La Russie subit des sanctions internationales depuis presque deux ans à cause du conflit en Ukraine, la valeur du rouble a fondu de 60 % avec la chute du prix du pétrole et c'est la récession là-bas. Si les ventes automobiles sont un indicateur de l'économie russe, ça va mal : elles ont plongé de 36 % en 2015. C'est 890 000 ventes en moins.

Il s'est vendu seulement 1,6 million d'autos en Russie l'an dernier. Mettons ce chiffre en perspective: c'est 300 000 de moins qu'au Canada, dont les 35,5 millions d'habitants représentent un quart de la population de Russie.

C'est la dèche sauf... pour les marques de luxe! Rolls Royce, Porsche, Lexus et Bentley, quatre marques haut de gamme, ont le vent dans les voiles au pays de Vladimir Poutine, des Lada et des accidents d'auto incroyables captés par des dash-cam.

Lorsque Rolls Royce a annoncé ses ventes mondiales de 2015, elle a placé la Russie au sixième rang de ses marchés en progression, avec une augmentation des ventes de 1 %, ce qui est modeste par rapport à la hausse des ventes en Corée du Sud (73% !) mais nettement à contre-courant de la tendance en Russie. On parle de voitures qui valent facilement --très facilement-- un demi-million US.

Porsche a aussi vu ses ventes russes accélérer de 12% et, Lexus, de 6%, selon les statistiques de l'Association of European Businesses. Celles de Bentley sont en hausse de 7%, a dit à La Presse Yana Ermolaeva, responsable du marketing chez Bentley Russie.

Échanger ses roubles contre des Rolls

«C'est étonnant à première vue, puisque tout ce qui est importé coûte deux fois plus cher qu'en 2014 à cause de la très forte et rapide dévaluation du rouble», explique Yann Breault, professeur à l'UQAM et chercheur à l'Institut d'études internationales de Montréal, qui s'intéresse à l'effet des sanctions internationales sur l'économie russe. «Mais en réalité, pour les riches Russes, acheter des biens de luxe est une façon de convertir leurs roubles en actifs qui ne se déprécient pas.» À l'hiver 2014, il fallait 32 roubles pour acheter un dollar américain. Aujourd'hui, il en faut presque 80.

De plus, crise ou pas, les riches Russes ont tellement d'argent qu'ils continuent à «rechercher les artéfacts permettant d'afficher leur statut. Ces gens-là ne roulent pas en Lada».

Pour M. Breault, les ventes en hausse de 1 % chez Rolls Royce sont une curiosité statistique, une anecdote, sans plus (c'est environ 40 voitures de plus par rapport aux 4000 vendues en 2014). Elles sont tout juste l'occasion de constater le peu d'impact, sur les classes dirigeantes russes, qu'ont eu les sanctions imposées à la Russie à partir de mars 2014 par les États-Unis, le Canada, l'Union européenne et le Japon.

Les sanctions ont peu d'impact

«C'est la chute des prix du pétrole et de la monnaie russe - un phénomène qui a aussi affecté le Canada et son dollar - qui ont fait mal à l'économie russe. L'effet des sanctions est probablement marginal » dit M. Breault. Les premières sanctions de l'Occident ont suivi l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et ont été durcies après les troubles dans l'Est de l'Ukraine. Elles incluent maintenant des restrictions commerciales, le gel des avoirs d'une centaine de personnes proches du Kremlin, et des interdictions de séjour pour un plus grand nombre encore.

M. Breault note que c'est la population en général, pas les hauts dirigeants nommément visés par les sanctions, qui écopent les effets de la récession. 

Lénine, Staline, Eltsine, Poutine, Valvoline...

Comme les Tsars avant la Révolution et comme apparatchiks soviétiques de l'ère communiste, les riches oligarques proches du pouvoir actuel et les hauts responsables du gouvernement Poutine sont «isolés des effets de la crise», observe  M. Breault. 

«Si vous cherchez une statistique automobile significative, laissez faire les ventes de voitures de luxe; regardez plutôt la baisse des ventes de voitures ordinaires achetées par des gens ordinaires.»

Et cette chute de 36 % a ses propres conséquences. Les ventes sont tellement mauvaises que General Motors a fermé son usine de Saint-Petersbourg et abandonné le marché russe. Volkswagen a sabré la production et les effectifs à son usine de Kaluga.

Même le Russe Lada a vu ses ventes baisser de 31 %. C'est aussi chez Lada qu'on trouve un autre signe révélateur des difficultés économiques: la sous-compacte Lada Granta -la voiture la moins chère en Russie - a été le meilleur vendeur de 2015 (120 182 unités, soit 7,5 % du marché total).

Les sanctions occidentales contre la Russie ne visent pas l'industrie automobile en particulier, quoi qu'une poignée de composantes tombent peut-être dans la définition des produits high-tech que les compagnies occidentales n'ont plus le droit d'exporter en Russie. 

Les États-Unis sont redevenus le premier marché de Rolls Royce en 2015, suivis des Émirats Arabes Unis, de la Chine, du Royaume-Uni et de l'Arabie Saoudite.

Photo fournie par Bentley de Russie

Selon le magazine Forbes, 79 milliardaires habitaient Moscou en 2012. L'an dernier, Bentley y a ouvert sa troisième concession.