valeurs; vous savez que c'est de la qualité. Vous pouvez acheter sans craindre d'avoir l'air ignorant au magasin de vélos, sans craindre de regretter un mauvais achat plus tard et sans craindre de vous faire avoir.»»

Expertises communes

M. Loveland note que faire des vélos a de gros avantages, à l'interne, pour un constructeur haut de gamme: «Premièrement, je suis convaincu qu'ils font un profit net avec ce produit dérivé. Mais pour ceux qui les font vraiment eux-mêmes, c'est parce qu'ils ont déjà de nombreuses aptitudes techniques dans des domaines-clefs de fabrication: quand vous y pensez, il y a bien plus d'expertise, de ressources, de savoir-faire et d'expérience chez Mercedes-Benz dans les matériaux composites comme la fibre de carbone, que chez n'importe quel fabricant de vélo. Le bassin de talent, chez les ingénieurs et les designers, est meilleur, les fournisseurs sont meilleurs et les budgets sont supérieurs.»

M. Loveland pense que c'est aussi une bonne façon de tester de jeunes ingénieurs ou d'offrir un défi différent à un designer chevronné.

Il croit également que vendre des vélos est une manière pour les constructeurs automobiles de réduire pas nécessairement l'âge moyen de leurs acheteurs, mais la perception que le marché a de l'âge moyen d'un conducteur d'une marque donnée.

Et à la marge, le vélo est peut-être aussi pour les constructeurs une façon d'intéresser à leur marque de jeunes consommateurs sportifs - par définition compétitifs - mais ayant justes les moyens, pour le moment, d'acheter un véhicule à deux roues dont le moteur est assis sur la selle. Avant de leur vendre, un jour, ce qu'ils veulent vraiment: la version à quatre roues avec un moteur allemand sous le capot.